[Source : Le Salon Beige]
Dans Le Point, Jérôme Cordelier évoque le dernier ouvrage du cardinal Sarah :
"Faire silence. Dans le fatras d'une époque habitée ou plutôt submergée, saoulée par les bruits, la fin de l'année est souvent propice à la pause des sens. Voici un livre qui vous y invite.
Vous n'y trouverez pas quelques recettes de bonheur facile troussées à la va-vite. Voilà un ouvrage puissant, profond, exigeant. L'auteur, Robert Sarah, est un septuagénaire guinéen au destin incroyable : né dans une famille modeste de cultivateurs animistes et élevé par des missionnaires spiritains français, il est devenu l'un des principaux cardinaux de l'Église catholique, l'un des chefs de file des conservateurs à la curie romaine. Ce prélat, à la tête de la liturgie catholique, a fait de la défense du sacré un engagement de tous les instants, comme il le démontrait dans son précédent livre, Dieu ou rien, coécrit comme celui-ci avec Nicolas Diat (l'auteur de L'Homme qui ne voulait pas être pape, Albin Michel), « best-seller » international - vendu à 335 000 exemplaires et traduit en douze langues.
Dans ce nouvel ouvrage, La Force du silence (Fayard), nous suivons ce guide privilégié dans son cheminement intérieur, une grande aventure qui prend à rebours les canons de l'époque. À lire ces pages, reviennent avec émotion les images du Grand Silence, l'étonnant documentaire de Philip Gröning, tissé de longues heures muettes et jamais ennuyeuses, sur les moines de la Grande Chartreuse. Mgr Sarah et Nicolas Diat, au terme de leur voyage, comme pour clore « la marche de la plus petite créature vers l'infini céleste », sont d'ailleurs, eux aussi, allés frapper à la porte des chartreux isérois. Ce qui donne lieu à un entretien d'une forte intensité avec dom Dysmas de Lassus, où celui-ci témoigne de ce que le silence représente à la fois un effort, un attrait et un besoin, « une ascèse et un désir », précise l'élu.
La ménagerie qui nous habite
« Lorsqu'un candidat vient faire une retraite chez nous, de nombreux souvenirs remontent à la surface, observe dom Dysmas de Lassus. Ils étaient en lui depuis longtemps, recouverts par les bruits de la vie. Lorsque ces mouvements s'arrêtent, il ne peut plus s'échapper et il comprend que le silence et la solitude de la cellule qu'il percevait comme un lieu de repos sont aussi un lieu d'épreuve où il devra affronter le combat le plus difficile : la bataille avec soi-même. Il s'agit d'apprivoiser la ménagerie qui nous habite si nous voulons que ses fauves puissent un jour nous laisser en silence. » Voilà d'un trait résumé la mission que s'est donnée le cardinal Sarah, et dans son sillage Nicolas Diat, à travers ces pages scandées par des formules qui touchent tels des aphorismes percutants, des flèches spirituelles. On n'est pas, répétons-le, dans le manuel de savoir-vivre mais dans un livre de combat. « Les faux prêtres de la modernité, qui déclarent une forme de guerre au silence, ont perdu la bataille, affirme Mgr Sarah. Car nous pouvons rester silencieux au milieu des plus grands fatras, des agitations abjectes, au milieu des vacarmes et des hurlements de ces machines infernales qui invitent au fonctionnalisme et à l'activisme en nous arrachant de toute dimension transcendante et de toute vie intérieure. »
La guerre est déclarée. Parce que « le bruit a acquis la noblesse que le silence possédait autrefois ». Parce qu'il faut lutter pour « la fin des tumultes, des lumières artificielles, des tristes drogues du bruit et de l'avidité ». Parce que « le silence contemplatif est une petite flamme fragile au milieu d'un océan déchaîné ». Chuchotons-le : « Le feu du silence est faible car il est gênant pour un monde affairé. »
Ce long cheminement, à travers des paysages intérieurs, tantôt plats et arides, tantôt escarpés et luxuriants, a pour soubassement la mission de resacralisation de la foi qui est la colonne vertébrale de l'engagement du prélat. « Aujourd'hui, nous nous contentons d'accomplir des rites qui n'ont aucune incidence sur notre vie concrète parce qu'ils sont vécus sans recueillement, sans intériorité et sans vérité », écrit Mgr Sarah.
Ce livre est une magnifique ode à cette adresse de Thérèse d'Avila, dans Le Château intérieur, que les auteurs citent chemin faisant : « J'ai l'impression d'avoir dans la tête beaucoup de fleuves torrentueux qui s'écoulent en cataractes, beaucoup de petits oiseaux et de sifflements, et cela, non pas dans les oreilles, mais dans la partie supérieure de la tête où, dit-on, se trouve la partie supérieure de l'âme. » Qu'ajouter à cela ? Rien, le silence, seulement, évidemment."
Bernanos disait :
« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »
C'est pourquoi l'ouvrage du cardinal Sarah est résolument anti-moderne : La Force du silence est l'antidote à la modernité.
Michel Janva
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