À quelques jours de Noël, les magasins ouverts le dimanche déballent pour la fête un étalage de clinquant et de vide, dans des proportions qui frisent l'obscène pour les grandes villes. Le débat sur le repos dominical serait-il fini et l'affaire entendue ? Pas si sûr.

Dans un dossier à la une, intitulé le Miroir aux alouettes conduit par Emmanuel Pellat, Famille chrétienne revient sur la loi du 10 août 2009 (J.O. 11 août 2009). Le journal conclut que, au-delà des clivages traditionnels, la défense du dimanche chômé fait de plus en plus d'émules. La création d'emplois promise est loin d'être au rendez-vous.
Le maire PS de Lyon, Gérard Collomb, répond aux questions de l'hebdomadaire catholique : [...] le dimanche est – et doit rester – un jour exceptionnel pour une majorité de salariés et de Français. Il doit être, pour ainsi dire, "socialement sacralisé" [1]. On s'étonne mais pour s'en réjouir que soient convoqués L'Ecclésiaste et les non possumus des premiers martyrs chrétiens pour illustrer des arguments que les défenseurs du dimanche chômé en France et en Europe n'ont cessé de faire valoir depuis plus de deux ans désormais. Que la Bible soit experte en anthropologie, voilà ainsi rappelés de bons fondamentaux dans un horizon sociétal perdant chaque jour davantage le Nord.
Dans la ligne de mire toujours, les grands magasins avec en arrière-fond le Comité Haussmann [2], hyperactif dans sa volonté de ne déclarer le quartier éponyme que zone touristique [3]. La guerre avec la ville de Paris est donc plus que jamais ouverte. Bertrand Delanoë et Lyne Cohen-Solal [4], son adjointe chargée du commerce, de l'artisanat et des professions indépendantes, ne lâchent pour l'instant rien. On ne saurait leur donner tort.
L'affaire des supérettes
Mais il n'y a pas que les Grands Magasins du quartier Haussmann. Il y a également l'affaire des supérettes qui agite Paris. Avant le 10 août, celles-ci ouvraient illégalement au-delà de midi le dimanche matin. La nouvelle loi s'est dépêchée de légaliser l'horaire illégal et autorise désormais l'ouverture jusqu'à 13h. Jusqu'à 13h uniquement ! Faisant la sourde oreille ou profitant de la pagaille — on ne sait — les supérettes continuent plus avant cependant leur OPA, et veulent tirer davantage, illégalement, sur l'après-midi du dimanche, ouvrant déjà jusqu'à 14h ou davantage pour les plus audacieuses, tout l'après-midi.
Dans le grand XVe arrondissement du député Jean-François Lamour (UMP), l'une d'entre elles affiche sans vergogne son ouverture illégale jusqu'à 21h30 [5] ! Des sites internet ont même commencé à répertorier ces ouvertures du dimanche dans la capitale. La création de la consommation du dimanche aura bien lieu. Elle est en marche. Après elle, le déluge ! C'est le nouveau credo du dimanche de nos politiques.
Mais l'offensive ne fait que commencer. On continue d'ouvrir un peu plus la boîte de Pandore. À venir : non un PUCE mais une zone d'hyper-centre . En 2009, les réflexions engagées pour arriver quoi qu'on en dise à la généralisation des dérogations à Paris ont conduit la CCIP (Chambre de commerce et d'industrie de Paris) à identifier de nouveaux périmètres de zones touristiques tenant compte de l'intérêt culturel, architectural et historique, la densité commerciale et les capacités d'accueil du secteur [6] . Où l'on continue de jouer avec les mots : À partir de ces critères, la CCIP a notamment proposé de mettre en œuvre une zone "d'Hyper-Centre" au sein de laquelle l'ouverture le dimanche pourrait se justifier avec, non pas une obligation, mais un droit d'ouverture.
Pas une obligation, mais un droit d'ouverture . Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le droit d'ouverture finira pas devenir une obligation.
Une question de constitutionnalité
Une vigilance de tous les instants s'impose donc, le danger vient du côté où l'on ne s'y attend pas. Une nouvelle alerte a été lancée avec l'exploitation d'un point de loi nouveau-né, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Tout justiciable peut, depuis le 1er mars 2010, soutenir, à l'occasion d'une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, "qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit", en application de l'article 61-1 de la Constitution.
Maître Lecourt avocat de l'intersyndicale du Commerce de Paris (CLIC P) a réagi lors d'une audience publique du mardi 26 octobre 2010 [7]. La Cour de cassation a en effet transmis au Conseil constitutionnel une question préalable et prioritaire de constitutionnalité concernant l'ouverture d'un magasin alimentaire le dimanche. Le repos dominical, anticonstitutionnel ? Peut-être bien : La logique est toujours la même, explique l'avocat. Elle est sous tendue par le fait que le droit du travail constitue une entrave à la liberté d'entreprendre. Interdire à une enseigne d'ouvrir le dimanche parce qu'elle ne peut pas employer des salariés l'empêche de faire du chiffre d'affaires.
Plus qu'inquiétant donc ce nouvel asservissement des uns, les salariés, au nom de la liberté des autres, mais l'on n'est pas dans ce dossier à une incohérence près ! Maître Lecourt ne manque pas d'épingler la courte vue qui consiste à opposer ainsi les consommateurs aux salariés . Rien de plus confondant en effet car c'est oublier que le consommateur est souvent lui aussi un salarié. Tant que le consommateur n'est pas lui-même confronté au travail dominical, il est pour l'ouverture des commerces le dimanche, seulement après, c'est trop tard .
Concernant cette QPC, le juriste rigoureux pousse jusqu'à l'absurde le raisonnement : Paradoxalement, en étant largement provocateur, j'aimerais assez que le Conseil constitutionnel déclare le repos dominical des salariés contraire à la Constitution. Mais en cas de refus, l'État français sera obligé de donner au repos dominical une protection constitutionnelle, et de rendre la Constitution compatible avec les engagements internationaux de la France, sauf à mettre l'État au ban des nations.

L'État s'est en effet engagé à garantir le repos hebdomadaire des "travailleurs" (c'est le terme international) en signant en 1971 une convention de l'OIT applicable au secteur du commerce et des bureaux qui reprend un autre engagement pour ce qui concerne l'industrie. Or, selon cette règlementation, il s'agit d'un jour de repos commun à la société. En Europe, il est admis que ce repos doit être donné le dimanche par tradition culturelle.
Il y a des précédents. La République fédérale d'Allemagne qu'on ne peut soupçonner de n'être pas attentive à la consommation, à la création d'emplois et au pouvoir d'achat, a depuis longtemps sanctuarisé le dimanche le protégeant pour ses citoyens jusque dans sa Constitution en tant que jour d'élévation spirituelle [8] .
Que penser ? Sommes-nous proches d'un point de non-retour ? Ce jour chômé qui protège la santé, la liberté religieuse, les femmes, les enfants, la vie familiale, l'engagement politique, ce jour si spécial qui permet un meilleur ajustement de la vie privée et de la vie professionnelle [9] va-t-il se voir réellement frappé en France d'anti constitutionnalité ? Réponse avant le 26 janvier 2011.
Pour l'heure, il est recommandé d'écrire à nos députés et à nos eurodéputés, de redire à nos représentants avant grandes et moins grandes élections, à chaque fois que nous le pouvons, notre attachement au dimanche chômé, signe d'une civilisation avancée qui protège ses citoyens les plus faibles.

En Europe
Si en France, la QPC est certes à surveiller, au niveau de l'Europe l'initiative citoyenne européenne (l'ICE) est pour bientôt, même si elle peine à trouver ses marques : prête sans doute en cette fin décembre 2010, allégée de ses contraintes les plus suspectes, elle ne pourra pas prendre effet immédiatement et les défenseurs du dimanche chômé devront attendre pour en exploiter la formule. Il semble qu'il faille après le coup d'envoi officiel donner encore au moins six mois aux États membres pour la rendre opérationnelle. Si l'on compte bien, rien donc probablement avant juin 2011 [10].
Quoi qu'il en soit, QPC, ICE, l'on s'interroge sur ces tout nouveaux moyens citoyens qui émergent. Serait-ce l'aveu d'une représentation des nations en échec ? Une chose est sûre : c'est un grand dommage de satisfaire les lobbies au lieu de représenter réellement le peuple. D'être ensuite obligé de suppléer par des voies hasardeuses.
Noël vient et avec la fête de la Nativité ses vœux de bonheur et de paix si chers aux familles. Gardons-nous de plier devant les rythmes de vie imposés de l'extérieur qui effacent insidieusement les grandes balises du temps. N'en déplaise à certains, le dimanche est une grande trace de modernité et la mise à mal du dimanche signale que notre modernité ne va pas bien. Défendre le dimanche, préserver toutes les fêtes chômées, nous oblige à penser à frais nouveaux une moralité de la modernité .
Le travail du dimanche est un activisme mortifère. À Peter Seewald, le pape dit comment il se garde de l'activisme abordant le versant lumineux du vrai repos : Ne pas tomber dans l'activisme signifie garder la considération, la circonspection, le regard profond, la vision, le temps de l'examen intérieur, de la vue, et savoir se conduire avec les choses, avec Dieu et au sujet de Dieu. Ne pas penser qu'il faut travailler sans interruption, c'est important pour chacun... [11].
Vivre selon le dimanche, c'est important pour la société tout entière.
*Hélène Bodenez a écrit A Dieu, le dimanche ! (Ed. Grégoriennes).
[1] Si la loi est passée de justesse en juillet 2009 c'est aussi parce que certains députés de Lyon entre autres (Lyon n'était pas concerné) se sont abstenus au lieu de voter contre.
[2] L'association regroupe Marks & Spencer, C&A, le Printemps et les Galeries Lafayette.
[3] En zone touristique, rappelons qu'il n'y a pas de doublement de salaire ni de volontariat. Bertrand Delanoë a proposé que le quartier Haussmann satisfasse aux nouveaux points de loi, qu'il soit donc déclaré PUCE (périmètre d'usage de consommation exceptionnelle), avec doublement de salaire et volontariat. Refusé.
[4] Que les dominicains du 222 Faubourg Saint-Honoré à Paris veulent faire intervenir dans leurs rendez-vous du jeudi. Conférence du 9 décembre reportée.
[5] Il y a actuellement grand cafouillage, signe de la complexité de la loi du 10 août : à preuve, rue de Vaugirard, l'une d'entre elles a d'abord peint sur sa nouvelle vitrine un horaire, et s'est ravisée quelques jours plus tard, pour ramener l'heure de fermeture le dimanche aux normes de la nouvelle loi.
[6] Réponse le 13 octobre 2010 de Philippe Goujon (UMP) à notre lettre du 10 août 2010 à propos de la page 10 du journal d'arrondissement Quinze, demandant des explications et les études justifiant les chiffres avancés, ceux d'une création de sept cents emplois (VC/13.10.10).
[7] N° de pourvoi : 10-40036 - Publié au bulletin Qpc seule - renvoi au cc.
[8] L'article 139 de la WRV repris sous l'article 140 de la GG stipule: Der Sonntag und die staatlich anerkannten Feiertage bleiben als Tage der Arbeitsruhe und der seelischen Erhebung gesetzlich geschützt. — Le dimanche et les jours fériés reconnus par l'État demeurent en tant que jours de repos et d'élévation spirituelle sous la protection de la Loi . Cf. Décryptage, 11 décembre 2009.
[9] Comme l'a démontré la Conférence internationale pour le dimanche chômé, organisée à l'appel du député européen allemand Thomas Mann (EPP/CDU), vice-président de la Commission de l'emploi et des affaires sociales et appelant à signer la pétition Call for a work-free Sunday.
[10] 19.104 signatures pour la pétition au 12 décembre 2010.
[11] Benoît XVI, Lumière du monde, Paris, Bayard, 2010, p. 102.
NB. Cet article n'est pas ouvert aux commentaires.

 

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