Les pressions actuelles des troupes armées de « l’État islamique » autour de Kobané sont en train d’aboutir, sans que la Turquie ait levé le petit doigt, à ce que celle-ci pouvait espérer de mieux : la création de zones-tampons sur sa frontière méridionale.
Alors qu’Ankara n’a cessé depuis 2011 de souffler le chaud et le froid sur la Syrie et le Kurdistan irakien, voici que l’ONU, les États-Unis et la France s’apprêtent à la récompenser en lui offrant ce qui deviendra, à terme, un protectorat turc sur le nord de la Syrie.
Dès le départ de la crise syrienne, la Turquie a appuyé la rébellion contre al-Assad, car ce soutien renvoyait à une stratégie d’influence visant à reconquérir les marges méridionales ayant jadis fait partie de l’Empire ottoman et perdues en 1920. La formation des troupes de l’ASL par des officiers turcs et l’hébergement de leur base principale à Hatay fut aussi une réponse au soutien inconditionnel de Damas au PKK, le parti indépendantiste kurde.
Fragiliser le monde kurde
Malgré l’amélioration des relations entre Ankara et le PKK depuis 2012, la fragilisation du monde kurde reste un objectif pour la Turquie afin de préserver l’intégrité de son espace national. En accueillant les réfugiés kurdes menacés par l’EI, le président Erdogan prend la pose d’homme providentiel en faveur de populations que la Turquie a toujours voulu maintenir sous dépendance.
De fait, la stratégie autonomiste kurde est des plus dangereuses pour Ankara, qui a joué la carte salafiste en Syrie contre cette menace.
La Turquie a servi depuis 2011 de plateforme logistique à tous les trafics et déplacements d’armes, de liquidités et de recrues qui ont permis à al-Nosra et à Daesh de se renforcer sur place. Le pouvoir avait intérêt à maintenir la porosité de ses frontières, puisque la Turquie sunnite et rigoriste profitait des trafics et favorisait la fragilisation de la Syrie pro-shiite, tenue par al-Assad, l’ennemi de toujours.
Zones-tampons
En septembre 2014, les prises de position de la Turquie ont, semble-t-il, donné raison aux observateurs qui accusaient le pays d’intelligence avec « l’État islamique ». Malgré les énormes pressions des États-Unis et de l’OTAN, Ankara annonça sans justification ne pas participer aux opérations contre l’ÉI.
Puis au début du mois d’octobre, l’avancée djihadiste sur Konabé a contraint Erdogan à faire un geste de bonne volonté. Contre un engagement de pure forme contre Daesh, la Turquie va obtenir des zones-tampons dans lesquelles elle pourra faire progresser librement ses troupes.
À terme, le pouvoir central syrien – même s’il redevenait légitime – ne sera plus en mesure de récupérer ces territoires. Ankara retrouve ainsi ses ambitions ottomanes…
Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l'ESM de Saint-Cyr.
Olivier Hanne est docteur agrégé d'histoire, spécialiste de la naissance de l'islam, chercheur-associé à l'université d'Aix-Marseille
A paraître : L’État islamique, anatomie du nouveau califat (BG Editions).
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Kobané plutôt non?