Toute question ayant trait à la bioéthique prend son fondement dans l’éthique, puisque la bioéthique doit être considérée comme une branche, un dérivé de l’éthique.
Si « la bioéthique est l’étude des problèmes éthiques posés par les avancées en matière de biologie et de médecine », elle réclame donc d’entrer en éthique au plan philosophique avant toute
recherche spécifique. De plus, il en ressort que toute loi tient sa légitimité du respect inhérent
à l’éthique humaine.
Une telle action politique sur ce domaine ô combien responsable et dangereux, avec des
conséquences profondes sur la vie humaine, sur la famille humaine, implique de revenir au
rapport entre la loi et le bien commun. Il est donc nécessaire d’intégrer cette relation pour
construire une véritable politique excluant toute dérive qui entraînera de graves dangers, pour
l’homme lui-même et pour l’humanité entière. La loi est le moyen politique qui tient sa
légitimité du bien commun, et non l’inverse. Inverser cette relation entraînerait de lourdes
conséquences, jointes à une responsabilité morale capitale.
Ce constat, ce rappel revient à soulever la question de la fin et des moyens. Si la fin est
mise au service du moyen, elle n’existe plus en tant que fin et le moyen domine, détermine en
s’arrogeant un pouvoir et des droits illégitimes, voire contre nature. Le moyen est par nature
au service de la fin, de la finalité qu’est le bien commun. Á titre d’exemple, toute association
humaine (loi 1901) dispose de statuts qui tiennent lieu de loi, ces statuts étant rédigés en
fonction de l’objet de l’association, sa finalité. Il y a donc un ordre entre l’objet et les articles
des statuts, comme il y a un ordre entre le bien commun et la loi, la loi étant relative au bien
commun, le moyen relatif à la fin. Dans le cas contraire, le bien commun disparaît au profit de
l’intérêt dit collectif ou général. C’est le nombre de voix qui l’emporte sur la finalité, et la
quantité sur la qualité tournée vers la finalité. C’est ce que nous constatons à regret
aujourd’hui dans nos sociétés occidentales. La vie politique n’est plus démocratique en tant
que telle, parce que la quantité a pris la place de la qualité après la disparition de la finalité,
donc du bien commun, qui n’est plus un bien pour l’homme.
Il est donc nécessaire, et de prime urgence et importance aujourd’hui, avant toute décision
législative de mener cette recherche sur le bien commun et de le respecter. Or toute étude du
bien commun repose sur le bien personnel, puisqu'une communauté humaine, qui est un
ensemble de personnes, n’a d’existence que par les personnes qui la constituent. La famille et
la nation ou l’État caractérisent les deux extrémités, l’une en amont et l’autre en aval, des
communautés humaines. Il est donc indispensable dans cette étude de remonter au bien
personnel qui est le bien de la personne humaine, de sa conception (du fœtus) à sa mort
naturelle, en passant par la naissance, l'éducation, le mariage, la famille, le travail, la santé, la
vieillesse et à terme la fin de vie précédant la mort.
Au XIVe siècle, depuis Duns Scot et Guillaume d’Ockham, puis avec Descartes, la
philosophie a perdu le sens de la finalité. C’est Aristote qui, en corrigeant les « Formes en
soi » de Platon, a étudié dans sa Métaphysique la question de la finalité. Aux deux questions
fondamentales, « qu’est-ce » et « en vue de quoi », il affirme que la première n’a de réponse
véritable que dans la seconde, que le « qu’est-ce » réclame le « en vue de quoi ». Dans cette
question de la finalité, Aristote distingue deux niveaux : la puissance et l’acte. Par exemple,
l’étude de la vue réclame la vision, sinon elle n’a pas de sens. L’étude de la jambe réclame la
marche, le déplacement, sinon elle n’a pas de sens. Ainsi l’œil a la capacité de voir, la jambe a la capacité de se mouvoir, précédant l’action ou l’acte proprement dit. Mais c’est l’acte lui-même qui caractérise la finalité, et non la capacité.Dans l’ordre de la finalité, ces deux niveaux ont ensuite été séparés, et non plus distingués l’un par rapport à l’autre, entraînant la disparition de la finalité et en la considérant comme métaphorique. Cela signifie que l’intelligence tournée vers la réalité, le bien réel qui la perfectionne, s’arrête à ce qu’elle saisit de la réalité, donc à son intelligibilité première, à sa quiddité, au lieu de rester tournée vers son intelligibilité fondamentale qui lui échappe, car ce qui est échappe à toute saisie intellectuelle. La métaphore prend alors la place de la finalité, et e point de vue de la forme s’impose et prend tout, au risque de tomber dans le formalisme.
C’est ainsi que le bien commun disparaît, remplacé par l'intérêt général ou collectif, sans
fondement naturel et existentiel, donc humain. L’intérêt général, comme l’intérêt particulier,
trouve sa justification dans la pensée, par la seule pensée imaginative faisant abstraction ou
ayant perdu tout réalisme. Mais il est un fait indéniable : avant de penser, je dois exister. Si je
n’existe pas, la pensée n’est pas. L’exister précède nécessairement la pensée qui lui est
relative.
Pour entrer dans cette grande question qu’est la bioéthique, il est donc impératif de revenir
à celle de la finalité qui répond à la question "en vue de quoi telle chose existe", "en vue de
quoi nous existons ou nous sommes faits". L'homme n'est pas un petit caillou, l’homme n'est
pas un escargot avec tout le respect que l’on doit avoir pour la nature, l’univers physique qui
nous est donné, confié même. Mais au sommet de cet univers, se tient l'homme, la réalité la
plus parfaite, parce qu’il a l’esprit. C'est parce qu'il a l'esprit qu'il transcende la création, donc
qu’il a cette capacité de transcendance qui est le propre de la condition et de la dignité
humaine. Et c'est parce qu'il a l'esprit, impliquant cette transcendance, que toute recherche
humaine, aux plans éthique et politique, repose sur la finalité. Par conséquent, l’homme pour
être lui-même, en se mettant à l’école du « connais-toi toi-même » de Socrate, réclame ce qui
constitue la personne humaine dans ses dimensions fondamentales.
Ainsi les États Généraux de la bioéthique impliquent cette recherche philosophique sur
l’homme, qui repose sur ce préalable vital et existentiel : de la conception à la mort naturelle,
l'homme qu'il soit né, qu'il soit dans le sein de sa mère, au-delà de tout concept scientifique,
« est » en puissance d'être une personne par sa finalité et sa dignité humaine transcendante,
quel que soit son âge et sa condition physique ou mentale. Ce fondement est inaliénable.
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