Source [geo.fr] Dès 1939, le IIIe Reich mène une vaste entreprise d’euthanasie envers les handicapés, qui préfigure l’extermination systématique des juifs trois ans plus tard.
Membres atrophiés, buste tordu et visage inexpressif… Un homme lourdement handicapé est assis sur une chaise, maintenu par la main d’un infirmier posée sur son épaule. A côté, un message : «Soixante mille Reichsmarks [ndlr : le salaire moyen mensuel d’un ouvrier est alors de 165 RM par mois], c’est ce que cette personne souffrant d’un mal héréditaire coûte à la communauté du peuple pendant sa vie. Citoyens, c’est aussi votre argent.» Cette affiche, publiée en 1938, est brutale, mais elle n’est qu’une goutte d’eau dans le flot de photographies et de films exhibant, depuis cinq ans, enfants malformés et adultes impotents. Car, pour le Reich, il est urgent d’agir : malades héréditaires et incurables doivent bénéficier de la mort miséricordieuse (Gnadentod) qui délivrerait de leur poids leur famille et, plus généralement, la communauté du peuple. Selon Hitler, l’accomplissement de son ambition suprême, la «régénération du peuple allemand», passe donc par la sélection des forts et l’élimination des faibles.
«A l’époque, cette logique n’est propre ni à l’extrême droite, ni à l’Allemagne, précise Christian Ingrao, historien du nazisme et chercheur au CNRS. Des milliers de médecins en Europe se passionnent pour l’eugénisme.» Fasciné, Hitler annonçait déjà dans Mein Kampf (1925) que «celui qui n’est pas sain de corps et d’esprit ne doit pas perpétuer son infortune dans le corps de son enfant ». Et c’est tout naturellement que la théorie est mise en pratique dès son arrivée au pouvoir, en 1933, avec les lois dites de «prévention des désastres héréditaires », qui conduiront à la stérilisation de 40 000 handicapés. Mais que faire de ceux déjà nés ? La réponse du Führer est sans ambiguïté, tout du moins en privé. Lors du congrès du parti nazi en 1935, il confie à Gerhard Wagner, chef des médecins du Reich, que «dans l’éventualité d’une guerre, il apporterait une solution radicale au problème des asiles d’aliénés». Ce contexte exceptionnel permettrait de surmonter les derniers freins qui entravent son projet. Car le Führer a conscience que, si la logique de prévention est relativement acceptée, l’euthanasie, elle, reste un tabou absolu. Un tabou entretenu aux yeux des nazis par l’Eglise, coupable d’inculquer «une compassion chrétienne excessive pour les faibles», comme l’écrit Michael Tregenza dans Aktion T4 : le secret d’Etat des nazis (éd. Calmann-Lévy, 2011).
Cinq mille enfants handicapés sont assassinés en deux ans
Pour enfreindre le cinquième commandement, «Tu ne tueras point», «il faut donc attendre la guerre, explique Christian Ingrao, cette grande épreuve raciale où périssent les meilleurs, et qui justifie aux yeux du Führer des procédures d’urgence pour maintenir, voire améliorer, la pureté aryenne». Le 1er octobre 1939, Hitler signe un acte d’habilitation confidentiel stipulant que «le dirigeant du Reich Bouhler et le docteur Brandt sont chargés d’étendre les pouvoirs des médecins (…) à accorder une mort miséricordieuse aux malades qui, selon les critères humains, auront été déclarés incurables». Le document, antidaté au 1er septembre pour coïncider avec le début du conflit, légitime a posteriori les mesures prises depuis le printemps. En mai, Karl Brandt et Philipp Bouhler ont en effet formé un «Comité du Reich» pour recenser les enfants de 0 à 3 ans à éliminer : ils seront 5 000 en deux ans. Leonardo Conti, secrétaire d’Etat à la Santé, a, lui, planifié l’extermination des adultes. Au mois d’août, les services dédiés se sont installés à Berlin, sur la Potsdamer Platz, avant de déménager au 4, Tiergarten strasse, adresse qui donne à l’opération son nom : «Aktion T4». Viktor Brack, à sa tête, estime que 20 % des lits d’hôpitaux doivent être libérés dans le pays, soit 70 000 patients euthanasiés. En septembre, 200 000 questionnaires sont envoyés aux institutions psychiatriques qui doivent déclarer les patients incapables de travailler. Les équipes du T4 ont fait évacuer les châteaux d’Hartheim et de Grafeneck, deux structures médicales isolées en Autriche et dans le Bade-Wurtemberg, choisies pour procéder discrètement aux mises à mort.
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