Dans un article paru ce jour, François de Lacoste Lareymondie nous dit que « nous sommes toujours responsables de notre avenir ». Ceci est vrai pour le choix des hommes qui vont nous diriger, et pour la société dans laquelle nous voulons vivre. Mais c’est vrai aussi, ô combien, pour la place que la France aura demain dans le monde, puisque cette place, c’est nous qui la construirons et l’occuperons, bien, mal ou pas du tout. Pour cela, il existe un certain nombre de défis, auxquels nous devons répondre. La campagne ayant largement escamoté ces débats essentiels, nous voudrions en rappeler quelques-uns.
La compétitivité
Lorsque les propositions des candidats ont trait plutôt aux problèmes urgents (réduction des déficits, désindustrialisation, emploi, pouvoir d’achat, maîtrise de l’immigration, etc…) ou « sensibles » (taxation des plus riches, fiscalité, homoparentalité, euthanasie, etc…), il n’est pas inutile de rappeler qu’il existe d’autres problèmes, moins urgents ou sensibles, mais aussi importants. L’un d’entre eux tient au fait que nous vivons dans le monde où de nombreux autres peuples et nations sont à l’œuvre, et que c’est la qualité de notre travail qui fait que, en définitive, nous sommes en mesure d’y survivre ou non. Sans cela, tout le reste n’est qu’une construction sur du sable. Une évidence, dirons-nous ? Et pourtant, si facile à oublier.
Une autre évidence, c’est le fait que l’on ne travaille pas seul, mais en équipe, et que les équipes désunies ne peuvent que perdre. « Un royaume divisé contre lui-même ne peut pas tenir », c’est le Christ lui-même qui le rappelle. Il est donc de la plus haute importance que soit développé tout ce qui peut entraîner les hommes de nos entreprises, patrons et salariés, à travailler ensemble, plus et mieux, ce qui implique des mesures concernant la gouvernance des entreprises, où les salariés doivent être plus présents [1], mais aussi le dialogue social et une plus juste répartition des profits, tout ceci dans un esprit d’unité pour l’efficacité, c’est-à-dire de recherche de compétitivité pour la conquête économique, puisque, au bout du compte, c’est bien de notre survie qu’il s’agit [2].
De même, nous savons que ce sont nos petites entreprises qui deviennent moyennes, puis grandes. Il est donc essentiel que soient proposés des dispositifs propres à faire grandir nos PME. Pour cela, il faut favoriser l’innovation [3], mais aussi le financement et la vente.
Pour ce qui concerne le financement, nous savons que le point névralgique concerne les apports en capital, plus encore, peut-être, que les prêts. Les dispositifs existent (OSEO, FSI), mais il est nécessaire à la fois de les amplifier très largement, et de les rapprocher des entreprises, ce qui implique une meilleure organisation sur le plan local.
Il en est de même pour la vente. Nous n’ignorons pas qu’aujourd’hui c’est à l’export que se trouve la croissance. Cela implique une meilleure organisation de partenariats entre grandes et petites entreprises (la campagne en a parlé), puisque ce sont surtout les grands entreprises qui exportent, mais aussi des dispositifs propres à mieux identifier, dans les régions, les savoir-faire des PME, ainsi que les marchés où ces savoir-faire peuvent trouver des débouchés.
Au-delà du mauvais fonctionnement de notre système économique, nous savons que, si nous voulons résister à la concurrence internationale, c’est un nouveau modèle d’entreprise, plus performant parce que plus participatif, qu’il faut construire. Ce serait bien d’en parler…
La famille et l’éducation
Curieusement, alors que la campagne aborde assez largement les thèmes de l’Education nationale, elle ne parle pratiquement pas de la famille, ni de l’éducation familiale. C’est un contresens, puisque l’on n’instruit guère que les enfants que l’on a élevés et éduqués. Nous savons que si nous créons une génération de barbares sans éducation, celle-ci ne peut être à même d’acquérir les savoirs indispensables, ni de travailler ensuite, efficacement et ensemble, dans les entreprises que nous leur laisserons. Pour cette raison, la qualité éducative n’est pas un thème mineur, mais une question essentielle, de survie, puisque c’est le « matériau » et le « savoir-faire » de base de la construction de notre société [4]. S’il est déficient, c’est toute la nation, progressivement, qui s’écroule.
Proposer une politique familiale et éducative, c’est d’abord vouloir favoriser ce dont la famille a besoin avant toute chose : la stabilité des couples. Ici encore, vouloir protéger et promouvoir les couples stables, ce n’est pas adopter une posture idéologique ou moralisante vis-à-vis des couples instables ou brisés [5], mais simplement faire ce qui convient le mieux au bien commun de la nation ; ça s’appelle une politique.
Pour cela, il est indispensable de protéger la valeur symbolique du mariage, « phare » sur la mer de la vie des familles. Pour cette raison, les tentatives, venant de tous bords, visant à en dénaturer la symbolique, doivent être combattues.
Ensuite, la promotion doit être faite, en toutes occasions, de l’amour stable et de la fidélité. En faisant cela, l’Etat ne vise pas à interdire d’autres comportements, ni à instituer un quelconque ordre moral, mais à vouloir, pour le pays, ce qui fonctionne le mieux et ce qui rend le plus service aux personnes et aux enfants. Interdire les entreprises sans statut et sans capital, ou la conduite en voiture sans permis et sans ceinture, c’est bien, mais dire que la fidélité est essentielle, c’est mal ? Où est le sens de l’Etat et du bien commun dans tout cela ?
Enfin, une politique familiale et éducative doit obligatoirement passer par une prise de position claire et nette contre la pornographie et la violence dans les médias. On ne peut dire à la fois que l’on veut la promotion d’une bonne éducation, et en même temps de ce qui la détruit. Il faut choisir.
Demain, il y aura des peuples mieux préparés à la compétition mondiale, parce qu’ils seront mieux éduqués - ou moins déséduqués -, que d’autres. Ce ne sera pas parce que leur civilisation est supérieure, mais parce qu’ils auront considéré la stabilité familiale et l’éducation comme prioritaires, et qu’ils auront fait la politique adéquate pour cela. C’est du bon sens de le dire. Force est de constater que l’on n’entend pas grand-chose sur tout cela…
L’Europe
L’Europe est un sujet à la fois urgent, important et sensible. Pourtant, peu de choses sont dites à son sujet pendant cette campagne, si ce n’est, de la part des deux principaux candidats, pour proposer de renégocier les traités existants. Or l’Europe souffre de vices importants, que ce soit concernant son identité historique, la structure de ses pouvoirs ou bien encore la philosophie libérale qui sous-tend ses rapports économiques et sociaux [6].
L’identité historique, nous le savons bien, est chrétienne. Le Moyen-Age est la matrice, les royautés sont les pouvoirs à partir desquels notre civilisation européenne est bâtie. Le fait de le reconnaître n’implique aucune adhésion religieuse, qui est du domaine personnel. Par contre, cela permet de construire la mémoire collective et la culture, bases du « vivre ensemble », et sans lesquelles il n’y a ni solidité psychologique ou sociale, ni capacité de résistance aux « chocs de civilisations » inhérents au processus de mondialisation en cours, ni résilience par rapport aux difficultés de toutes sortes, individuelles et collectives, auxquelles nous devons faire face. Ceux qui se privent de leur passé détruisent en même temps leur capacité d’action pour le présent et d’imagination pour l’avenir. C’est ce qui nous arrive. L’enjeu est donc majeur.
La structure de pouvoir européenne est à la fois trop technocratique, pas assez politique, ni assez opérationnelle, ni suffisamment respectueuse des identités des nations qui la composent. Pour cette raison, elle produit incapacité à agir à l’extérieur et frustration identitaire à l’intérieur. Pourquoi s’interdire, dans une campagne, d’avoir une vision de l’organisation politique de l’Europe, et d’expliquer comment on souhaiterait la transformer ?
De même, il est clair que son fonctionnement est libéral, ce qui provoque une injustice et une double cécité. L’injustice, c’est le fait que la lutte contre la pauvreté n’y est pas prise en compte. Alors que l’idée européenne est d’abord celle d’un projet humaniste, il semble que cette dimension, essentielle pour l’unité [7], ait été oubliée. La double cécité, c’est celle qui s’exerce à l’extérieur et à l’intérieur : à l’extérieur, pour considérer que nos frontières doivent être largement ouvertes, sur le plan économique et sur le plan des hommes, et que la protection, même relative, n’est pas une vertu, alors même que les autres font le contraire. A l’intérieur, pour laisser s’organiser, sous le prétexte d’un « grand marché » idéal, harmonieux et autorégulé, une concurrence sauvage, qui nous dessert et nous affaiblit. Et tout cela sans tenir compte des disparités économiques entre nos nations, ce qui est un facteur de division, de destruction sociale et d’appauvrissement, et non de développement.
L’armée et la défense nationale
Encore une grande oubliée de la campagne. Pourtant, « Une société sans armée est une nation sans politique » [8], comme le disent, à mots couverts ou urbi et orbi, nombre de nos militaires. Les problématiques militaires, qu’elles soient, très prosaïquement, de nature budgétaire [9], ou bien relatives à des questions comme la défense européenne, la dissuasion, les Opérations Extérieures, le lien armée/nation, la doctrine ou la stratégie, ou, au niveau supérieur, la vision de notre place dans le monde [10], sont totalement absentes de nos débats.
Parmi celles-ci, et bien qu’elles soient toutes essentielles, celle du lien armée-nation nous semble peut-être la plus fondamentale, parce qu’elle touche à l’ADN de notre société. Si « une société sans armée est une nation sans politique », c’est aussi une nation sans esprit de résistance, c’est-à-dire sans résilience et sans anticorps, sans esprit de discipline et d’ascèse, et aussi sans générosité, puisque sans la capacité du don de soi total, jusqu’au don de sa vie, que représente l’idéal militaire. Le mode de vie contemporain et la mondialisation, qui n’identifient pas clairement les menaces, et qui induisent en même temps, naturellement, des comportements moins structurés et plus laxistes, ont besoin d’intégrer et de partager l’idéal militaire. Bien peu est fait pour cela, et bien peu est dit.
La vision du monde, la politique étrangère
Enfin, la politique étrangère, non pas nos actions, diplomatiques ou militaires, à l’extérieur, mais bien la vision que nous avons du monde, la place que nous entendons y tenir, et la façon de l’obtenir et de la garder, sont aussi passés, dans cette campagne, « à la trappe ». Pourtant, nous sommes héritiers d’une grande vision. Le Général de Gaulle avait su l’exprimer de façon simple et intelligible, de telle sorte qu’elle faisait consensus auprès des français. Comment ce capital peut-il se perdre en aussi peu de temps ? Certes, le monde change vite, ainsi que les modes de vie. Il y a donc un effort d’adaptation à faire, une « inculturation » à la modernité, qui est aussi une pédagogie. Ceci est très important, faute de quoi les opinions « décrochent ». N’ayant plus les clefs pour comprendre le monde, elles sont alors tentées par le repli, ce qui se traduira par des comportements de rejets et d’agressivité internes, mais aussi par une incapacité à se projeter à l’extérieur, alors que cette projection, à l’export par exemple, nous l’avons vu, est absolument nécessaire. Ne pas faire cet effort de pédagogie sur le monde, et la campagne en est le moment, c’est nous enfermer dans notre propre pays.
De même, nous disposons, depuis toujours, d’un instrument diplomatique exceptionnel. La diplomatie est un art difficile, fait à la fois d’imagination, de réalisme, de rigueur et de finesse. Il s’agit souvent de trouver, et cela demande un grand métier, des solutions simples et équilibrées dans des situations très tendues et compliquées. C’est l’art de trouver la paix, près ou au cœur-même de la guerre. Dans notre époque en voie de mondialisation rapide, et à cause de ce mouvement, les tensions ne diminuent pas, bien au contraire, mais elles augmentent au fur et à mesure que le monde se recompose.
A cause de notre tradition, et de notre position géopolitique très équilibrée, à la fois indépendante, proche du nord et du sud, nous bénéficions auprès des autres pays d’un capital de confiance important. Nous ne devons pas le dilapider en nous affichant trop dans un camp, ni par des actions intempestives, qui nous feront perdre notre crédit et notre position de médiateur et d’arbitre. Bien au contraire, nous devons, chaque fois que possible, privilégier des solutions politiques plutôt que militaires. La campagne devrait être l’occasion d’expliquer comment nous concevons nos relations avec ces grandes zones, civilisations et pays, et comment nous pouvons y promouvoir des équilibres de forces qui, sans être nécessairement la paix, en sont souvent l’antichambre.
Conclusion
A côté de l’urgent et du sensible, qui sont politiquement « payants », parce qu’on les ressent facilement, il y a tout le reste, et en particulier le long terme, le stratégique. C’est toute la construction, dès aujourd’hui, de ce qui sera, demain, notre force. Ne pas en parler, c’est plus facile. Mais c’est se priver de la compréhension et de l’adhésion des français, et de leur participation à l’effort qui leur sera demandé. C’est se priver d’une composante essentielle, qui est l’appropriation par les français du projet politique qui leur est proposé. Sans cela, ils subiront les réformes, au lieu de les vivre. C’est aussi nous condamner à gérer toujours le court terme, ce qui, au bout du compte, nous perdra.
Pour gagner une campagne, nul doute qu’il faille être médiatique, et pour cela, en utiliser les codes. Mais cela ne suffit pas. Il ne suffit pas d’être entendu, il faut aussi que ce qu’on dit serve à faire comprendre comment on veut construire l’avenir. Ce ne sera sans doute pas médiatique, parce que le système médiatique tire tout vers le bas, et n’aime que l’instantané et le petit. Mais il faut prendre le risque. Le risque, c’est la marque des grands hommes, et le seul vrai risque en politique qui vaille la peine, finalement, c’est la grandeur.
Retrouvez tous les articles sur la présidentielle dans le dossier :
[1] La campagne en parle un peu
[2] Cf nos articles http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Mondialisation-de-la-crise-l-enjeu-moral-du-moteur-de-la-competitivite-I, http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Restaurer-la-competitivite-pour-batir-une-mondialisation-plus-humaine, http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Competitivite-francaise-en-parler-enfin-agir-pres-des-besoins, notre interview http://www.libertepolitique.com/L-information/Liberte-politique-TV/Competitivite-la-France-en-question-partie-1 et notre conférence HEC http://www.libertepolitique.com/L-information/Le-fil-d-actualite/Le-paradigme-perdu-La-competitivite et http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Competitivite-Vers-un-nouveau-modele
[3] C’est déjà le cas avec le CIR, le crédit impôt recherche
[4] Cf notre article http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Politique-educative-crise-oblige-et-merci-a-elle-!
[5] Qui le sont, le plus souvent, à leur corps défendant, ou du moins, à celui de l’un des deux, qui est victime du comportement de l’autre
[6] Cf nos articles http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Un-nouveau-souffle-pour-l-Europe-1-2 et http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Un-nouveau-souffle-pour-l-Europe-2-2
[7] Si nous avons l’impression de ne travailler que pour nous-mêmes, et pas pour nos « frères » qui ont besoin de nous, s’il manque la solidarité, comment le sentiment d’unité peut-il se créer ?
[8] Cf http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/20/un-societe-sans-armee-c-est-une-nation-sans-politique_1509969_3232.html
[9] Et Dieu sait si ceci est important… et lancinant. De nos jours, pas une conversation avec un militaire, sans que cette question ne vienne « sur le tapis », sous une forme ou une autre, au bout de 10 mn.
[10] Puisque c’est de là que tout le reste découle. « Calibrer la mission », c’est fixer les moyens dont on a besoin, mais pour quelle mission ? Pour quelle place dans le monde ? Et quel projet de société ? On ne peut pas construire son armée sans projet de société et sans vision du monde.
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Bonjour, je souhaitais compléter votre propos sur le lien armée-nation dont on parle effectivement peu, comme d'ailleurs d'un service national digne de ce nom, qu'il soit civil ou militaire.
Voir le commentaire en entierBien qu'ayant longuement cherché, je ne trouve rien sur le site de campagne de Nicolas Sarkozy. En revanche, François Bayrou souhaite "Retisser le lien Armée-Nation, notamment en soulignant le rôle des Armées dans la promotion sociale aussi bien que dans la sécurité civile en cas de crise et en nouant un dialogue constructif avec les anciens combattants et les associations patriotiques.
Maintenir la gestion des ressources humaines de la Gendarmerie dans le périmètre du ministère de la Défense."
François Hollande s'est aussi exprimé : "Je fixerai un cap à nos forces armées, en conservant les deux composantes de notre dissuasion nucléaire, et en resserrant les liens entre l’armée et la nation. Je veillerai à ce que les armées disposent des moyens de leur mission et d’une organisation performante. Je relancerai une politique industrielle de défense ambitieuse. Je m’attacherai à ce que l’Otan retrouve sa vocation initiale : la préparation de la sécurité collective." En vous remerciant pour le travail critique de citoyen que vous faites ici. Richard Marion