Source [La Sélection Hebdo] C’était un rite de passage vers l’âge adulte, le pont entre école et études supérieures. Un point de repère dans une vie. Mais à force de devenir un symbole politique, que reste-t-il du baccalauréat ? Et, surtout, ses résultats ont-ils encore la moindre valeur ?
Entre réformes et bricolage, le baccalauréat semble bien être parvenu à la fin d’un cycle, à force de voir ses résultats nivelés au nom d’un égalitarisme de façade. Dans la foulée de l’instauration du collège unique suivra l’objectif du bac pour tous. Quitte à mettre en place des jurys d’harmonisation veillant à ce que la moyenne des notes des copies corresponde à celle décidée avant même l’examen… Au lieu de servir de marqueur de la fin du secondaire, le bac se devait ainsi d’asséner la réussite politique de l’école de la République : être parvenue à amener une classe d’âge au Bac, avec pour slogan "la réussite pour tous". Double conséquence de ces taux de réussite dignes d’une élection dans une dictature : une dévalorisation de l’examen en soi et une saturation des universités, où, là aussi, toute sélection ou tout examen d’entrée constituerait une négation de la démarche égalitariste. Bilan : plus d’un recalé sur deux en première année de licence, seulement un tiers des étudiants l’obtenant en trois ans…
"Quand l'institution renonce à produire son propre système de sélection et d'orientation équitable, alors la sélection s'organise malgré l'institution, en poussant l'avantage des classes socio-culturelles déjà favorisées", expliquait déjà très bien Anne Rosencher il y a quelques années de cela dans les colonnes de L’Express. "Voilà bien longtemps que la valeur du bac en a pris un coup, et que le fameux "sésame républicain" n'ouvre plus guère les portes." Entre taux de réussite bien trop élevé et distribution générale de mentions, que reste-t-il aux élèves les plus brillants, les plus prometteurs pour parvenir à sortir du lot ? Le fait de se tourner vers le privé. "Le bac va se privatiser, analysait récemment Sophie de Tarlé, rédactrice en chef du Figaro Étudiant. On va demander, et c’est déjà le cas, le certificat de Cambridge pour l’anglais, les certificats Voltaire pour certifier l’orthographe dans la plupart des établissements supérieurs. J’aime beaucoup le certificat Voltaire, mais c’est une société privée. On s’attend à ce que l’Éducation Nationale certifie cela, mais non. Pour les mathématiques, des professeurs de Ginette, de Sainte-Geneviève à Versailles, ont créé un test du nom de TeSciA. Puisque l’on est d’accord pour dire que le Bac ne vaut plus grand chose, des gens créent leur société et vous disent "je vais vous certifier votre niveau en rédaction, en maths, en physique…" Il faudra payer pour avoir son niveau réel dans une matière. Pourquoi l’Éducation Nationale n’est-elle pas capable de certifier le niveau des élèves auprès de l’enseignement supérieur et des employeurs ?"
Mais quitte à dévaloriser tout un système au nom d’un égalitarisme forcené, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La prochaine étape, dans un crescendo sans fin, est de s’en prendre à la sélection sur dossier des lycées les plus réputés. Comme le soulignait récemment une tribune collective, dans certains établissements, "au nom de la mixité scolaire et sociale, rectorat et ministère s’entêtent dans la voie du nivellement par le bas et la casse de l'excellence dans l'enseignement public." Or cette "fin de la sélection sur dossier est une atteinte à la méritocratie républicaine." Comme le constate très bien Marion Oury, maître de conférences en sciences économiques à Paris Dauphine-PSL, dans une récente tribune du Figarovox, même "les très bonnes notes ne sont plus décisives pour accéder aux meilleurs lycées parisiens". Conséquence : comme pour ces certifications privées validant un niveau que le baccalauréat ne prouve plus, ceux dont la famille en aura les moyens préféreront réserver leur premier choix aux lycées privés d'excellence qui, eux, continueront à recruter sur dossier. Le nouveau ministre de l’Éducation gardera-t-il le cap de ses prédécesseurs ? Pour l’instant, rien ne permet d’en douter.
Judikael Hirel