Quatre questions sur l’“État islamique” et sur les ambiguïtés redoutables de la stratégie américaine pour lutter contre lui. Est-il bien raisonnable de jouer un islamisme contre un autre ?
1/ Qu’est-ce que “l’État islamique” ?
“L’État islamique” se présente comme une structure eschatologique dans l’islamisme : les sujets du calife sont les annonciateurs du Jugement. Prétendre comme John Kerry que l’État islamique n’a rien de religieux n’a aucun sens.
La technostructure de l’État américain veut croire, pour des raisons médiatiques, que le califat est une simple organisation criminelle. Sa dimension politique (la prétention à l’hégémonie califale) et religieuse (l’affirmation qu’il est la réalisation eschatologique de l’islam) est totalement occultée.
2/ Pourquoi une surenchère dans la violence ?
Malgré leurs ressemblances et des passerelles de recrutement entre eux, l'État islamique et Al-Qaïda sont concurrents. Ils se présentent comme deux faux-jumeaux en compétition, ce qui explique la surenchère dans une barbarie légitimatrice.
La stratégie de communication de l'État islamique vise à prôner la violence absolue pour éliminer tout concurrent plus radical. Mais cette structure associant des groupes très variés, elle ne se maintient que par une vague sujétion au calife Abû Bakr al-Baghdâdî.
Sur le terrain, chacun de ses groupes est autonome et veut prouver sa détermination et son respect plus intact que les autres aux règles du djihâd compilés au IXe siècle dans les hadith du Prophète.
3/ Obama vient-il de remporter un succès en fédérant une coalition ?
Il peut sembler étonnant que les États-Unis aient réussi à rassembler une coalition malgré leur échec récent en Irak. Les alliés des États-Unis sont conscients du danger que représente l’État islamique, et de fait ils représentent la seule force militaire structurante capable d’endiguer ce proto-État.
Toutefois, la constitution de cette coalition a d’abord valeur d’action de communication afin de réaffirmer un leadership déclinant.
4/ Quelle est la posture américaine ?
Les États-Unis sont tentés par un retournement géopolitique au profit de l'Iran et, tacitement, du gouvernement de Bachar-el-Assad. C'est d'ailleurs la seule façon de confiner l'islamisme sunnite dans sa double composante d'État islamique et d'Al-Qaïda.
Toutefois, ce retournement soulève des difficultés. Et d'abord d'ordre psychologique puisque cela revient à reconnaître l’échec total de la politique syrienne des États-Unis.
D'autre part, l’action américaine en Ukraine suscite l'hostilité de la Russie, alliée de la Syrie. Par voie de conséquence, les États-Unis ont dû trouver dans la précipitation une solution de compromis qui consiste à combattre aux côtés des wahhabites saoudiens tant décriés depuis 2001, et même avec les membres les moins compromis d'Al-Qaïda contre l'État islamique : jouer l'islamisme contre l'islamisme.
Selon toute vraisemblance, les États-Unis se sont mis dans une posture de guerre par procuration. Mais cette solution de compromis ne peut faire triompher qu’une forme d’islamisme contre une autre.
Négligeant les leçons du passé, les États-Unis entraînent le monde, et la France, dans une impasse stratégique à moyen terme, dont le Moyen Orient ressortira brisé et la réputation de l’Occident un peu plus salie. Seule la Russie pourra dans dix ans affirmer qu’elle avait depuis longtemps prévu la catastrophe.
Olivier Hanne est chercheur à l’Université d’Aix-Marseille.
Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, spécialiste du monde iranien.
Photo : Mai 2013, le sénateur McCain rencontrant des combattants de l'EIL en Syrie, supposés opposants "modérés" du président Assad.
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