À la veille du second tour des élections départementales, revenons à la lecture essentielle de l’essai politique du théologien Jean-Miguel Garrigues op, La Politique du meilleur possible, qui donne quelques repères fondamentaux pour situer le discernement politique du chrétien dans l'espérance. Comment exercer son jugement moral en politique en acceptant les limites de la politique ?
DANS UN CONTEXTE d’hostilité à l’égard d’une vision de la dignité de la personne humaine ayant autorité sur la politique, il est opportun de rappeler quel sont les rôles respectifs de l’éthique et de la politique.
L’engagement « pour les valeurs », qu’elles soient « républicaines » ou « chrétiennes » d’ailleurs, procède souvent davantage de l’idéologie et de l’ambition personnelle que du service des « hommes concrets » (Mgr Ravel). La politique ne consiste pas à défendre un message, mais à faire progresser le bien sans chercher à éliminer le mal dans de vains espoirs millénaristes, une tentation à l’origine des surenchères idéologiques qui dressent les hommes les uns contre les autres, y compris au sein d’un même camp.
Car l’éthique n’est pas la politique : elle ne lui est pas étrangère, mieux, elle lui est supérieure en tant qu’elle lui donne ses principes, mais les contraintes de la politique passent par la dimension du réel collectif et sa finalité propre qui est la paix sociale. L’enjeu personnel consiste à accepter l’imperfection du réel et des hommes, mais aussi d’entrer en résistance lorsque la politique outrepasse ses prérogatives.
Le Fr. Jean-Miguel Garrigues est un théologien de référence, qui a notamment prêché les conférences de carême de Notre-Dame de Paris de 1992 à 1994. Dans La Politique du meilleur possible, il décrypte la relation délicate que l’Église a toujours entretenue avec la démocratie libérale. Balayant l’histoire, il définit les contours de leurs champs d’action respectifs, conditions de leur réconciliation dans le retour à une juste acceptation de la liberté humaine.
REPRIMER LE MAL OU PRESERVER LA PAIX ?
« LE PRINCIPE qui exorcise la tentation pour les chrétiens de retourner au millénarisme et à l’augustinisme politique est un principe simple que saint Thomas a très bien formulé : il est impossible de prétendre réprimer tout le mal dans la société sans provoquer un mal plus grand encore. Le pouvoir politique à qui il incombe de réprimer le mal a une double finalité : d’abord maintenir l’existence de la paix civile, ce qui a été trop souvent oublié par la surenchère de l’augustinisme politique. Le libéralisme est en grande partie le contrecoup du scandale des guerres de religion. On a cru qu’on pouvait poursuivre l’hérésie jusqu’à son extermination. Le principe de saint Thomas est exclusivement politique. Il est le corollaire du respect dû à la dignité de la personne, même dans l’erreur. La répression du mal est un devoir de l’État, mais un devoir subordonné à son devoir primordial qui est la préservation de la paix sociale. L’État ne peut pas poursuivre jusqu’au bout la répression du mal sans casser le lien social, le consensus minimal de la société. C’est là qu’entre en jeu la prudence de l’homme d’État : trouver ce chemin de crête entre la poursuite des finalités du bien, car une solution de neutralité morale conduira dans une impasse, et la tolérance du moindre mal. Du “moindre mal” au “meilleur possible” Ce qui distingue l’éthique de la politique, ce ne sont pas les finalités, qui sont les mêmes, c’est leur mode d’exercice dans la poursuite de la fin. Dans l’éthique individuelle il n’y a pas de place pour le moindre mal ; dans l’éthique politique, le devoir premier de l’État étant d’assurer la coexistence sociale des individus, le moindre mal va devoir jouer.Si la chrétienté avait développé ce noyau de vérité que comporte le libéralisme, elle n’aurait pas suscité contre elle une doctrine réactive, négative et comme telle menaçante pour le lien social. Pour ne pas se corrompre, la politique libérale, comme “art du possible”, doit devenir, par une redécouverte du primat de l’éthique dans l’ordre des fin, l’art du meilleur possible. »
Jean-Miguel Garrigues, |