Homme et femme, de la nature humaine à la personne

L’homme, sa nature et sa personne : Nous entrons maintenant au cœur du sujet : quels sont les enjeux éthiques et politiques pour l’homme (générique) entre sa nature et sa personne ? Notre nature, la nature humaine, est constituée de notre corps, en lien direct à l’univers physique, et de notre âme, la source cachée et immanente de nos opérations vitales. L’âme fait l'unité de la complexité et de la diversité de notre vie. Elle est distincte du corps, tout en étant dans le corps. L’âme n’est donc pas saisie directement, mais par le corps, parce que nous sommes des êtres incarnés. 

Cela met en évidence l’antériorité radicale de la nature par le corps sur la personne, corps et esprit. Nous sommes corps et âme unis substantiellement, d’où cette antériorité radicale de la nature sur la personne. L’esprit n’est pas l’âme, contrairement à ce que l’on dit ou que l’on croit souvent. L’âme et l’esprit sont étudiés en philosophie du vivant. L’âme est un principe, un premier dans l’ordre de la vie, tandis que l’esprit caractérise la vie humaine. Il est intelligence et volonté. Il différencie l’être humain des êtres vivants, car l'homme pense, réfléchit, juge, critique, aime ou contemple. Ces activités dépassent la vie du corps, donc la vie végétative et pour une part la vie sensible qui reste liée à l’imagination, et à la matière bien entendu. L’esprit dépasse la matière, le devenir, par l’activité de l’intelligence, en particulier le noûs, l’intelligence séparée, et de la volonté qu’est l’amour spirituel.

Cette antériorité de la nature sur la personne fait comprendre la place essentielle de l’éducation de l’enfant dans sa croissance, en vue de devenir une personne. En effet,  l’enfance repose dans la première éducation sur la nature, tandis que l’âge adulte est atteint à la maturité par l’acquisition d’habitus par les finalités citées dans les dimensions fondamentales de la personne. L’éducation se situe donc entre nature et personne, impliquant le corps, l’âme et la finalité, donc les habitus progressivement acquis, les vertus au terme desquelles se trouve l’habitus de sagesse. L’antériorité de la nature sur la personne est d’ailleurs mise en évidence par l’antériorité de la matière, donc de la nature sur la forme dans l’activité artistique.

La domination de la forme apparaît aujourd’hui de toute évidence dans les mathématiques qui marquent et, davantage, déterminent l’esprit humain. L’art des mathématiques manifeste cette prééminence de la forme, donc de l’absolu de l’immanence de la pensée mathématique sur la transcendance de la réalité. Peut-on poser le jugement d’existence « ceci est » en mathématiques ? Non, car il se pose face à une réalité. Les mathématiques n’appartiennent pas à l’ordre de « ce qui est », donc de l’être, mais à l’ordre de « ce qui est possible », du possible. Or le possible n’existe pas dans la réalité, mais dans l’imaginaire humain. Par contre, la métaphysique, dans la question « en vue de quoi l’être ? », pose son regard sur la finalité dans l’ordre de l’être dans sa transcendance. Les mathématiques sont un outil, peut-être l’outil le plus noble dont l’intelligence se sert à l’aide de l’imagination, à condition de revenir sans cesse au réel, à la réalité pour laquelle elle est faite, sans lui imposer les seuls effets imaginatifs, donc rationnels. Une intelligence conduite par l’imaginaire n’est plus tournée vers sa finalité, vers « ce qui est », l’être, mais vers son propre devenir dans le raisonnement en mouvement sur lui-même. Tel est le fonctionnement courant de la pensée moderne.

Dans son analyse, sa recherche, le philosophe doit dépasser les mathématiques, l’utiliser certes, mais la dépasser nécessairement, pour permettre à l’intelligence de se servir de l’imagination tout en la purifiant face à l’être. Sinon la forme, devenant une forme pure, enferme la pensée sur elle-même en dehors de toute réalité et substituant la pensée à la réalité. La finalité disparaît alors pour laisser place au concept de valeur, qui supprime la nature et la personne. Avec la perte du sens de la finalité, le genre devient un absolu, un fondement, la quantité s’imposant sur la qualité et la dominant, la vidant de son apport substantiel. La pensée s’exalte, puis engendre le règne de la pensée absolue, selon le mode hégélien.

Que devient dans l’ordre des valeurs la distinction homme et femme ? Elle disparaît, car les mathématiques ne sont ni masculines, ni féminines. Par les mathématiques, l’homme se situe au-delà de la nature, ce qui entraîne l’égalité homme et femme par les mathématiques, au-delà de la nature que l’homme supprime. Il ne regarde que les mathématiques, car elles viennent de lui et dépendent totalement de lui. N’étant ni masculines ni féminines, on peut dire que les mathématiques sont plus intuitives chez la femme par son sens de l’intériorité et plus rationnelles chez l’homme par son sens de l’extériorité. Ce qu’il importe surtout de comprendre et de respecter, c’est que la philosophie de l’être, la métaphysique, fait découvrir la personne en tant que dépassement, puis accomplissement plénier de la nature. Les mathématiques demeurent le lieu de rencontre de l’esprit humain, homme ou femme sans distinction, puisqu’elles ne sont pas d’ordre naturel, mais d’ordre artistique et conceptuel. Cet ordre est atteint par l’intelligence imaginative dominée par l’esprit scientifique. D’où la prééminence de la quantité qui unifie et uniformise, face à la qualité qui différencie et distingue.

Les mathématiques, omniprésentes dans l’esprit moderne, et la métaphysique, science de l’être, sont considérées comme référents de la philosophie idéaliste et contemporaine pour l’une et de la philosophie réaliste pour l’autre, référents à l’opposé l’un de l’autre, pourrait-on ajouter. Ce qui les différencie en premier lieu, c’est l’ordre existant entre l’immanence et la transcendance. L’autre, la réalité autre que moi est-elle respectée pour elle-même ou bien est-elle absorbée dans le mouvement vital de la pensée ? Dans le travail ou l’art, la matière est autre que l’agent, l’artiste, le travailleur et, bien entendu, l’univers physique. Dans l’amitié, l’ami est autre que moi. Enfin, à la source de l’être, Dieu est autre, Dieu que l’homme rencontre et vénère dans l’adoration. En transférant le regard de l’autre sur soi, la pensée aboutit à la confusion de l’être et de la vie, le raisonnement immanent absorbant l’être. C’est le point de départ de l’ontologisme, confusion entre l’être et la vie, l’être inhérent à la vie. L’autre n’existe plus pour lui-même, en tant qu’autre, mais il devient relatif à la pensée. Aussi, l’intelligence, pour respecter l’être, doit le saisir en se détachant du sensible d’où provient l’imagination. Mais la plupart des gens vivent au niveau du sensible, s’arrêtent au sensible, puis demeurent dans l’imaginaire. L’être n’est donc pas atteint, enfermé dans la forme. Et l’homme ne cherche plus la vérité, tout en demeurant sincère, car la vérité n’est pas dans l’imagination, dans l’idée, mais dans l’être.

L’âme est à la vie, ce que la substance est à l’être, en tant que principe d’autonomie. En effet, l’homme est autonome par son être, autonomie dont il faut avoir conscience pour atteindre la finalité. Car, il ne peut pas être finalisé, s’il n’a pas conscience de son autonomie existentielle. Un être finalisé sait où il va, tandis qu’un être non finalisé erre, puis est manipulé par l’opinion. La personne, « comment » de l’être, est unie substantiellement au corps qui fait partie de la nature humaine. Mais le corps et l’âme n’ont pas les mêmes finalités, le corps soumis au temps, contrairement à l’âme. Il peut tomber malade. Il vieillit, puis il meurt, tandis que l’âme ne vieillit pas, ne meurt pas. Cependant l’âme fatigue sous les effets de la corruptibilité du corps, jusqu’à se séparer de lui au terme de la vie. Aussi, l’âme ne vieillissant pas, l’esprit humain peut dépasser la vieillesse et garder sa jeunesse, voire même rajeunir avec l’âge, malgré le poids du corps, sauf s’il est trop lourd. On peut être âgé et rester jeune, voire même rajeunir par une plus grande richesse intérieure et rayonner davantage.

L’homme, corps et âme, reçoit son corps de la nature dans l’union complémentaire de l’homme et de la femme, comme dans la vie animale en général. Mais qu’en est-il de l’âme humaine qui n’est pas seulement animale, qui dépasse la vie animale ? D’où vient-elle ? L’âme, principe de vie, est créée directement par Dieu, parce que, comme le noûs, la part séparée de l’intelligence, dans sa partie haute l’âme spirituelle échappe à la matière. Dieu ne crée pas la vie. Dieu ne crée pas directement le chat ou le chien. Dieu ne crée pas directement l’homme ou la femme, mais Dieu crée l’âme humaine, parce qu’elle est spirituelle. Dieu ne crée pas la vie, mais l’être vivant. L’homme exerce un pouvoir sur la vie, sur le devenir. L’homme ne crée pas la vie. Il la transforme. Il exerce un pouvoir sur l’être vivant, non pas directement, mais le devenir impliquant la matière. Par exemple, tous nous mourrons un jour et notre corps devenu cadavre pourra se décomposer comme matière ou être réduit en cendres par l’homme, comme certains le décident après leur mort. Mais il s’agit du devenir auquel échappe l’âme spirituelle.

L’animal a-t-il une âme ? Couramment, on le dit. En fait, au sens strict du mot, on doit dire que l’animal a une nature, parce que la nature est principe du devenir. L’animal n’existe que dans le devenir. Sa nature ne survit pas après sa mort, tandis que l’âme humaine, qui est spirituelle, demeure après la mort physique de l’homme. C’est pourquoi, l’animal peut être un aliment pour l’homme. Dans cette distinction fondamentale entre l’âme et la nature, il est nécessaire de comprendre que l’âme est principe de vie, que la substance est principe d’être pour l’homme, tandis que la nature est principe du mouvement pour les êtres vivants. La substance est donc appliquée seulement à l’homme qui existe au-delà du devenir par l’esprit, par l’intelligence séparée, le noûs, ce mot venant d’Aristote.

Créée directement par Dieu, à quel moment l’âme est-elle créée ? Dès la conception ou plus tard ? Le philosophe ne sait pas, mais il sait que l’embryon est un être humain en devenir, en vue d’être un homme. La création de l’âme pourrait donc avoir lieu, quand l’embryon aurait de fait acquis une certaine autonomie existentielle par rapport à la mère. Dans ce sens, l’embryon doit être respecté dès la conception, car il existe en vue de devenir un être humain, doté d’une âme spirituelle. C’est par la finalité qu’il est possible de répondre à cette question sur la création de l’âme, donc du respect de l’embryon dès sa conception.

D’autre part, la complémentarité entre l’homme et la femme dans l’ordre de la procréation vient du Créateur, vient de Dieu, en tant que finalité dans l’ordre de la nature, car l’esprit humain dans la complémentarité échappe à la matière et au devenir. Ne pas tenir compte de cette complémentarité naturelle voulue par le Créateur, entraîne de graves conséquences dont on constate les effets au niveau scientifique et idéologique, en particulier dans le domaine de la bioéthique. Aller à l’encontre de la volonté du Créateur, c’est refuser sa sagesse et attribuer à l’intelligence un pouvoir prométhéen dont elle s’arroge indûment au risque de détruire l’univers et ses habitants, et à cet habitant qu’est l’homme de s’autodétruire. Cela ne désigne-t-il pas le péché originel décrit dans le Livre de la Genèse ?

Henri de Lubac écrit dans son livre Le drame de l’humanisme athée : « Humanisme positiviste, humanisme marxiste, humanisme nietzschéen : beaucoup plus qu’un ath éisme proprement-dit, la négation qui est à la base de chacun d’eux est un anti-théisme, et plus précisément un antichristianisme. Si opposés qu’ils soient entre eux, leurs implications, souterraines ou manifestes, sont nombreuses, et de même qu’ils ont un fondement commun dans leur rejet de Dieu, ils trouvent aussi des aboutissements analogues, dont le principal est l’écrasement de la personne humaine. »

 

Jean d’Alançon