Venezuela : les causes d'un naufrage

source[Nouvelles de France]les raisons de l'effondrement vénézuélien sont profondes.

+ VIDEO - « Maladie " du pétrole, 18 ans de chavisme, et faiblesse du pouvoir : les raisons de l'effondrement vénézuélien sont profondes.

Comment le Venezuela est-il passé en 15 ans d'un potentiel de croissance et de développement exceptionnel à l'état d'une nation parmi les plus pauvres du monde ? Paradoxalement à cause d'un « excès de pétrole », et de 18 ans de politique économique socialiste instaurée par Hugo Chavez, le « chavisme ". Les racines de ce naufrage sont très profondes.

1- Un paradis perdu

On ne s'en souvient presque plus, mais le Venezuela a jadis été le pays le plus florissant d'Amérique latine. Dans les années 70, des politiques économiques libérales associées aux revenus pétroliers lui ont permis de croître à un rythme plus rapide qu'ailleurs dans le monde, faisant du pays une sorte de Chine de l'époque.

Le choc pétrolier de 1974 a ainsi permis aux Vénézuéliens d'atteindre un niveau de vie proche de celui des Européens. En avril 1976, Air France ouvrait même une ligne Paris-Caracas en Concorde ... Et cela a duré longtemps : au début des années 2000, le Venezuela figurait encore dans le peloton de tête du PIB par habitant parmi les pays d'Amérique Latine (avec le Chili, le Mexique et l'Argentine d'avant-crise).

Le Venezuela aujourd'hui :

- Les plus importantes réserves prouvées de pétrole au monde : 300 milliards de barils de pétrole (soit 18 % des réserves mondiales), devant l'Arabie Saoudite (266 milliards de barils), le Canada (172 milliards) et l'Iran (158 milliards).

Le pétrole représente 96 % des exportations, 90 % des recettes d'exportation, et les 2/3 des recettes de l'Etat.

Plus des ¾ des foyers vénézuéliens vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté.

- L'hyper-inflation règne : elle dépasse 700 % en rythme annuel, et même 1.600 % pour certains produits devenus introuvables sur le marché.

- Si le pays n'a toujours pas fait défaut sur sa dette extérieure de 125 milliards de dollars, c'est grâce au soutien de la Chine et du groupe pétrolier russe Rosneft.

2 - Un terrible gâchis économique

Le Venezuela a, en fait, souffert très tôt du fameux « Dutch disease " (ou malédiction de la rente pétrolière), qui, à l'instar de l'Algérie, a barré son développement par manque de réformes et de diversification économique.

Caracas a bien tenté dans la foulée du quadruplement des cours du pétrole entre 1973 et 1980 de créer une industrie de substitution aux importations. Mais l'opération a fait long feu : elle a vite conduit à des sur-investissements mal contrôlés, au sur-endettement, et au total à une crise financière dont le pays ne s'est jamais vraiment remis.

Le Venezuela ne s'est donc jamais vraiment appuyé sur sa manne pétrolière pour diversifier son tissu industriel ou économique, comme l'ont fait les Emirats et plus récemment l'Arabie Saoudite, ou constitué, comme le fait la Norvège, un « matelas » financier permettant de faire face aux retournements de conjoncture pétroliers.

Le président Carlos Andres Perez avait entre-temps nationalisé le secteur pétrolier en créant en 1976 la compagnie pétrolière nationale PDVSA, un géant de niveau mondial. Le ver était dans le fruit : le pays a alors commencé à vivre au rythme des pulsations des cours du pétrole, qui réussissait -parfois plus, parfois moins- à masquer les problèmes structurels et sociaux du pays et sa lente spirale d'effondrement.

Dès février 1989, la chute des prix du baril de pétrole pendant toute la décennie a ainsi conduit au « Caracazo ", un soulèvement de la capitale réprimé par le pouvoir de Carlos Andres Perez, et qui a fait des centaines de morts.

VIDEO - Comprendre la crise au Venezuela en deux minutes

3 - L'impact du chavisme

Hugo Chavez n'a finalement jamais défini de modèle économique pour son pays, en appliquant sans grande originalité un socialisme à la sauce bolivarienne : nationalisations, contrôle des prix, contrôle des changes et contrôle de la grande distribution par l'Etat.

Les revenus pétroliers grandissants ont surtout servi une ambitieuse politique sociale (les missions sociales bolivariennes) entre 2003 et 2010, qui a permis de sortir de la pauvreté une part importante de la population. Mais l'effondrement des cours pétroliers, en 2009 et 2014, a totalement enrayé la tendance. Le schéma, possible avec un baril à 100 dollars, ne fonctionnait plus. On a alors assisté à un retour en arrière, et à l'apparition de graves dysfonctionnements économiques (pénuries, inflation, ...) et sociaux.

Chavez avait entre-temps, en 2004, torpillé l'avenir de PDVSA en instituant le transfert de la plus grande partie de ses recettes vers le budget de l'Etat afin de financer sa politique sociale. Il coupait ainsi l'entreprise de la possibilité d'investir dans son développement, alors que le pétrole vénézuélien est l'un des plus cher à produire au monde (2,5 fois plus qu'au Moyen-Orient). Résultat : la baisse de la capacité de production de ce qui reste la seule industrie du pays a été massive.

Pour ne rien arranger, un système d'expropriations s'est ajouté à cette politique. Réalisées sans véritable planification, elles ont eu pour effet immédiat de faire fuir les investisseurs étrangers dont l'économie vénézuélienne avait pourtant tant besoin.

4 - Les faiblesses de l'après-Chavez

.Faiblesse politique. Le père de la « révolution socialiste » vénézuélienne décède le 5 mars 2013, auréolé d'une grande popularité dans tout le pays, mais son vice-président Nicolas Maduro, dont il a fait son héritier politique, ne jouit pas du même soutien. Il ne gagne que de justesse l'élection pour lui succéder, face au candidat de centre-droit Henrique Capriles.

. A-coup économique. A partir de mi-2014, les cours du brut commencent à chuter, privant le Venezuela de devises étrangères pour payer ses importations - pourtant essentielles dans un pays qui fait venir presque tous ses produits de l'extérieur - et causant de graves pénuries d'aliments et de médicaments.

. Crise sociale et politique. L'économie vénézuélienne sombre et le mécontentement populaire grandit, au profit de l'opposition de centre-droit qui remporte en décembre 2015 une victoire historique aux élections législatives. Ce véritable tournant intensifie alors la bataille politique entre les deux camps, les institutions réputées proches de Nicolas Maduro - comme la Cour suprême - faisant alors tout pour bloquer les décisions des parlementaires.

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Stratégie de l'opposition pour éjecter Nicolas Maduro,le projet de référendum révocatoireest ainsi définitivement enterré en octobre 2016 par le Conseil national électoral (CNE). Pour apaiser la colère des anti-Maduro, un dialogue politique est alors engagé sous la médiation du Vatican, mais il échoue rapidement.

. Le retour des manifestations. Une vague de protestations est déclenchée le 1er avril par la décision de la Cour suprême, réputée proche de Nicolas Maduro, de s'arroger les pouvoirs du Parlement, déclenchant un tollé diplomatiquequi la pousse à faire machine arrière 48 heures plus tard. La colère monte encore d'un cran lorsque la justice inflige 15 ans d'inéligibilité à Henrique Capriles.

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On dénombre jusqu'à présent 8 morts et des centaines de blessés du fait des affrontements dans la rue, laissant craindre une répétition de la précédente vague de manifestations ayant secoué le Venezuela en 2014, qui avait fait 43 morts, selon le bilan officiel

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