[Intervention du sénateur Bruno Retailleau sur le projet de loi relatif à la bioéthique, Sénat, discussion générale, 5 avril 2011.] — Le sénateur de la Vendée condamne l'abandon de l'interdiction de la recherche sur l'embryon.

LE PROJET DE LOI relatif à la bioéthique est d'une portée singulière et essentielle.

Singulière parce qu'il nous interroge dans notre for intime, sur notre conception de l'existence humaine et finalement sur l'avenir de l'homme au moment où la Science ouvre des perspectives vertigineuses souvent pleines d'espoir mais parfois aussi inquiétantes.

Ce débat est singulier aussi parce qu'il questionne notre conscience et qu'il dépasse évidemment les réflexes partisans habituels. Nous savons bien que, quelle que soit notre appartenance politique, il y a une appartenance commune plus profonde et plus large encore qui est l'appartenance à une même humanité. Et nous partageons cette idée simple et forte que la dignité d'une personne, dans sa singularité, n'est pas négociable.

C'est un texte essentiel par ses enjeux. Jusqu'où peut-on aller, jusqu'où ne doit-on pas aller pour ne pas franchir des seuls anthropologiques qui blesseraient l'essence même de l'homme ? Il est essentiel parce qu'il n'a rien d'uniquement scientifique ou de technique. En repoussant toujours plus loin les limites dans la maîtrise du vivant, nous modifions aussi l'échelle des valeurs qui fondent la vie en société. Les choix que nous ferons n'exprimeront pas seulement une vision de l'homme, ils renforceront ou affaibliront le lien social. En ce sens, c'est un débat profondément politique.

Ce texte au fond pose trois questions :

  • Quelles limites l'éthique doit-elle donner à la science et comment s'assurer que la Science reste bien au service de l'homme ?
  • Quels repères l'éthique doit-elle poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle ?
  • Quelles bornes doit-elle imposer au marché, aux intérêts financiers, qui, dans chaque avancée, voient d'abord une opportunité de profit ?

Première question : L'éthique et la science

Bien sûr, la science est un formidable facteur de progrès. Elle s'identifie même avec l'idée de modernité.

Mais notre modernité ne doit pas être l'emballement d'une grande machinerie qui, au nom d'une ambition prométhéenne, déclasserait une promesse d'humanité au rang de matériau de laboratoire.

De ce point de vue, l'abandon du régime d'interdiction pour la recherche sur l'embryon humain me paraît être une lourde erreur.

Remarquons d'abord que passer du régime de l'interdiction avec des exceptions au régime d'autorisation encadré, ce n'est pas du tout la même chose. C'est tout simplement l'opposé, c'est une inversion radicale du principe de protection.

Cette rupture ne se justifie pas pour deux raisons essentiellement :

1/ La première est fondamentale et elle est accessible à tous. La loi civile pose le principe intangible du respect de la personne dès le commencement de sa vie. C'est l'article 16 de notre Code civil.

Or le problème n'est pas de savoir si l'être humain est intouchable mais à partir de quand devient-on un être humain ? Comment en effet définir et dater un seuil d'entrée dans l'humanité ?

Le Comité consultatif national d'éthique n'a pas apporté de réponse définitive mais il indique, je cite, que  l'embryon est une personne humaine potentielle . Et effectivement, chaque étape de son développement est comme contenu dans l'étape qui la précède.

Et quand bien même, mes chers Collègues, aurions-nous un doute à cet égard, ce doute ne serait-il pas suffisant pour nous abstenir de traiter l'embryon comme un produit de laboratoire ?

2/ D'autant plus qu'il existe désormais des alternatives. C'est précisément la deuxième raison pour laquelle le principe de l'autorisation de la recherche sur l'embryon n'est pas souhaitable, c'est que désormais d'autres techniques sont disponibles. En effet,  grâce aux recherches sur les cellules  adultes reprogrammées ou les cellules issues du cordon ombilical, il y a désormais une alternative. Finalement, la science vient au secours de l'éthique, en offrant au progrès d'autres voies moins intrusives et plus respectueuses.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous serions bien inspirés de revenir au principe de la recherche sur l'embryon rappelé en première lecture par l'Assemblée nationale.

Seconde question : Quel repère l'éthique doit-elle poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle ?

Cette interrogation n'a rien de théorique : la liberté individuelle devient une sorte d'horizon indépassable. Il suffit qu'une demande s'exprime pour que l'on somme le législateur de l'entériner par la loi !

Mais ma conviction est que la tâche du politique n'est pas d'être le greffier des particularités, c'est au contraire de promouvoir la chose commune. Comme disait Malraux :  L'individu s'oppose à la société mais il s'en nourrit. 

Deux sujets expriment bien cette tension entre les désirs des uns et notre identité collective.

1/ C'est d'abord le cas de l'assistance médicale à la procréation : les innovations scientifiques  ne doivent pas avoir pour objet de satisfaire toutes les aspirations individuelles et il ne saurait y avoir de droit à l'enfant. Sur ce sujet, je voudrais d'ailleurs saluer la position de notre commission favorable à l'interdiction du transfert d'embryon post mortem.

2/ Le second sujet qui illustre ce conflit entre individus et société concerne le dépistage prénatal généralisé. La quête de l'enfant parfait, avec zéro défaut, est une tentation dangereuse, faustienne. Le diagnostic anténatal comporte de fait un risque grave et sérieux d'eugénisme.

Bien sûr, comment ne pas comprendre le désarroi des parents devant un enfant handicapé qui va bouleverser leur vie ? Et pourtant, pour ceux que je connais, aucun ne m'a jamais confié que ce handicap avait diminué l'amour pour leur enfant. C'est tout le contraire. Alors comment comprendre ce chiffre terrible que 96 % des grossesses diagnostiquées trisomiques font aujourd'hui l'objet d'un avortement ?

Peut-on affirmer dans ces cas sereinement que l'application systématisée de ces techniques mène à un progrès, nous qui pensons qu'une civilisation, qu'une société, se juge au sort qu'elle réserve aux plus fragiles ? Parce que l'humanité blessée, l'humanité différente, c'est encore l'humanité, c'est encore nous-mêmes. Alors faisons au moins en sorte de consacrer les mêmes moyens au traitement de la maladie que ceux que nous dépensons pour ce seul dépistage.

En conclusion, mes chers collègues, je voudrais dire que ce débat n'est pas un combat. Car pour combattre, il faut être adversaires. Nous avons peut-être des convictions différentes, mais nous avons tous une certitude en commun qui est l'unicité de notre condition humaine.

Ce qui est en jeu dans ce débat, ce n'est pas d'un côté le progrès contre de l'autre, l'éthique, la liberté individuelle contre le pacte collectif. Ce qui est en cause, c'est la défense même de l'humanisme. Dans l'histoire récente, il est souvent arrivé à l'homme de gâcher la nature ; dans l'avenir, ne prenons pas le risque d'abîmer notre propre humanité.

 

* Bruno Retailleau est sénateur de la Vendée.

 

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