Alors que se tiendra à Marseille mardi 9 juin le premier rendez-vous public des états généraux de la bioéthique dédié aux problématiques de la recherche sur l'embryon et de l'eugénisme, Jean-Marie Le Méné a le président de la Fondation Jérôme Lejeune a précisément axé sur ces deux points son intervention devant les députés de la mission parlementaire d'information sur la révision des lois de bioéthique, le 3 juin. 

Son audition restera comme l'un des grands moments des débats conduits par la mission d'information parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique.

LE PREMIER FORUM citoyen qui aura lieu dans la cité phocéenne a hérité des deux sujets les plus brûlants du processus délibératif en cours. Faut-il interdire la recherche sur l'embryon, l'interdire avec autorisations dérogatoires ou permettre un régime permanent d'autorisations ? L'encadrement du diagnostic prénatal et du diagnostic préimplantatoire est-il de nature à garantir tout risque d'eugénisme ? Telles sont les questions formulées officiellement dans le communiqué préparatoire émis par le ministère de la Santé.
Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, dans une leçon magistrale de bioéthique, a donné à l'Assemblée nationale des clés de lecture extrêmement pertinentes pour les penser dans toute leur complexité. Croisant les arguments scientifiques et éthiques, il a démonté point par point les poncifs qui circulent actuellement au sein des différentes instances mandatées pour y réfléchir [1]. Laissant momentanément la problématique de la recherche sur l'embryon humain et nous appuyant sur les propos du président de la Fondation J.-Lejeune, nous nous attellerons plus spécifiquement dans cet article à décrypter la menace eugéniste que font peser sur notre politique de santé publique les évolutions en cours en matière de diagnostic prénatal.
La menace eugéniste
Les yeux s'ouvriraient-ils enfin ? Dans le rapport qu'il a rendu public le 6 mai dernier, le Conseil d'État a reconnu pour la première fois que l'eugénisme peut être non seulement le fruit d'une politique délibérément menée par un État mais également le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes [2] . Pour les Sages, certaines statistiques rendent compte aujourd'hui en France de l'existence d' une pratique individuelle d'élimination presque systématique . Un chiffre suffit à confirmer ce constat accablant : 96% des enfants trisomiques 21 dépistés sont avortés.
Ce chiffre, la haute juridiction le mentionne noir sur blanc dans son étude : En France, 92 % des cas de trisomie sont détectés contre 70% en moyenne européenne et 96% des cas ainsi détectés donnent lieu à une interruption de grossesse. Jean-Marie Le Méné a rappelé devant les députés la prise de conscience de nombreuses personnalités faisant autorité en ce domaine et l'inquiétude dont ont fait part dernièrement certaines d'entre elles : le professeur Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace éthique des Hôpitaux de Paris, le professeur Didier Sicard, précédent président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ou l'ancien ministre de la Santé Jean-François Mattéi. Ce dernier livre une analyse sans appel dans l'entretien exceptionnel qu'il vient d'accorder à l'hebdomadaire Famille chrétienne : Il existe en France un eugénisme de masse , assène-t-il [3].
Un eugénisme qui n'est cependant pas exclusivement la conséquence d'une multitude de choix privés et individuels. Il résulte également d'une action volontariste de la puissance publique dont les critères d'action sont la rentabilité et l'efficience technique. Pour le dire autrement avec le président de la Fondation J.-Lejeune, l'eugénisme n'est pas seulement la conséquence collective de choix individuels mais aussi un choix collectif aux conséquences individuelles .
Dépistage
Rappelons en quelques mots comment fonctionne le système de dépistage actuel.
Le diagnostic prénatal est défini dans le Code de la santé publique comme l'ensemble des pratiques médicales ayant pour objectif de détecter chez le fœtus in utero une affection d'une particulière gravité . En pratique, il recouvre toutes les explorations d'imagerie médicale, divers prélèvements sur le fœtus ou ses annexes (liquide amniotique ou trophoblaste) et des analyses effectuées à partir du sang de la mère. S'il existe une forte probabilité d'atteinte du fœtus par une maladie incurable d'une particulière gravité , l'interruption médicale de grossesse (IMG) est licite jusqu'au dernier jour précédant l'accouchement. Son indication doit être cependant confirmée par un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) seul habilité à délivrer l'attestation d'avortement pour motif médical. On note une augmentation de 10% des IMG entre 2005 et 2006 avec 6787 actes autorisés contre 6093 l'année précédente.
Si l'on prend l'exemple emblématique de la trisomie 21, la séquence actuelle consiste d'abord en une échographie réalisée au premier trimestre, entre 11 et 14 semaines d'aménorrhée [4], pour mesurer ce que l'on appelle la clarté nucale. Celle-ci correspond à un œdème normalement présent dans la partie postérieure du cou du fœtus à cet âge de la grossesse. Une épaisseur trop élevée indique un risque accru de trisomie 21 ou d'autres types de pathologies. Second temps, une prise de sang chez la mère au second trimestre pour effectuer le dosage biochimique de trois marqueurs sériques. Un arrêté du 27 mai 1997 précise que ce dosage doit être fait entre la 15 et la 18 semaine d'aménorrhée. En 2006 ont eu lieu 830 000 accouchements : 650 000 femmes, soit les trois quarts, ont été dépistées sur ce modèle.
Ces deux paramètres sont conjugués avec l'âge de la mère pour fournir un indice de risques. S'il est élevé – le résultat est donné sous forme de fraction avec la valeur seuil de 1/250 – il faut réaliser une amniocentèse (possible vers les 16e ou 17e semaines d'aménorrhée) pour obtenir une confirmation diagnostique du dépistage. Là encore, la France bat tous les records mondiaux avec 92 000 amniocentèses en 2007, soit 11 à 16% des grossesses selon les régions françaises. Or, ce geste qui consiste à ponctionner à l'aide d'une aiguille un échantillon de liquide amniotique, n'a rien d'anodin. Les gynécologues mettent d'ailleurs sévèrement en garde les femmes en précisant qu' après une amniocentèse, une grossesse normale devient une grossesse à risques [5] . En effet, la iatrogénicité est telle que l'amniocentèse conduit à l'avortement spontané de deux enfants indemnes pour l'avortement volontaire d'un enfant atteint. On estime en France que ce sont 700 fœtus sains qui sont perdus annuellement.
Pour remédier à ce coût humain dont tous les acteurs connaissaient depuis longtemps l'existence, mais qui sert à présent de justification facile pour changer de dispositif, le Conseil d'État appuie dans son rapport les recommandations de la Haute Autorité de santé de juin 2007, lesquelles ont donné lieu à la rédaction réglementaire d'un arrêté sur le point de paraître. Pour accroître les performances du système, l'arrêté en question préconise le dosage de deux nouveaux marqueurs sériques dès le premier trimestre entre 11 et 13 semaines d'aménorrhée, lequel pourrait être couplé avantageusement avec l'échographie. Comment le Conseil d'État peut-il encourager la mise en œuvre de pratiques eugéniques par l'accès précoce à des techniques de dépistage renforcées , demande Jean-Marie Le Méné, alors même qu'il désigne comme facteur d'eugénisme "la volonté de nombreux couples de ne pas mettre au monde un enfant porteur de maladie ou de handicap" ?
Fuite en avant
Les rédacteurs du rapport avalisent la fuite en avant en raison de considérations de santé publiques — limiter le nombre de fausses couches liées à l'amniocentèse et au nom de l'impératif éthique à l'égard des femmes enceintes — leur donner la possibilité de choix moins tardifs . Devant la mission d'information parlementaire, le président de la Fondation J.-Lejeune n'a pu qu'opposer une fin de non recevoir à ce nouveau dispositif en dénonçant l'absurdité du raisonnement dont on peine encore à croire qu'il ait pu être validé par le Conseil d'État avec autant de désinvolture.
Il ne sert en effet strictement à rien de déplacer le couple échographie/ marqueurs sériques au premier trimestre de la grossesse. Le dépistage n'est qu'un calcul de risques. Si le risque est faible, il n'écartera pas totalement la possibilité pour l'enfant d'être atteint. Et si le risque est élevé, il faudra quand même procéder à la confirmation diagnostique par un prélèvement. Or, explique Jean-Marie Le Méné aux députés, au premier trimestre de la grossesse, l'amniocentèse étant impossible, il sera proposé de recourir à la biopsie de trophoblaste (futur placenta) qui induit un taux de pertes fœtales 1,5 à 2 fois plus élevé. En réalité, la baisse escomptée du nombre des amniocentèses sera compensée par l'augmentation de celui des biopsies de trophoblaste et le nombre de grossesses perdues sera le même .
Le président de la Fondation J.-Lejeune a parfaitement raison : l'amniocentèse n'est réalisable au plus tôt qu'à la 16e semaine d'aménorrhée tandis que la biopsie de villosités trophoblastiques est possible dès la 12e semaine. Les bonnes pratiques recommandent de ne réserver cet acte qu'à des praticiens rompus à l'exercice en raison du danger non négligeable de fausse couche induite. Malheureusement, même avec cette précaution, le taux de perte fœtale reste très important – au moins équivalent à celui de l'amniocentèse dans les meilleures études dont nous disposons.
Quant au soi-disant impact psychologique chez les femmes, il est nul. Le nouveau dispositif engendrera-t-il alors moins d'angoisse pour la mère ? Là encore, la réponse est en complet décalage avec l'objectif visé. Les femmes subiront le harcèlement sur la trisomie 21 encore plus tôt dans la grossesse. Et le dispositif apportera deux inquiétudes nouvelles : le prélèvement à visée diagnostique et la précipitation. Les femmes enceintes devront être associées au choix de la technique (art. 10 du projet d'arrêté). Ou elles choisiront la biopsie de trophoblaste, plus tôt et plus risquée, pour réduire le temps de leur angoisse, ou elles choisiront l'amniocentèse, plus tard et moins risquée, mais elles feront durer l'attente du diagnostic , fait remarquer avec justesse Jean-Marie Le Méné.
Ce n'est pas tout, car la mise au point d'un dépistage précoce ne manquera pas en outre de conduire à de nouvelles dérives.
Technocratie
En premier lieu, le regroupement des différentes techniques dans le temps va entraîner une gestion technocratique du dépistage concentrée dans un même espace. Ce concept d'espace-temps eugénique si l'on me pardonne l'expression fait déjà des émules. À Paris, le professeur Yves Ville, chef du service de maternité de l'hôpital Necker vient de fonder une structure pilote de ce type inaugurée au mois d'avril dernier : le centre de dépistage Prima Facie. Y est justement proposé à toute femme enceinte un bilan global, clinique, biologique et échographique entre la 11e et la 14e semaine d'aménorrhée avec résultats rendus dans les deux à trois heures. S'il est précisé que cette consultation d'un nouveau genre est remboursée par l'assurance maladie, il est tout de même demandé à la patiente une petite rallonge de 40 euros pour bénéficier du dosage précoce des marqueurs sériques en attendant la promulgation par la ministre de la santé de l'arrêté qui en autorisera la prise en charge.
Une fois encore, la France fait figure de championne puisque c'est la seconde structure de ce type en Europe à voir le jour après celle de Londres où a été inventée la clarté nucale. La contraction dans le temps des examens de dépistage va-t-elle faire surgir des espaces spécifiquement dédiés à la traque eugéniste des enfants à naître ? Cela semble bien parti puisque plusieurs équipes, à Marseille, Rouen, Nantes ou Clermont-Ferrand, sont déjà sur le rang, ayant fait part de leur intérêt pour le fonctionnement innovant de ce centre. Quant au nom donné à cette structure, le docteur Ville explique ce choix : Prima facie signifie en latin premier regard et en termes juridiques premier élément de preuves [6] . Est-ce donc une mise en œuvre concrète du programme de Francis Crick, Prix Nobel américain de médecine : Aucun enfant ne devrait être reconnu humain avant d'avoir fait ses preuves par un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique. S'il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie ?
Jean-Marie Le Méné a critiqué sévèrement cette transformation des pratiques appelées le one day test : Comment prétendre sérieusement que la femme enceinte, prise dans ce tourbillon du one day test, disposera d'une information digne de ce nom, pourra réfléchir avec sérénité, avant de donner un véritable consentement libre et éclairé, ce qui n'est déjà pas le cas dans le système actuel, l'Inserm vient de le démontrer dans une publication de janvier 2009 ? On dispose de plus de temps pour refuser une offre commerciale que pour refuser d'accueillir un enfant différent, décision qui vous habite pourtant jusqu'au soir de votre vie . Le principe de consentement éclairé de la femme est en principe la clé de voûte du dispositif de dépistage. Or Valérie Seror, directrice de recherche à l'Inserm, vient de montrer dans un article peu commenté que 40% des femmes soumises aux tests n'avaient pas envisagé qu'elles pourraient être confrontées à un moment donné à la décision d'interrompre leur grossesse. Plus de la moitié d'entre elles n'avaient pas pensé au fait que le dépistage pouvait aboutir à une amniocentèse [7] .
Enfin, le lecteur attentif aura certainement remarqué que les nouveaux délais de dépistage se calent parfaitement avec la période légale de l'IVG en France dont le terme se situe à la 12e semaine de grossesse ou 14e semaine d'aménorrhée depuis la loi du 4 juillet 2001. Toute femme pourrait alors faire valoir librement et individuellement son droit à l'avortement au moindre soupçon de handicap. En effet, au cours de cette période, le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, sensé éclairer le jugement de la mère, n'intervient pas. On ne se souvient peut-être plus que le CCNE, interrogé en 2000 sur les conséquences éthiques de l'allongement de la période de l'IVG de 12 à 14 semaines d'aménorrhée prévue par Martine Aubry, avait conclu à l'absence de risque de dérive eugénique [8]. On mesure aujourd'hui l'absence de clairvoyance de notre plus haute autorité morale sur ce point. Faudra-t-il donc contraindre une femme à risque à passer devant la commission d'un CPDPN alors qu'elle pourrait recourir à l'IVG de son propre chef ?
Alternatives
Devant ce dépistage à outrance, le président de la Fondation Jérôme-Lejeune a conclu en faisant remarquer aux députés qu'ils disposaient de réels moyens d'action pour enrayer la mécanique eugénique. À cette fin, il leur a proposé d'étudier plusieurs pistes qu'il avait longuement développées dans son dernier ouvrage . Il demande en outre que l'arrêté sur le dépistage précoce actuellement sur la table du ministre ne soit pas publié au Journal officiel :

Vous devriez prendre trois mesures qui sont à rebours de ce que préconise le Conseil d'État : d'abord, considérer que renforcer l'eugénisme n'est en rien un impératif éthique. Ce qui est dû aux familles ce n'est pas la mise à disposition systématique d'une nouvelle technique de dépistage précoce, mais c'est la vérité. Une vérité qui oblige à dire que la nouvelle technique renforce l'eugénisme donc qu'elle est illégale. Ensuite, il faut cesser d'imposer le test du dépistage de la trisomie aux médecins qui le répercutent ensuite sur les femmes de manière quasi obligatoire. C'est la seule manière de briser le cercle vicieux de l'eugénisme. Enfin, la trisomie devant quitter la relégation où le dépistage l'a cantonnée, pour chaque € donné au dépistage, il faut donner 1 € à la recherche dans une perspective thérapeutique .

Création d'un fonds public pour la recherche à visée thérapeutique sur la trisomie 21 alimenté par une taxe sur le dépistage, redonner l'entière liberté aux médecins de prescrire ou non les tests en supprimant la contrainte qui pèse actuellement sur eux, n'est-ce pas le minimum que la puissance publique puisse permettre si l'on souhaite que notre société reste solidaire ? Le législateur aura-t-il le courage de saisir la chance historique qui lui est donnée dans la phase ultime des États généraux de la bioéthique pour répondre favorablement à ces propositions salutaires ? N'est-il pas venu pour lui d'envoyer un message fort aux Français ?
Pour en savoir plus :

[1] http://www.assemblee-nationale.fr/ Cf. aussi Jean-Marie Le Méné, Les risques d'un dépistage à outrance de la trisomie 21 , Le Figaro, 9 mai 2009.
[2] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, Étude adoptée par l'Assemblée générale plénière, 6 mai 2009,
[3] http://www.famillechretienne.fr
[4] L'aménorrhée correspond au nombre de semaines écoulées depuis le premier jour des dernières règles de la femme enceinte : la fécondation ayant lieu généralement 14 jours après le début du cycle menstruel, il existe généralement une différence de 2 semaines entre la période d'aménorrhée et celle de la grossesse proprement dite.
[5] Docteurs Lionel et Jacqueline Rossant, L'amniocentèse, janvier 2009, www.doctissimo.fr
[6] Le Quotidien du Médecin, 10 avril 2009.
[7] V. Serror, "Prenatal screening for Down syndrome: women's involvement in decision-making and their attitudes to screening", Prenatal Diagnosis 2009, 29: 120-128.
[8] CCNE, Avis n. 66, Réponse aux saisines du Président du Sénat et du Président de l'assemblée nationale sur l'allongement du délai d'IVG, 23 novembre 2000.
[9] Jean-Marie Le Méné, La trisomie est une tragédie grecque, Salvator, Paris, 2009.

 

 

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