Finlande dans les années 1970. Leila Sten a été condamnée à perpétuité. A sa sortie de prison à la faveur d'une amnistie et après avoir purgée une peine de douze ans, Leïla commence, contre son gré, à travailler chez un pasteur luthérien âgé et aveugle. Elle doit lui lire chaque jour les lettres. Reclus dans un presbytère isolé, Leïla et le Père Jacob répondent aux nombreuses lettres et aux demandes d'aide spirituelle que leur apporte quotidiennement le facteur. Leïla n'a pas l'habitude de s'occuper de qui que ce soit, si ce n'est d'elle-même, et cette nouvelle situation fait naître en elle des sentiments contradictoires. Totalement indifférente au malheur d’autrui, Leïla va tenter de profiter de la situation, n’hésitant pas à éliminer des paquets de lettres pour éviter d’écrire. Quand le facteur cesse ses visites et que leur seul lien avec le monde extérieur est rompu, Leïla va changer au contact du ministre luthérien.Avec : Kaarina Hazard (Leïla Sten), Heikki Nousiainen (le Père Jacob), Jukka Keinonen (Posteljooni), Esko Roine (Vankilan Johtaja). Scénario : Klaus Härö, Jaana Markoken. Directeur de la photographie : Tuomo Hutri. Musique : Dani Strömbäck.
Récompenses : Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur principal et meilleure musique aux Jussi Awards (2010)
Entre ombre et lumière…Il aura fallu presque sept ans pour que Lettres au Père Jacob réalisé en 2009 sorte sur les écrans français. Ceci aurait été impossible sans l’intervention de la société Jade Distribution et celle de son dirigeant Hubert de Torcy auquel le public doit, entre autre, d’avoir pu visionner Cristeros de Dean Wright (2012) et le chef d’œuvre des frères Ian et Dominic Higgins, Le 13ème jour (2009). Klaus Härö, jeune réalisateur finlandais de 44 ans, issu de la minorité suédoise, a déjà réalisé cinq longs métrages qui prennent place dans une filmographie qui comporte aussi plusieurs courts métrages et des documentaires. Parmi ces longs métrages, trois, dont aucun n’a été distribué à ce jour en France, ont été sélectionnés pour représenter la Finlande et concourir pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, Une autre mère (Äideistä parhain) réalisé en 2005, L’Homme nouveau (Den nya Människan ) réalisé en 2007 et Le Tireur (The Fencer) réalisé en 2015. C’est dire que nous n’avons pas à faire à une petite pointure. Mais surtout, il vaut la peine de savoir que le premier de ces longs métrages, Une autre mère, traite au travers de l’histoire d’un enfant, de la plus grande opération de transfert d'enfants au monde (quelques 80 000) à la fin de l’année 1939. Lors du déclenchement de la guerre sovieto-finlandaise, ces enfants furent évacués vers d’autres pays scandinaves dont la Suède, pays neutre qui en accueillit la plus grosse part. Le second, L’Homme nouveau, s’appuie sur l’histoire de Gertrud, une jeune fille de dix-sept ans qui s'oppose au système de santé et de sécurité sociale de la Suède du début des années 1950, laquelle développa pendant près de quarante ans une politique de stérilisation obligatoire. Des sujets qui sont loin d’être neutres et légers. Dans Lettres au Père Jacob, Le cinéaste finlandais n’abandonne pas les sujets de fond en mettant face à face Leïla, une femme sortie de prison et en tentative de réinsertion, et le Père Jacob, un pasteur luthérien âgé et aveugle. Dans ce presbytère délabré, la grâce du repentir et de la rédemption va tomber sur la tête de Leïla un peu comme la foi sur saint Paul alors qu’il est sur le chemin de Damas. Ce qui est beau dans le film c’est qu’à ce qui figure la renaissance à une vie spirituelle de Leïla correspond le départ pour la Vie éternelle du Père Jacob. Comme dans Marie Heurtin (2014), le très beau film de Jean-Pierre Améris, alors que Sœur Marguerite parvient, après de longs et pénibles efforts, à faire prendre conscience à la jeune Marie Heurtin, sourde et aveugle, de l’existence de Dieu et de son Amour, commence pour la religieuse le don de sa vie dans la souffrance de la maladie, ici, le Père Jacob fait l’offrande de sa vie pour la rédemption de Leïla après avoir esquissé le rite de la communion selon la forme luthérienne. C’est bien un trop plein d’amour pour son prochain qui semble emporter le Père Jacob dans l’Au-delà comme si la rédemption de Leïla était le couronnement de toute la charité et la compassion exprimées dans sa correspondance avec les fidèles qui lui ont confié toutes leurs souffrances et leurs intentions de prières. Amour et cheminement de la grâce se veulent au cœur du film et le message ne se veut plus du tout codé lorsque le cinéaste met dans la bouche du Père Jacob ces mots qui citent la première lettre de saint Paul aux Corinthiens (12, 3-8): « L’amour supporte tout. Il fait confiance en tout. L’amour ne passera jamais. J’aurai beau distribuer toute ma nourriture aux affamés, s’il me manque l’amour, cela ne me sert de rien ». Mais il manque une dimension que le cinéaste, très certainement aussi de confession protestante, ne peut pas parvenir à pleinement représenter et ceci malgré toutes ses bonnes intentions. Il s’agit de cette dimension lumineuse de la communion des saints et de la puissance des sacrements que le rite esquissé de communion évoqué plus haut, typiquement protestant et hurlant son vide, ne peut permettre d’atteindre. La Sainte Messe aurait élevé le Père Jacob jusqu'au Sacrifice du Christ, s'il avait été prêtre. Ici « la foi seule » est indigente, incapable de franchir l'abîme que l'Eucharistie ne vient pas remplir. Ainsi, involontairement mais magistralement, le film montre les limites du luthérianisme qui ne permet pas au croyant d’accéder vraiment à la sphère divine. L'humain et le divin restent en réalité séparés; l’intercession du Père Jacob et la rédemption de Leïla ne sont plus que des grâces sporadiques soutenant l'entraide humaine, et non pas l'effusion de la Miséricorde divine. Pour preuve, après la mort du Père Jacob, la vie reprend ou plutôt continue, comme avant…mais ce n'est pas une résurrection. Elle se situe ici la grande différence entre Marie Heurtin et Lettres au Père Jacob !
Le refus de la facilité et la recherche du beau
Cependant, cette importante précision faîte, jamais le film ne tombe dans la facilité, le didactisme prosélyte, ou le schématisme du bon pasteur et de la mauvaise prisonnière. Il y a simplement deux âmes qui sont engagées dans un dialogue plutôt sévère, sombre même en raison de l’absence de la lumière évoquée plus haut, mais un dialogue restitué sous la forme d’une très belle métaphore, hautement spirituelle. La construction du scénario et la mise en scène sont rigoureuses. Celle-ci prend le parti du refus de tout effet spectaculaire et d’une économie de plans, ce qui nous vaut quelques très belles séquences et des quasi-plans séquences inoubliables comme celui de la rencontre des deux personnages au début du film et leur séparation à la fin : Leïla fait la rencontre du Père Jacob au même endroit du presbytère où elle le trouvera mort plus tard et le spectateur vit ces deux évènements au travers de deux plans panoramiques presque identiques. De la même façon que la mise en scène, les dialogues sont réduits à l’essentiel, la musique originale consiste en un thème très sobre interprété au piano qui vient délicatement ponctuer les séquences, et enfin, la bande son fait une place heureuse aux bruits de la vie et de la nature comme celui du vent qui souffle comme l’Esprit Saint… Ainsi, le film atteint une épure toute nordique et réformée qui, si elle favorise l’évocation des sentiments qui traversent les deux personnages et n’est pas sans faire penser aux plus grands cinéastes de ces contrées, Victor Sjöström et Ingmar Bergman, peut cependant laisser légèrement sur sa faim le spectateur catholique dont la quête ira encore au- delà d’un film assurément inspiré.
Bruno de Seguins Pazzis