Nos coups de coeur
Vous en souvenez-vous de cette époque, fin des années soixante, où tôt le dimanche matin, vous faisiez oraison sur RTL avec l’Abbé Barreau et le Père Marc de bel homonyme ? Depuis, réduit, mais pas tant que cela, à l’état laïc, l’abbé n’en a pas moins pris toutes ses aises au sein de la société civile. A quelle obédience politique pourrions-nous non certes encore une fois «réduire» la pensée de l’abbé, mais la rattacher sans pour autant vous infliger en ce bel été un cours de philosophie politique ? Barreau est un ‘‘nationiste’’ pour user d’un terme forgé il y a quelques années par Pierre-André Taguieff pour qualifier tous les patriotes qui ne veulent plus se laisser dénaturer par des contradicteurs de mauvaise foi les confondant avec les nationalistes à la Barrès. Les «nationistes» (l’auteur n’utilise pas le terme dans ses ouvrages) peuvent être capétiens, péguystes, gaullistes, gaulliens et fiers de l’Être au rebours de l’ «avoir», ils goûtent moins le bourgeoisisme arriviste louis-philippard, la bobitude fière d’elle-même, le centrisme (ce vichysme de temps de paix selon Philippe de Saint Robert) et tout ce qui tourne autour de cette pensée molle, béate, bêtement optimiste, dénuée d’esprit critique et dont si bel échantillon s’étale de plus fort de nos jours en un médiatique, permanent et affligeant spectacle à nos pauvres yeux et oreilles. Jean-Claude Barreau exprime ainsi une de nos rares pensées légitimes actuelles : l’orléanisme mondialiste l’insupporte, le moralisme progressif le rebute. Pour appeler les choses (et les gens par la même occasion) par leur nom, nous préciserons sans grand risque que cette doctrine-là invite tant faire se peut à voter Nicolas D. A. , voire Jean-Pierre C. (la publicité de marque est ici interdite). C’est peu dire qu’un livre qui commence en fessant des individus comme Bernard Henri Lévy, Minc ou Mérieu offre toutes les promesses d’un bon livre.
Quel est dans l’Histoire le pendant idéal d’une telle conception de l’ordre politique. Eh bien, le paradis se trouvait à portée de notre porte, et de notre siècle. Il a pris fin au crépuscule du XVIIIème, Bonaparte lui donnant le coup de grâce. La fin des empires a souvent quelque chose de triste. L’empire vénitien qui avait fondé des comptoirs jusqu’à Chypre et la Crimée, en passant par la Grèce et la côte dalmate, est mort de lui-même. Les Grecs croyaient-ils à leurs dieux ? se demandait Jean-Pierre Vernant. A la fin, les vénitiens n’avaient plus d’idéal, n’incarnaient plus dans leurs vies politique, sociale, économique, financière et judiciaire les si puissants, précis et équilibrés principes de républicanisme oligarchique qui avaient régenté jusque là leur univers. On sent bien que le libéralisme des mœurs qui régnait excite encore quelque peu notre libertin abbé qui eut, par exemple, occupé avec plaisir sous Louis XV la place du cardinal de Bernis : celle d’ambassadeur de France auprès de la cité des Doges. L’abbé, toujours concret, pousse le souci du détail jusqu’à proposer d’interdire le passage de ces mastodontes de paquebots pollueurs (et d’abord par leurs passagers) dans ces divines eaux et d’installer un genre d’Onu dans le Palais des Doges. La première mesure s‘impose en effet, et Venise s’y résoudra, quitte à perdre des devises (qui, de toute manière, ne seront plus alors en euros.) La seconde serait contre-productive : nos diplomates sans pères, patries ni repères n’auraient pas moins de raisons de saloper les lieux que ne le font nos gentils touristes, - gentils, mais touristes.
Avant d’argumenter, de plaider, de voter – on ira jusqu’à dire : avant de penser – inscrivez-vous au Barreau. N’en doutez pas : c’est là la seule corporation contemporaine à conserver.
Hubert de Champris
Jean-Claude Barreau,
Un capitalisme à visage humain – Le modèle vénitien -,
Fayard,
188 p.,
14,90 €.