Les éditeurs de manuels scolaires, nous dit-on, sont seuls responsables. Dans la polémique sur l'enseignement scolaire de la théorie du genre, Luc Chatel et ses conseillers ont bien vite utilisé cette justification face aux réactions et autres pétitions contre le contenu du chapitre Devenir homme, devenir femme dans les manuels de SVT de nos classes de première L et ES. Et si l'on se passait de ces éditeurs ?
Ce n'est pas de la responsabilité du ministère
Le site du Figaro explique ce 6 octobre, dans un compte-rendu de la cérémonie de Bordeaux-III [voir la lettre que son Président nous adresse]: Le directeur [général] de l'enseignement scolaire [au ministère de l'Éducation nationale], Jean-Michel Blanquer a eu beau expliquer à plusieurs reprises que les programmes se contentaient de faire le point sur des connaissances scientifiques clairement établies, rien n'y a fait, la polémique sur le genre a empoisonné la rentrée scolaire. Il ne s'agit pas de favoriser telle ou telle théorie sociologique particulière. S'il y a une extrapolation de certains manuels, ce n'est pas de la responsabilité du ministère, avait-il affirmé au Figaro.
De son côté, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) écrivait le 5 octobre sur son site : La CNAFC a finalement été reçue le mardi 4 octobre 2011 par deux conseillers du ministre de l'Éducation nationale. (...) cette rencontre a enfin permis au mouvement d'exposer en détails les raisons de la forte mobilisation des familles sur le sujet et la nature des réserves inspirées par le nouveau programme de SVT et, surtout, par sa traduction dans les manuels. Sur ce dernier point, les conseillers du ministre ont assuré que la décision en la matière ne leur appartenait pas. La CNAFC s'est, quant à elle, étonnée des fortes similitudes existant entre les manuels des différents éditeurs.
Déjà en juillet, la CNAFC remarquait, suite à un courrier reçu de Guillaume Lambert, chef de cabinet du Président de la République : Important aussi est la mention, par Monsieur Guillaume Lambert, du fait que certains [des] éditeurs ont d'ailleurs depuis reconnu quelques maladresses dans l'interprétation des textes . C'est déjà un fruit important de la mobilisation des uns et des autres, mais il semble qu'aucun éditeur n'ait depuis proposé de correctifs.
Pour déminer la fronde
Est-ce pour cela que se mettent en place missions et auditions sur les manuels ?
Luc Chatel vient en effet de confier à un inspecteur général de l'éducation nationale, Michel Leroy, une mission sur les manuels scolaires, en lui fixant une échéance que l'on peut qualifier d'urgente - fin 2011, début 2012 - selon l'agence d'information AEF qui publie la lettre de mission. Le ministre écrit dans cette lettre que si, en France, le choix du manuel relève de la liberté pédagogique des enseignants, l'importance de cet outil dans la pratique scolaire et dans la mise en œuvre des programmes requiert tout naturellement l'attention du ministre . Il reconnaît au passage que des interrogations se font jour régulièrement sur les contenus des manuels scolaires, mais aussi sur la pertinence et leur usage dans un contexte pédagogique, culturel et technologique en forte évolution .
De son côté la Lettre de l'Expansion dévoile que la Commission culturelle de l'Assemblée devrait organiser des auditions d'éditeurs de manuels scolaires afin de comprendre comment ces derniers sont réalisés. Cette initiative, appuyée par Richard Maillé, est destinée à déminer la fronde des 80 députés UMP qui ont demandé le retrait de nouveaux livres scolaires qui développeraient la théorie du genre sexuel .
Et quand le Figaro annonce que le groupe UMP a de son côté également décidé début septembre de constituer une mission parlementaire sur les programmes scolaires , s'agit-il d'une autre initiative, avec le même objectif ?
Les projets de réponse se multiplient
Depuis l'été, les annonces de préparation d'outils visant à répondre à l'exposé de la théorie du genre dans les manuels scolaires se multiplient.
La Fondation Lejeune prépare une plaquette, l'Alliance pour les Droits de la Vie également.
La CNAFC annonce un manuel alternatif en ligne, auquel nous travaillons, qui sera bientôt mis à disposition du public . En juin 2011, l'Enseignement catholique a mis en place un groupe de travail interdisciplinaire chargé, à partir des nouveaux programmes d'Enseignement scientifique en première, de produire des ressources qui seront mises à la disposition des enseignants de SVT sur Internet concernant le chapitre Devenir homme, devenir femme . Peut-être est-ce la mallette pédagogique à laquelle travaille Monseigneur d'Ornellas, et dont la diffusion semble être prévue pour janvier ?
Éditer un nouveau manuel
Dans cette grande famille des associations et institutions qui ont réagi à l'enseignement de la théorie du genre dans les manuels scolaires et qui annoncent des outils de réponse, les idées et les intelligences ne manquent donc pas. Les contenus en préparation seront, à n'en pas douter, d'une haute qualité scientifique et pédagogique. Les compétences et les bonnes volontés sont au rendez-vous pour garantir le déploiement des produits ad hoc.
L'Association pour la Fondation de Service politique (AFSP) remarque cependant que nulle part il n'est question d'éditer un véritable manuel scolaire.
Y a-t-il une raison technique à cela ? Certainement pas. Les réflexions, études et parutions déjà connues sur le sujet montrent que les contributeurs ne sont pas à trouver et que les contenus sont prêts. Le sujet, si l'ordre du programme est suivi, ne sera traité qu'en seconde partie de l'année. Le temps existe donc, en se mettant tout de suite sur le projet, de préparer un manuel utilisable dès cette année.
Y a-t-il une raison économique à cela ? Pas plus. Quel est le financement initial à assurer en effet sur un tel projet ? Une expérience récente, et réussie, de manuel scolaire libre montre que l'édition de 8 000 exemplaires d'un ouvrage (le tirage moyen dans l'édition scolaire est de 7154 d'après le Syndicat National de l'Edition –SNE- ) nécessite un investissement de 30 000 à 35 000 euros. Ce n'est pas insurmontable et peut être en partie préfinancé par une éventuelle souscription.
On n'ose pas penser que des institutions comme l'Enseignement catholique ou comme l'Union nationale des Parents d'Élèves de l'Enseignement libre ne puissent s'engager dans un tel projet, auquel l'AFSP veut bien contribuer de son mieux. Le temps est sans doute révolu où le père Max Cloupet s'engageait auprès du gouvernement, et au nom de l'enseignement catholique français dont il était le secrétaire général, à ne pas publier ses propres manuels scolaires. C'était il y a plus de vingt ans. C'était une affaire entre administrations . Aujourd'hui, puisque les éditeurs scolaires sont, prétendument, les seuls responsables des extrapolations non scientifiques, pourquoi ne pas prendre nos responsabilités éditoriales ?
L'association pour la Fondation de Service politique s'engage à apporter sa contribution et tient à la disposition des organismes qui le souhaiteraient le compte d'exploitation détaillée de la publication d'un manuel scolaire capable de concurrencer les produits des éditeurs spécialisés.
Sources : lefigaro.fr, afc-france.org, aef.info, lalettredelexpansion.com, ec75.org
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