Leçon du Covid : la chute des « experts »

Source [Pierre Labrousse pour Liberté Politique] Cet article fait partie du dossier "Y aura-t-il un monde d'après ?" figurant dans le dernier numéro de la revue Liberté politique.

La crise du coronavirus permet de mettre en lumière l’entreprise de manipulation qui nous entoure, parée des atours de la crédibilité scientifique. Et si l’épidémie permettait à tout le moins de faire descendre de leur piédestal les experts qui prétendent nous imposer leur vision du monde et leur anthropologie biaisées ?

         Que penser de cette séquence du Covid devenu la co-vid, sinon que désormais même les virus changent de sexe ? Trop tôt pour faire l’historien ; trop tard pour jouer les prophètes. Reste à envisager l’évènement avec un peu de recul philosophique. Plusieurs milliards d’humains confinés. La vie qui se calfeutre, l’économie qui s’arrête. Une messe de Pâques dans Saint-Pierre déserte, suivie par des millions de chrétiens. On accumule les premières fois. Mais au-delà de ces faits exceptionnels, qu’y a-t-il d’historiquement décisif ? Et d’abord qu’est-ce qu’un évènement décisif ? L’irruption de l’imprévisible. Or ce qui a bouleversé les planifications politiques, ce qui a chamboulé les rapports de force, c’est peut-être Raoult autant que le Covid ? Ce qu’il y a eu de décisif, c’est la remise en cause des experts, la découverte que ce que l’on nous présente comme une expertise scientifique relève en réalité d’une justification calculatoire de croyances qui sont plus proches de l’idéologie et des intérêts financiers que de la science. Or ces croyances sont en fait omniprésentes. Leur autorité sidère les intelligences. Ce sont la médecine dirigée par des algorithmes, les calculs du GIEC sur le réchauffement climatique, les études de genre qui « prouvent » que l’homoparentalité ne pose aucun problème et, dans un autre registre, l’explication évolutionniste du vivant par un hasard créateur, ou encore la psychanalyse. Le point commun de ces dogmes indiscutables, faisant l’objet d’un prétendu « consensus », est qu’ils ne sont scientifiques que par leur sociologie, par l’autorité institutionnelle avec laquelle ls « sachants » les imposent aux ignares que nous sommes. L’affaire Raoult aura peut-être dénoncé la mascarade des experts auprès d’un public plus vaste que celui de nos lecteurs. Leur remise en doute montrera alors combien le principe de précaution est mal utilisé, pour ne pas dire perverti.

 

 

De quoi le Covid est-il le nom ?

 

            Covid, cinq mois après : que nous apprend-il sur notre monde, sur la direction qu’il semble prendre ? Nous avons accumulé les records (plusieurs milliards de confinés) les premières, les dernières. Impressionnant. Cela dit, est-ce significatif ? Et tout d’abord qu’est-ce qui est significatif dans l’histoire ? Deux choses éclairent l’histoire. D’une part, il y a les tendances qui imposent une causalité récurrente presque nécessaire, et qui, un temps du moins, poussent toute chose inexorablement dans une même direction : mondialisation, émancipations sociétales, progrès technique. D’autre part, il y a les évènements, l’imprévu qui bouscule tout. Ce n’est pas parce qu’une chose se produit pour la première fois qu’elle est un « évènement historique ». Ne confondons pas ce qui est décisif avec ce qui est seulement sensationnel. Un événement est décisif s’il n’était aucunement porté par une tendance lourde et qu’il modifie néanmoins le cours des choses. Le passé ne l’imposait pas ; mais il réoriente l’avenir. La veille, un rien pouvait l’empêcher ; le lendemain tout en est bouleversé. Par exemple le 21 avril 2001 fut un évènement, mais pas l’élection de Chirac, quinze jours après. Le 11 septembre peut-être aussi, l’arrestation de Louis XVI à Varenne et sa condamnation à mort oui, mais pas le processus révolutionnaire. Pas non plus l’effondrement soviétique. Beaucoup d’évènements accélèrent et révèlent une tendance ; peu sont capables de l’infléchir.

 

            À ce compte, finalement, la séquence Covid est moins un évènement que l’aboutissement et la synthèse de plusieurs tendances lourdes. Des épidémies sévissent à chaque décennie, parfois beaucoup plus mortelles que celle-ci. Ce qui s’est manifesté, à travers les prises en charges politiques inédites du coronavirus, ce sont certaines caractéristiques de notre époque : le refus de subir la mort naturelle, l’incroyance religieuse qui la rend insupportable ; le fantasme d’une omnipotence de la puissance publique ; le risque zéro ; la soumission aux experts et à la domination chimique sur le vivant.

 

            Je n’ai pas la prétention de dire que tout cela était prévisible, mais qu’après coup, cela révèle des tendances lourdes. Au nom d’une expertise sanitaire, sociétale et écologique, les États occidentaux imposent de plus en plus de choses au point de criminaliser de tout ce qui pourrait remettre en cause le bien-être des gens ou de la nature tel qu’ils le définissent. On découvre le crime d’« écocide », quelques mois après le « féminicide ». Tendance lourde. Au nom d’une indiscutable expertise, on impose les éoliennes, le tri sélectif, la « conversion écologique », le confinement, la vaccination, le traçage, le puçage, la lutte contre les stéréotypes de genre ou de race et les discriminations qu’ils véhiculent. Ces tendance lourdes transforment des faits divers en accélérateurs de l’histoire : la noyade d’un ours blanc se mue en « urgence climatique », Weinstein en « me too », Floyd, et Adama en « BLM », un virus en perspective de vaccination et de puçage universel.

 

            Un point commun à toutes ces directions : se fonder sur une indiscutable expertise scientifique. Les « savants ont dit » répète Macron ; « la science a parlé » proclame Greta Thunberg. Les « études de genre ont démontré que ». Freud et Darwin enseignent que. Il n’y a plus qu’à se taire. Le mot « controverse » et surtout l’adjectif « controversé » sont devenus des marques d’infâmie. On oublie que, par essence, la science EST controverse. Or, en France tout au moins, la grande machinerie de l’ingénierie sociale s’est brutalement grippée. Le grain de sable se trouve à Marseille.

 

L’évènement Raoult

 

            La pensée unique hoquette lorsque des journalistes ignares, des experts achetés par Gilead, ou encore un obscur scribouillard du « decodex » qualifient de « fake news » les informations émanant d’un des spécialistes mondiaux des épidémies. Il aurait pu ne pas exister de traitement. Et beaucoup continuent de le prétendre. Raoult aurait pu « fermer sa gueule » comme lui commandait élégamment Cohn-Bendit, épidémiologiste bien connu ! Il aurait pu se contenter d’un article pour revue spécialisée. Au lieu de cela, Raoult est devenu l’emblème d’une certaine résistance à la toute-puissance politico-médiatique des experts. J’espère que la séquence du Lancet restera gravée dans les mémoires : une revue scientifique publie une démonstration de la nocivité de la chloroquine. Dans la journée l’OMS et le gouvernement français condamnent la substance, suspendent leurs essais. Cinq jours plus tard, un puis deux puis trois scientifiques remettent en doute la validité de l’enquête et finalement le Lancet lui-même désavoue. On apprendra ensuite qu’il s’agissait d’un bidouillage de données statistiques préexistantes, que les experts étaient plus des informaticiens que des médecins et que leur porte-parole était une ancienne actrice de « charme ». La mortalité des services que dirige Raoult à Marseille est beaucoup plus basse que celle des médecins qui ont suivi les recommandations du gouvernement. D’autres « experts » avaient convaincu l’État de détruire, des millions de masques dont la date de péremption était dépassée. Pas de masques, pas de test[i]. Avec ça, notre Comité scientifique condamne le seul véritable spécialiste qui propose un traitement qui semble efficace et que l’on connaît depuis cinquante ans.

 

            Raoult, inconnu du grand public il y a quelques mois, est devenu, au moins pour quelques millions de Français, la preuve vivante de l’incurie des experts, des politiques et des journalistes et intellectuels aux ordres : Bourdin, Cohn-Bendit, BHL, Enthoven etc. Le discrédit des premiers retombe sur les suivants. Voilà une splendide seconde vague pour le renouveau du conservatisme. Et si, avec cette carte, c’était tout le château qui s’effondrait ? Car les avis des experts dictent nos jugements dans une multitude de domaines. À chaque fois une autorité institutionnelle habille d’apparence scientifique des préjugés idéologiques.

 

La sociologie de la science au dépend de la méthodologie

 
            Le paradoxe est que le système se revendique de la science alors que les thèses sur lesquelles il s'appuie ne satisfont pas aux critères de scientificité. Si on reprend les principales théories épistémologiques, on pourrait dire qu’on reconnaît le discours scientifique à trois critères principaux : il donne des causes nécessaires et universelles qui expliquent la nature invariable des choses (Aristote) ; il recourt à un langage clair, précis et argumentatif (Descartes) ; il énonce des théories qu’on peut soumettre à l’épreuve de la vérification expérimentale et qui sont donc réfutables (thème de la « falsifiabilité » cher à Popper).

 

            Or de quoi nous parlent « les scientifiques » dont se revendique notre système politico-médiatique ? Quels sont les grands dogmes qu’il faut accepter parce que « la science a parlé », parce que « les scientifiques ont dit » ? Quels sont les dogmes modernes qu’on n’a pas le droit de discuter ? L’ingénierie sociale et sanitaire pourtant désastreuse du Covid, mais aussi l’origine humaine de réchauffement climatique, l’évolutionnisme darwinien, la psychanalyse. Or dans ces domaines, on ne décrit pas la causalité universelle d’un ordre stable mais un processus particulier à l’œuvre dans un milieu instable. On ne décrit pas ce qui est mais l’histoire qui a créé l’ordre (évolution) ou le désordre (« pandémie », réchauffement, psychoses). On ne décrit pas la nature, on spécule sur un processus qui génère la nature ou qui la dégénère.

 

            Deuxièmement, on n’utilise pas un discours précis mais, au moins au niveau du grand public, on recourt à des simplifications qui empêchent toute forme de critique et de controverse. Par conséquent, les scientifiques qui brisent la mécanique implacable du consensus se trouvent ostracisés. Raoult aujourd’hui, Vincent Courtillot, François Gervais, Susan Crockford[ii] hier sur le climat, Anne Malassé-Dambricourt[iii] depuis vingt ans sur la question de l’hominisation.

 

            Enfin ces dogmes contemporains ne sont pas des théories falsifiables. Cela est dû à leur objet : ils n’expliquent pas une substance dans sa nature universelle, ni un phénomène reproductible en laboratoire, ils portent à chaque fois sur un processus singulier non achevé, sur l’évolution actuelle et future du climat, sur les développements potentiels de telle épidémie et sur la manière de les empêcher. Ils traitent de faits englobants, de sorte qu’aucune comparaison n’est possible. Difficile de démontrer ou de réfuter que la conjonction actuelle entre réchauffement et augmentation des GES exprime une causalité ou une simple conjonction. Difficile de savoir s’il faut écouter Raoult ou Salomon. Au milieu d’un flot continu d’informations contradictoires, chacun choisit en qui il va faire confiance. Sauf que certaines paroles incarnent l’autorité institutionnelle, même si leurs thèses sont impossibles à confronter à une observation factuelle.  

 

            Impossible de prouver que l’évolution est le fait du hasard ou d’un ordre causal qui nous aurait échappé : pour trancher la question, il suffirait de reproduire l’intégralité du processus évolutif et d’observer alors s’il produit à nouveau les mêmes espèces (preuve qu’il y aurait un ordre) ou non (preuve que la nature bricole comme dit Jay-Gould dans Le pouce du panda). Pareille expérience serait décisive : elle nécessiterait seulement d’avoir devant soi quinze milliards d’années.

 

Retrouvez l'intégralité de l'article de Gabrielle Vialla dans le dernier numéro de la revue Liberté Politique en cliquant ici

[i]Voir le livre très documenté de Christian Perronne : Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? Covid-19 : l’union sacré de l’incompéence et de l’arrogance, Albin Michel, juin 2020. Perronne détaille les 11 scandales qui jalonnent le traitement de cette épidémie : destruction et non renouvellement des stock de masques, non approvisionnement en réactifs pour effectuer des tests, refus par l’Etat de permettre aux laboratoires vétérinaires de fournir les réactifs manquants ; attentisme de Buzyn au début de la crise, conflits d’intérêts avec GILEAD des membres du comité scientifique, condamnations de la chloroquine etc.

[ii]François Gervais fut « réviseur critique » au GIEC, auteur de L’innocence du carbone. Susan Crockford spécialiste reconnue des ours blanc a perdu son poste après avoir démontré que leur population n’état pas menacée : https://www.climato-realistes.fr/susan-crockford-expulsee-de-l-universite-de-victoria-canada/ .

[iii]Paléontologue au Museum d’histoire naturelle de Paris. Se présentant comme agnostique, elle propose pour l’hominisation un scenario alternatif à celui de Coppens qui a été récusé : la verticalisation de nos ancêtres ne serait pas un accident hasardeux rendu avantageux par la désertification de leur biotope (thèse dite de l’« East side story »), mais la conséquence mécanique d’une modification progressive du basi-sphénoïde, l’os à la base du crâne, qui détermine l’angle de l’implantation de notre colonne vertébrale. Sa théorie se revendique de Jay Gould et des « équilibres ponctués », ce qui ne l’a pas empêché d’être considérée comme « finaliste » et donc  « créationniste »...