Le mot « personne » vient du grec prosôpon qui signifie à l'origine « le masque » dans le théâtre grec. Prosôpon désigne ensuite « la personne » avec Épictète, esclave affranchi (50- 125 après J-C), philosophe grec de l'école stoïcienne. Épictète n'a rien écrit, mais ses discours ont été transcrits par l'un ses disciples dans deux ouvrages : Les entretiens et Le manuel, et cette remarque : « Ne dis pas : 'je fais de la philosophie', dis : 'je m'affranchis' ». N'est-elle pas juste ? La philosophie n’est-elle pas le lieu où l’homme quitte ce qui le conditionne pour la vérité qui le libère ? L’homme devient alors ce pour quoi il existe. Il devient une personne.
Pour Épictète, le choix, en grec proairesis, est important en particulier dans la relation avec les autres, ce qui signifie que l'on est une personne, lorsque l’on choisit un ami, ce qui nous conduite à Aristote qui ne prononce pas le mot « personne », mais il le sous-tend dans la philia, l'amitié. Dans l'Éthique à Nicomaque, il dit que « l'ami est un autre nous-mêmes », l’amitié contribuant de façon majeure à la manifestation de notre personne, car la véritable amitié se reconnaît, en particulier, par le don de soi favorisant l’émergence de la personne profonde et « en devenir » de l’autre, comme un coach intelligent et totalement désintéressé agirait. Boèce (470-525), philosophe latin, commentateur d'Aristote, dit de la personne qu'elle est : persona proprie dicitur naturae rationalis individua substantia, ce qui se traduit par : « substance individuelle de nature raisonnable ». En outre, il ajoute : « Le mot personne paraît dériver des masques qui représentaient les personnages humains dans les comédies ou tragédies : persona en effet vient de per-sonare, c’est-à-dire résonner, parce que le son, en roulant dans la cavité du masque, devient plus fort ». Les Grecs nomment ces masques prosopa, parce qu’on les met sur le visage devant les yeux pour cacher la figure. Le masque est le « visage » qui est donné au regard de l’autre. Le symbole du masque fait que nous ne saisissons pas de nos yeux corporels une personne, mais une forme, une forme vivante certes, mais qui masque la réalité. Comment entrer dans la vérité d’une personne ? Le masque ne communique pas l’intériorité. Or la personne se manifeste par les actes qu’elle pose dans la vie, actes jaillissant de l’intériorité de son âme, et préalablement de son être. Son être jaillit sur sa conscience bien entendu, qui peut être comprise comme le reflet de l’âme, mais au-delà surtout au niveau de l’âme elle-même, principe de vie, et en amont au niveau de l’être par la substance, principe selon la forme déterminée par l’acte, l’être en acte, principe selon la fin. L’être humain a donc une dignité transcendante formulée par Paul Ricœur quand il cite Kant : « Dans le règne des fins, tout a un prix ou une dignité. Ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, et par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. »
Et l’être humain, ajoute Kant, « existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin ». (cf. Thomas de Koninck, la dignité de la personne, Université de philosophie et de théologie, Laval, Québec) Mais la personne est un être autonome, ce qui signifie en faisant référence aux Catégories d’Aristote « ce qui se tient par soi », et non un être accidentel, « ce qui se tient par un autre », puisque l’être humain, comme l’animal, a son unité de vie autonome. Et l’autonomie au plan de la vie humaine provient de la substance au niveau de l’être. L’homme est par conséquent un être substantiel. Ses qualités, son poids ou sa taille, son lieu de vie ou ses actions ou 2 passions demeurent accidentelles, puisqu’elles peuvent changer et qu’elles sont relatives à son être substantiel. Reprenant la citation de Boèce, la personne est une « substance individuelle » ou « individualisée », du latin individuum, « ce qui est indivisible », « substance individuelle de nature raisonnable ». Á la différence de tous les êtres vivants, l’homme a l’esprit. Il est un être intelligent, de intus legere, « lire de l’intérieur », ce qui signifie « capable de chercher la vérité », d’entrer dans l’intelligibilité de la réalité, d’en saisir la « quiddité », mot inventé par Aristote pour montrer la distance qui existe entre la réalité et ce que l’intelligence peut saisir d’elle. Thomas d’Aquin réserve un article de la Somme théologique à la personne (I, Q 29, a 1). C’est en théologien qu’il mène sa recherche, théologien de la Trinité, Dieu en trois personnes, d’où la question de la personne au plan philosophique. Il ne se réfère pas au Philosophe, Aristote, puisque le stagirite ne traite pas de la question en tant que telle. Thomas d’Aquin l’étudie à partir de la définition de Boè 3 La personne étant « substance individuelle de nature raisonnable », il est nécessaire de distinguer ensuite ces deux niveaux que sont la « substance individuelle » et la « nature raisonnable », d’une part par la relation à la substance et d’autre part par la manière d’être dans sa nature raisonnable.
Par conséquent, l’une réclame une métaphysique de la substance, « ce qui se tient par soi au niveau de l’être », puis de l’acte, et l’autre une activité de l’intelligence du fait de sa nature raisonnable. Aussi, la personne est celle qui assume la responsabilité de ses actions, donc de ses activités humaines. Thomas d’Aquin réunit deux ordres : nature et personne, celui d'une « nature raisonnable » par l’esprit, et celui d’une personne par « la substance individuelle », la « relation substantielle ». C’est par cette union entre la nature et la métaphysique, la science de l’être, qu’est désignée la personne. Si la saisie de l’être est supprimée, ce qui est le cas de la pensée moderne, la personne comme telle perd sa dignité fondamentale dans l’ordre de l’exister, et donc disparaît comme telle. La compréhension de la personne réclame donc un dépassement qui s’effectue au niveau de l’être, sinon elle perd sa signification profonde et réelle, ce que l’on constate aujourd’hui dans une pensée qui s’arrête au niveau psychologique, au niveau de la conscience de soi. Parce que la personne prend sa signification, sa réalité fondamentale dans l’être, elle existe comme telle dans la mesure où elle tend vers sa finalité, qui est son bien propre. S’il n’y a plus de finalité en l’homme, il n’y a plus de personne, mais un individu, la quantité se substituant à la qualité, la forme se substituant à la fin et par là-même supprimant la fin. On peut alors dire qu’un homme n’étant pas finalisé n’est pas une personne, car la fin fait partie intégrante de la personne en vue de sa réalisation comme personne, comme être humain. Thomas d’Aquin en a perçu un signe en philosophie de la nature à propos de la stature de l’homme : « Chez les animaux, les membres antérieurs et le tronc viennent à la suite du cou et de la tête. Mais l'homme, au lieu des membres et des pieds de devant, a des bras, et ce qu'on appelle des mains. Entre tous les êtres, il est le seul qui ait une station droite, parce que sa nature et son essence sont divines.
Or, le privilège du plus divin des êtres est de penser et de réfléchir. » (Parties des animaux, X, 6) En effet, l’homme a besoin de se reposer, de reposer son corps, donc de dormir. C’est sa nature. Et l’homme sourit. C’est sa personne. Au niveau de la nature, la cause formelle commande la finalité, tandis qu’au niveau de la personne, c’est la finalité qui commande la cause formelle. C’est juste l’inverse. La famille est fondée sur la nature. Dirait-on devant un nouveau-né : « quelle belle personne ! » ? Non, mais « quelle belle nature ! » Et la famille est au service de la personne dans l’éducation en premier lieu, puis dans la vie et les relations familiales, et enfin dans la fin de vie, à condition de saisir ce qu’est une personne. Peut-on désigner les domaines qui constituent la personne humaine ? En premier, dans l’ordre génétique : l’autonomie fondamentale dans l’ordre de l’existence, puis la recherche de la vérité, activité propre de l’intelligence dans son désir de connaître, la capacité d’aimer, activité propre de la volonté, la prudence, vertu fondamentale qui maintient le cap, corps et esprit, tourné vers la finalité, le travail en vue de perfectionner l’univers dont l’homme a besoin pour vivre et de perfectionner l’intelligence pratique, le respect du corps dans son activité au service de l’âme spirituelle, et enfin au sommet la découverte par l’intelligence de l’existence de Dieu. Ce sont sept dimensions qui constituent la personne, de la forme mise au service de la fin, la substance accomplie dans sa fin, l’être en acte, face à sa source : l’Être premier, Acte pur et pur Amour, là où les deux finalités essentielles de la vie humaine se rejoignent : l’amitié et la contemplation, la première permettant à la seconde d’atteindre sa fin ultime. « L'embryon est un être humain et vivant, mais n'a pas toujours la personnalité juridique. Il est un être humain parce qu'il vit. Si l'on peut soutenir que c'est à la loi de définir la 4 personnalité juridique, c'est sûrement et seulement la nature qui décide ce qu'est la vie » écrit Philippe Malaurie, professeur émérite de droit à la Sorbonne. « La dignité de la personne humaine s’enracine dans sa création à l’image et à la ressemblance de Dieu. Dotée d’une âme spirituelle et immortelle, d’intelligence et de volonté libre, la personne humaine est ordonnée à Dieu et appelée, en son âme et en son corps, à la béatitude éternelle. » (Compendium de Benoît XVI) « La valeur incomparable de la personne humaine : Malgré les difficultés et les incertitudes, tout homme sincèrement ouvert à la vérité et au bien peut, avec la lumière de la raison et sans oublier le travail secret de la grâce, arriver à reconnaître, dans la loi naturelle inscrite dans les cœurs (Rm 2, 14-15), la valeur sacrée de la vie humaine depuis son commencement jusqu'à son terme ; et il peut affirmer le droit de tout être humain à voir intégralement respecter ce bien qui est pour lui primordial. La convivialité humaine et la communauté politique elle-même se fondent sur la reconnaissance de ce droit…
L'Église a tiré l'expression de ‘péchés qui crient vengeance à la face de Dieu’ et elle y a inclus, au premier chef, l'homicide volontaire. Pour les Juifs comme pour de nombreux peuples de l'Antiquité, le sang est le lieu de la vie ; bien plus, ‘le sang est la vie’ (Dt 12, 23) et la vie, surtout la vie humaine, n'appartient qu'à Dieu ; c'est pourquoi celui qui attente à la vie de l'homme attente en quelque sorte à Dieu lui-même… Comment a-t-on pu en arriver à une telle situation ? Il faut prendre en considération de multiples facteurs. Á l'arrière-plan, il y a une crise profonde de la culture qui engendre le scepticisme sur les fondements mêmes du savoir et de l'éthique, et qui rend toujours plus difficile la perception claire du sens de l'homme, de ses droits et de ses devoirs… En réalité, si de nombreux et graves aspects de la problématique sociale actuelle peuvent de quelque manière expliquer le climat d'incertitude morale diffuse et parfois atténuer chez les individus la responsabilité personnelle, il n'en est pas moins vrai que nous sommes face à une réalité plus vaste, que l'on peut considérer comme une véritable structure de péché, caractérisée par la prépondérance d'une culture contraire à la solidarité, qui se présente dans de nombreux cas comme une réelle ‘culture de mort’. Celle-ci est activement encouragée par de forts courants culturels, économiques et politiques, porteurs d'une certaine conception utilitariste de la société… Dans l'ensemble du contexte culturel, ne manque pas non plus de peser une sorte d'attitude prométhéenne de l'homme qui croit pouvoir ainsi s'ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu'il en décide, tandis qu'en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance. Nous trouvons une tragique expression de tout cela dans l'expansion de l'euthanasie, masquée et insidieuse, ou effectuée ouvertement et même légalisée. » (Encyclique Evangelium vitae, Jean-Paul II)
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