Xavier Darcos, académicien et président de l’Institut français, plusieurs fois ministres, consacre un livre à Auguste et son siècle (ArtLys), dans le cadre de l’exposition Moi Auguste Empereur de Rome qui se tient au Grand Palais pour commémorer le 2000e anniversaire de sa mort.
LIBERTE POLITIQUE. — César a été assassiné parce qu’on le soupçonnait de vouloir se faire roi. Auguste, pourtant, ne poursuit-il pas l’œuvre de César ?
XAVIER DARCOS. — Le Ier siècle av. J.-C. a été, pour les Romains, une période de grandes dissensions internes. La « guerre sociale », c’est-à-dire les tensions entre les familles patriciennes et la plèbe, était incessante. Le climat se prêtait donc à la recherche d’un pacificateur. César, volontiers démagogue, se présente comme l’homme qui va réconcilier les élites et le peuple. Les Romains acceptent peu à peu qu’un homme providentiel s’impose par la force et apporte une autorité stabilisatrice. Mais ils conservent une ancestrale hantise de la royauté.
En grande partie, l’assassinat de César par Brutus et Cassius s’explique par cette crainte. César lui-même se méfiait qu’on lui prête une telle intention. Quand il se déplaçait en province, il refusait les couronnes ou rabrouait ceux qui lui donnaient le titre de roi. Il se présentait comme un citoyen parmi d’autres. Le césarisme prépare l’Empire car il promeut l’idée d’en revenir à un homme providentiel, à un héros qui incarne la République et lui apporte la stabilité.
Comment Auguste fait-il cette synthèse de la république et de la monarchie qu’est l’Empire ?
Il la réalise en plusieurs étapes. Auguste s’impose d’abord comme princeps, le premier des sénateurs. Il est le premier qui s’exprime puis le Sénat délibère. Auguste détenant déjà à peu près tous les pouvoirs politiques et militaires, le « Principat » met en place un principe monarchique, mais les deux consuls et le Sénat sont maintenus pour sauver les apparences républicaines.
Il prend ensuite le pouvoir religieux en devenant pontifex maximus, ce qu’avait déjà fait César. Il maîtrise ainsi la totalité des cultes, des collèges religieux et des fêtes publiques. Une troisième étape est franchie lorsqu’il se fait donner la puissance tribunitienne à vie. Quiconque attente à sa vie commet un sacrilège : Auguste est sacer (sacré, intouchable) comme les tribuns de la plèbe sous la République. Il sera ensuite dictateur à vie et « Père de la patrie ».
Dans les faits, il est bien l’empereur, même si le terme s’imposera assez tardivement. Imperator est un terme militaire destiné aux généraux en chef victorieux. Auguste considère à partir de ce moment que toute victoire lui revient, en tant que maître des armées : il n’y a de triomphes que pour lui. Auguste obtient enfin que le titre d’Imperator soit transmissible, et que la famille de l’empereur soit divinisée. Avec astuce, prudence, cruauté et grâce à un absolu sang-froid, Auguste a avancé ses pions. Il sera désormais un dieu vivant, auquel on rend hommage partout dans l’Empire romain. Mais il assoit aussi son pouvoir sur une certaine méritocratie : plutôt que des aristocrates, il a repéré des affranchis, des hommes capables. Il en fait les cadres supérieurs d’un Empire qu’il quadrille administrativement.
« L'HOMME DU RETOUR À L'ORDRE »
Pourquoi et par quels moyens Auguste mène-t-il une politique réactionnaire ?
Auguste cherche ce qui, dans la mentalité romaine, renvoie à la tradition et à une nostalgie du passé. Il est « réactionnaire » en ceci qu’il essaie de légitimer sa puissance par des textes, des valeurs ou des documents qui remonteraient au passé le plus ancien de Rome, y compris l’histoire initiale, celle d’Enée, le descendant de Vénus, le fondateur d’Albe, ancêtre de Rome. Auguste conforte ainsi son statut d’homme élu des Dieux.
Le deuxième élément de sa politique réactionnaire, c’est la restauration morale : le travail, la religion (piété et fides), la lutte contre l’adultère et toute immoralité, l’éloge de la matrone à laquelle on accorde des avantages fiscaux, le culte des héros. Auguste persécute les religions orientales au profit du panthéon gréco-romain. On restaure sans arrêt les figures mythologiques emblématiques (Vénus, Mars, Apollon).
On cultive les images légendaires exemplaires, tel Cincinnatus, ce paysan qu’on a été cherché en pleine guerre civile pour qu’il ramène la paix, puis qui est retourné à son sillon une fois sa mission accomplie. Auguste est une sorte de Cincinnatus permanent. Il est l’homme du retour à l’ordre, ce que les Romains attendaient.
« LE MYTHE DE L'ÂGE D'OR AUGUSTEEN N'EST PAS UNE PURE FICTION »
Pourquoi le mythe de l’âge d’or est-il essentiel dans l’idéologie augustéenne ?
Les poètes et écrivains, Ovide, Tibulle, Properce pour ne citer qu’eux, sont priés de célébrer l’âge d’or. C’est l’idée qu’il y a eu un premier âge où les hommes vivaient heureux, en paix, se nourrissant de ce que la nature leur offrait. D’autres âges ont ensuite apporté la guerre jusqu’au siècle de fer qui est un siècle d’autodestruction et en attendant l’âge d’or qui reviendra un jour. Auguste essaie d’imposer cette idée : « L’âge d’or est en train de revenir grâce à moi ». Célébrer l’âge d’or revient à célébrer Auguste. On le voit très bien dans les Bucoliques et le VIe chant de l’Enéide de Virgile.
Pour Tite Live, le règne d’Auguste ressemble effectivement à un âge parfait. Les frontières de l’Empire sont stabilisées : c’est la pax romana, laquelle permet la prospérité. Les droits des personnes sont relativement protégés ; les promotions sont possibles ; Auguste a rendu quelques lopins de terres aux anciens vétérans ; la littérature et la peinture fleurissent. Rome domine alors la totalité du monde connu à l’exception des instables frontières germaines — d’où viendra d’ailleurs la chute de l’Empire. Ce mythe de l’âge d’or n’est donc pas seulement une pure fiction.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
Auguste, l’Empire et l’âge d’orLe livre de Xavier Darcos, Auguste et son siècle, est une introduction pédagogique au siècle d’Auguste, écrit dans le cadre de l’exposition Moi, Auguste, Empereur de Rome qui se tient jusqu’au 13 juillet au Grand Palais. L’académicien décrit l’ascension au pouvoir d’un jeune homme cynique, à l’« absolue maîtrise de soi », dont l’établissement à la tête de l’Empire apporta paix et prospérité.
« César Auguste, fils d’un dieu, fondera un nouvel Âge d’or dans les champs du Latium où jadis régna Saturne. » APRES L'ASSASSINAT de César aux ides de Mars (44 av. J.-C), les guerres civiles déchirent à nouveau Rome. Les prétendants au pouvoir se disputent la succession de celui qui a soumis la Gaule. Le triumvirat formé en 43 av. J.-C. par Lépide — ancien maître de cavalerie de César —, Marc-Antoine —ancien lieutenant de César— et Octave, pas encore Auguste et fils adoptif de César, ne fait pas illusion : il n’est qu’une alliance de circonstances. Cicéron, qui avait apporté son aide à Octave, est proscrit et tué ; Brutus et Cassius, les assassins de César, sont eux aussi éliminés. Octave, bien que piètre général, se lève en vainqueur sur les ruines qui ensevelissent les amants de l’Orient, Cléopâtre et Marc-Antoine, battus à Actium. La paix, moteur de l’âge d’or L’heure est à la reconstruction. Octave bâtit de nouvelles institutions, en veillant à maintenir les apparences républicaines auxquelles les Romains sont attachés. Il n’oublie pas que César a été tué pour empêcher la restauration de la monarchie. Il n’oublie pas non plus l’avertissement républicain qu’un esclave murmure traditionnellement à l’oreille des généraux victorieux : « Souviens-toi que tu n’es qu’un homme. » Ce sera donc l’Empire, formidable synthèse politique de la royauté et de la république. On pense au mot de Goethe à propos du régime napoléonien : « L’Empire, c’est la révolution couronnée. » Octave permet à la République, en la fondant dans l’Empire, de la préserver des horreurs de la guerre civile. L’architecture institutionnelle est, du reste, une telle réussite qu’elle survivra aux « bizarres Césars » successeurs d’Auguste, notamment au fou Caligula qui voulait faire son cheval consul ! À trente-sept ans, Octave qui détient tous les pouvoirs politique, religieux et militaire, reçoit le titre Augustus du Sénat. Sa personne est sacrée. Il est « la source suprême de l’auctoritas », le Pacificateur grâce à qui tout redevient possible. Le commerce se développe ; on construit des routes [1] ; les arts et les lettres prospèrent sous l’impulsion du conseiller Mécène ; les citoyens s’enrichissent sur le plan économique comme culturel et peuvent espérer une ascension sociale ; Auguste remet au travail les petits propriétaires et les paysans dans leurs exploitations rurales. Les romains récoltent enfin les fruits de la gloire, dont les avait privés les divisions portées par la République. Auguste, protecteur des Arts « Auguste incarne l’apogée de la Rome antique grâce au témoignage de l’archéologie des arts et des lettres » écrit Xavier Darcos, pour lequel Virgile est sans doute le plus grand poète. Les écrivains chantent la gloire de l’Empereur et les monuments érigés rendent hommage à sa politique. « J’ai trouvé Rome en briques et je l’ai laissé en marbre » dira Auguste. À l’image de sa politique tournée vers l’agriculture, la morale et la religion, il fait bâtir et restaurer des temples en l’honneur des héros — César aura le sien — et des dieux garants de l’unité romaine — Apollon, dieu de l’ordre. Il fait s’élever l’Ara Pacis, l’autel de la paix, sur le champ de Mars, comme pour rappeler à la postérité qu’il est celui qui a rendu l’âge d’or possible. Laurent Ottavi.
Auguste et son siècle
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[1] Le plus ancien réseau routier de la Gaulle date d’Auguste.
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