Le "laboratoire de l'égalité" (www.laboratoiredelegalite.org) à lancé à l'occasion de la journée de la femme une campagne de sensibilisation à laquelle ont souscrit les candidats François Hollande, Jean-Luc Melanchon et Eva Joly. Catherine Rouvier-Mexis décrypte le message tendancieux de ces affiches.
Vous avez peut être vu cette affiche du "laboratoire de l'égalité" [1] : une femme chez elle, un enfant dans les bras, est pâle d'énervement car débordée par quatre gamins qui se jettent des coussins à la tête.
Sur la photo une simple phrase :
"Mercredi 15h. Papa travaille, maman est en RTT : qui a parlé d'égalité ? "
On a peur de comprendre
Est-ce que c'est "Monsieur" qui est fâché de ne pouvoir jouer au train électrique le mercredi au lieu de plancher sur les " mesures innovantes à prendre pour relancer l'entreprise ", assister à une réunion interminable ou se cailler dans un rendez-vous de chantier ?
Ou est-ce que cette blonde décoiffée par sa marmaille préférait ne pas avoir ce mari encombrant qui ose "travailler" et le troquer contre un chômeur-qui-serait-tout-le-temps-à-la-maison pendant qu'elle batifolerait avec ses collègues de bureau ?
Ou, mieux, pas de mari du tout , ce qui ferait qu'obligatoirement le mercredi elle devrait payer une nounou sur ses maigres revenus ( 2O% de moins en moyenne que ceux des hommes, ne l'oublions pas ) mais pourrait sans culpabilité s'éclater au turbin ?
Savent-ils, les concepteurs de cette pub que pour certaines femmes ce mercredi passé avec leurs enfants avec lesquels elle aime jouer, parler etc … est un rêve inaccessible ?
"Il n'y a qu'aucune raison pour que les occupations des femmes se limitent au tissage ou à la cuisine".
Non, ce n'est pas le "laboratoiredel'egalité" qui a trouvé ça en 2012 en France. C'est un texte écrit il y a 25 siècles, en Grèce, par un dénommé Platon qui ne devait cependant pas être une mauviette puisque "Platon", qui était son surnom (il s'appelait Aristocle comme tout le monde) voulait dire "larges d'épaules". Pour lui, les femmes doivent avoir accès aux fonctions de la classe supérieure de la société : "gardiens" (défenseurs, militaires, policiers) ou "magistrats" (stratèges, archontes, juges, professeurs), donc être des "dirigeantes"
Afin que ni les femmes ni les hommes chargés de fonctions supérieures ne soient gênés par le temps à accorder à leur famille, il prône aussi dans le même texte, célébrissime mais pas toujours rapporté avec l'humour qu'il y mettait lui-même ("laissons notre esprit, écrit-il, élaborer paresseusement des plans, tel l'architecte qui construit sa maison idéale sans souci des possibilités réelles d'exécuter ") une "crèche géante". Les dirigeants, qui comme les religieux chrétiens quelques siècles plus tard devaient, dans sa "république" idéale, rester célibataires pourraient y mettre "les enfants que le plaisir engendre" - car ils ne sont tout de même pas astreints à la chasteté -
Par-delà le projet fou de cette "communauté des femmes et des enfants" (pour les classes dirigeantes seulement, ce qui fait qu'on ne saurait , comme Alan Badiou parler de "communisme", par essence égalitaire) , Platon a bien perçu le problème , essentiel et irréductible à toute "politique" , aussi volontariste soit elle : le fait que ce soit les femmes et non les hommes qui « fabriquent, 9 mois durant, dans leur corps, le petit humain à naître ; que ce soit elles et non les hommes qui les nourrissent du lait que leurs seins produisent avec un admirable à propos depuis la nuit des temps de la naissance à l'âge des premières dents ; et que ce soit elles et non les hommes dont le cerveau - la science a aujourd'hui tout moyen de le mesurer - a la zone "compassion "la plus étendue , ce qui la rend plus apte que l'homme à la longue patience que demande l'éducation du petit homme , qu'aucun instinct ou presque ne guide dès sa naissance comme le petit animal et à qui il faut tout apprendre, en répétant jusqu'à l'épuisement les gestes les plus simples. »
C'est une réalité qui échappe, pourrait-on croire, à nos savants du "laboratoiredelegalite"…
En réalité, elle n'échappe pas. Elle est purement et simplement niée. Et c'est dans l'air du temps. Car depuis le succès planétaire de la "gender theory ", venue d'autres "labos ", ceux des campus américains , on "refabrique" la loi naturelle, on gomme a grands gestes rageurs la différence homme femme, on fabrique un être nouveau labellisé par la "communauté internationale" GTLB, "Gay, transsexuel, lesbien, ou bi sexuel", homme ou femme à son gré, père sans procréer, mère sans enfanter, en somme un "humain nommé désir" auquel on entend épargner toute "stigmatisation" due à l'appartenance à son sexe "d'origine".
"Il est injuste de traiter également des choses inégales ".
C'est Aristote cette fois qui lance le débat du choix entre "lex publica" , et "privata lex" -origine de notre "privilège"-, débat qui a pris ces noms romains, puis s'est décliné dans toutes les langues depuis des siècles , jusqu'au terme en vogue aujourd'hui de "discrimination positive" .
Positive, elle l'était la distinction hommes/ femmes qui protégeait ces dernières, enceintes ou jeunes mères, du travail de nuit .
Positives, elles l'étaient ces lois qui leur conférait à partir de trois enfants des trimestres supplémentaires comptant pour la retraite .
Positive aussi celle qui leur rouvrit le congé parental. Positives et pleinement justifiées , osons le dire à la face même du politiquement correct labellisé "UE" qui s'est traduit , dans le droit européen puis dans notre droit par la suppression de ces avantages durement acquis .
Si l'Europe est en "croissance zéro " c'est peut être aussi qu'elle est en mode "maternité O". Les campagnes , probablement très chères , comme celle du "laboratoiredel'egalité", comme les précédentes campagnes publiques type "sexualité , contraception, avortement , mon choix, mon droit, ma liberté" répandent chaque jour un peu plus dans les cervelles des jeunes filles l'idée qu'elles ne pourront vivre pleinement leur vie de femme que si elles sont débarrassées du "fardeau de la maternité" comme disait la grande Simone, ou si elles sont non pas seulement égales en droit mais identiques en fait à l'homme comme tente de le faire croire Elisabeth Badinter (voir son ouvrage L'un est l'autre : Des relations entre homme et femme, livre de poche).
Or les super women de notre époque, on le sait, ont souvent la douloureuse surprise, une fois leur ascension professionnelle accomplie, de ressentir, a l'approche d'une quarantaine menaçante pour leur fertilité, un immense regret de ces enfants non conçus ou avortés dont leur carrière a exigé le sacrifice. Elles se résolvent ainsi parfois à la maternité tardive et solitaire et son cortège d'angoisses et de difficultés.
Un vrai féminisme, résolument moderne, serait de faire accepter à l'Etat et aux entreprises la prise en compte de cette variable essentielle qu'est l'"accueil de l'enfant".
Or qu'on le veuille ou non c'est la femme qui en est chargée par la nature et c'est elle qui trouve dans cette fonction maternelle - si du moins on a le temps de s'occuper tranquillement des enfants à leur rythme et non à celui , trépidant, de notre société du "clic"… un épanouissement et un bonheur inégalé .
La société a tout intérêt à cet investissement qui relancerait sa croissance en multipliant travailleurs et consommateurs, épongerait les dettes de ses prestations retraite et maladie, les deux étant liés l'une inévitablement, l'autre statistiquement au grand âge.
La solution n'est donc pas dans la revendication stérile et jalouse de l'affiche (il est au bureau et moi je me "cogne les mômes").
Elle est dans le partage avec les hommes de ce temps "donné aux enfants" lorsque c'est possible, et le processus est désormais bien en route.
Elle est aussi, surtout, dans la non pénalisation des femmes pour ce temps donné, qu'il soit causé par la maladie ou la simple nécessité que, le soir ou le mercredi, l'enfant ne soit pas cet "enfant à la clé" qui, devenu addict d'une télé maternante et consolatrice, ne pourra pas mûrir intellectuellement et affectivement.
Mais il ne faut pas seulement prévoir la non pénalisation des femmes en termes de carrière, mais aussi celle aussi de l'employeur , par l'instauration d'une compensation financière .
Comme on compense le temps "non actif" du chômeur , il faudrait considérer comme une belle oeuvre , conforme à l'humanisme de nos "valeurs républicaines" rappelées aujourd'hui même à Villepinte par le président Sarkozy la compensation de ce temps "non productif" au sens étroit du terme mais hautement productif en terme d'investissement humain affectif et intellectuel que constitue une présence minimale auprès des enfants le soir et le mercredi .
La liberté de la femme, c'est bien sûr, de tout sacrifier à sa carrière si elle le désire, et de n'être parfois ni épouse ni mère. Mais cette liberté-là n'a pas besoin d'être garantie par l'Etat. Cette liberté-là est toujours plébiscitée par l'employeur. Cette liberté-là ne demande pour pouvoir s'exercer, que l'égal accès aux diplômes et aux métiers, et notre société, après un long chemin, y est presque entièrement parvenue.
Mais la liberté, et, plus encore, le bonheur de la femme c'est aussi de ne pas devoir renoncer à son désir d'être mère - et ce autant de fois qu'elle le souhaite- par ce qu'une une grossesse, a fortiori plusieurs, lui ferme l'accès - non en droit, mais en fait - à tel emploi, tel poste, telle entreprise.
L'Etat, en parité avec les entreprises, peut-il supporter ce coût ?
Il fut un temps, rappelons-nous , ou on ne considérait pas que leurs efforts conjugués permettraient de payer des improductifs , chômeurs , malades , ou retraités .
Notre "système social" l'a fait cependant, et à fonds perdus bien souvent.
Le coût de la compensation financière d'un "temps familial" modulable - que le père pourrait prendre aussi, ce serait à voir en fonction de l'âge des enfants et des deux "carrières" des parents - serait loin d'être improductif puisqu'il permettrait aux femmes, d'envisager d'avoir plus d’enfants en travaillant sans que la vie devienne pour elles - et pour les enfants - un véritable enfer.
Alors, dans les cornues de vos "laboratoires de l'égalité" travaillez, vous qui voulez vraiment le bonheur des femmes et non leur reductio ad virilum, à trouver une vraie formule chimique qui permette aux femmes à la fois un travail valorisant et une maternité heureuse, au lieu d'entretenir un vieux ressentiment anti masculin qui sent son féminisme des années 60 et dénote, en toile de fond, un bien triste rejet de la maternité vécue comme étant seulement un fardeau .
Cela fera des femmes, mais aussi des enfants heureux. Car si les jeunes monstres de l'affiche sont aussi énervés c'est peut être, tout simplement que leur mère, tiraillée entre emploi et maison, l'est plus encore.
Mercredi 15h. Maman est furieuse d'être avec ses enfants au lieu d'être au bureau. Vous avez dit maternité ?
[1] Association géante qui regroupe des grandes entreprises comme Vinci ou France Telecom, des journalistes de Libé, des femmes du MLF, et de multiples organes et instituts de défense et promotion de la femme, et qui veut créer "une culture commune de l'égalité "
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