DEBAT | L’auteur, enseignant dans un établissement libre sous contrat d’association avec l’État, répond aux critiques adressées par de nombreux parents sur le respect du caractère propre de l’enseignement catholique. Il met en lumière les efforts menés par ses dirigeants pour rechristianiser l'école catholique.
IL EST UN EFFET DE MODE, depuis quelques mois, qui consiste, dans certains milieux catholiques, à ouvrir le feu contre l'enseignement catholique, dont on oublie un peu vite qu'il est une institution d’Église, dépendant directement des évêques ou des congrégations religieuses.
Pour faire court, celui-ci est accusé de n'être tout simplement pas catholique, de se coucher devant les projets de réformes issus du ministère de l’Éducation nationale, en somme d'être devenu du « public payant ». (C'est oublier un peu vite que depuis 1959, il est lié à un contrat d'association avec l’État et doit donc accepter ces réformes, tant qu'elles n'attaquent pas son caractère propre. Sans ce contrat, il ne serait pas en mesure de scolariser les 2 000 000 d'enfants qui lui ont été confiés et de salarier les 140 000 adultes qui veillent à leur instruction.)
Plusieurs mises au point s'imposent, car il semble que les auteurs de récentes publications, Béatrice de Ferluc sur Liberté politique, Gabrielle Cluzel sur le site Le Rouge et le Noir, Pierre de Laubier dans son ouvrage L'Ecole privée… de liberté, et quelques autres, fassent de leurs cas particuliers des cas généraux, au risque de l'erreur.
De nouveaux statuts
Premièrement, l'enseignement catholique, loin de ne plus l'être, l'est d'avantage que par le passé. En 1992, celui-ci s'était doté de nouveaux statuts qui auraient pu être ceux de n'importe quelle structure privée. La référence au catholicisme ou à l’Église en était quasi-absente. La conférence des évêques de France, qui alors se désintéressait largement des questions d'enseignement, ne réalisa que tardivement son erreur et fit ajouter, in extremis, un préambule rappelant le caractère catholique de ses écoles.
En 2013, de nouveaux statuts ont été publiés. Sur plus de cinquante pages, presque chaque article fait référence, soit au magistère de l’Église, soit aux Écritures saintes, soit à la personne même de Jésus Christ, à l'Esprit-Saint ou au Père. Le moins que l'on puisse dire est que ces statuts affirment le caractère catholique de l'école, et surtout la manière chrétienne de les gouverner. Or, qui a rédigé ces nouveaux statuts ? Des évêques, des représentants de congrégations enseignantes, des prêtres, des juristes canonistes, des directeurs diocésains de l'enseignement catholiques, des chefs d'établissements, des professeurs, des représentants des Organismes de gestion de l'enseignement catholique (OGEC) et des représentants des associations de parents d'élèves (APEL)
Rechristianiser les programmes
À cette rechristianisation des statuts généraux de l'enseignement catholique il faut ajouter deux éléments forts des dernières années :
- En 2013, durant le débat sur l'ouverture du mariage aux personnes de sexe identique, non seulement le secrétariat général de l'enseignement catholique a fait savoir son désaccord avec le gouvernement, mais le secrétaire général d'alors, Éric de Labarre, a diffusé à tous les établissements une lettre circulaire incitant les chefs d'établissements à organiser des débats et des temps d'information sur ce projet de loi.
- En 2013 toujours, le nouveau secrétaire général, Pascal Balmand, appelait à christianiser les contenus d'enseignement, dans un entretien accordé au journal La Croix. Dans cette perspective, on comprend mieux son adhésion à la réforme des collèges, en 2015. En effet, cette réforme ne s'attaque pas seulement aux programmes et à l'enseignement des langues vivantes, elle octroie également une plus grande autonomie aux collèges. 20 % du volume horaire des cours sera laissé à la discrétion des chefs d'établissement, dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Que rêver de mieux pour appliquer le souhait émis en 2013 ?
Enfin on ne peut ignorer que l'enseignement catholique, contraint d'appliquer comme l'école publique, le nouvel enseignement civique et moral institué par le ministère après les attentats du 7 janvier, a décidé de l'adapter à sa manière en publiant une brochure à destination des professeurs.
Cette tendance générale se traduit, sur le terrain par un choix des directeurs diocésains et chefs d'établissement généralement plus conforme aux exigences d'un enseignement chrétien.
Contre-exemples
Il ne s'agit pas ici de mettre en cause la véracité des témoignages produits par les critiques de cet enseignement catholique. On pourrait en ajouter d'autres, comme ce directeur diocésain normand soupçonné d'adhésion à la franc-maçonnerie, ou ce chef d'établissement bourguignon, divorcé et vivant notoirement avec une nouvelle compagne, ou encore les professeurs d'un établissement du diocèse de Meaux qui persécutent leurs élèves catholiques pratiquants, ou encore ce collège de la Mayenne dont des professeurs ont sensibilisé leurs élèves aux gender studies dans leur version la plus perverse, etc.
Mais on pourrait donner autant de contre-exemples, comme ce lycée du diocèse de Versailles qui a initié des parcours Alpha jeunes pour ses élèves ; comme ce collège du diocèse de Créteil où les croix ont fait leur réapparition dans les salles de classe, où une prière du matin est organisée chaque semaine pour les élèves et une autre pour les professeurs ; ou encore comme ce lycée du diocèse de Bordeaux où 50 élèves assistent trois fois par semaine à la messe à 7h30 dans la chapelle de l'établissement, ou encore ce collège du diocèse de Chartres qui a considérablement renforcé ses cours d'enseignement religieux, etc.
Comment se fait-il qu'une telle diversité de situations existe et que le meilleur côtoie le pire ?
Authentiquement libre
À la différence de l'école publique, l'enseignement catholique est authentiquement libre. C'est-à-dire que chaque établissement est autonome, son patrimoine étant géré par une association, l'OGEC, constituée de bénévoles, le directeur étant nommé par l'évêque ou le supérieur d'une congrégation qui exercent une tutelle sur l'établissement. Le secrétariat général de l'enseignement catholique donne des orientations, exerce une coordination, mais il n'est pas pour ainsi dire le « patron » national. Le vrai « patron » des établissements d'un lieu restant l'évêque dont le directeur diocésain est le représentant, son homme lige dirait-on au Moyen Âge.
Il en résulte que selon la personnalité de l'évêque, ou de son prédécesseur, toute la chaîne de commandement de l'enseignement catholique dans le diocèse est marquée par plus ou moins d'adhésion à la foi chrétienne et sa mise en pratique.
Ressources humaines
En outre, se pose un problème de ressources humaines. Dans un pays, la France, où il n'y a plus que 4,5 % de catholiques pratiquants réguliers, dont 40 % ont plus de 60 ans, on mesure quelle difficulté il y a à trouver des chefs d'établissements, des adjoints, des responsables de niveaux de classes et à plus forte raison des enseignants catholiques pratiquants pour les 8500 écoles, collèges et lycées catholiques de France.
140 000 adultes travaillent au sein de l'enseignement catholique. Il n'y a tout simplement pas assez de pratiquants pour pourvoir tous les postes. Ajoutez à cela la crise générale des vocations enseignantes dans l'école publique et privée en France.
La priorité d'une école est d'assurer ses cours avec des professeurs de qualité. Lorsque pour un poste à pourvoir au 1er septembre, il n'y a qu'un seul candidat et qu'il n'est pas catholique, il sera recruté, parce que la priorité est d'assurer le cours. Les parents, même les plus chrétiens, ne comprendraient pas qu'au 1er septembre il n'y ait toujours pas, par exemple, de professeur de français pour leurs enfants…
L’inertie de l’enfouissement
Par ailleurs, l'enseignement catholique est une institution d’Église, il en a vécu les heurs et les malheurs. C'est-à-dire que dans les années 1970-1980, il a connu la théologie de l'enfouissement, le renoncement à ses valeurs, etc.
À la différence du corps ecclésiastique dont les membres peuvent être déplacés sans difficulté par les évêques ou les supérieurs de congrégations, les enseignants sont en contrat définitif et ne peuvent quitter un établissement que s'ils le désirent. Le besoin de pourvoir les postes de direction avec les volontaires disponibles, peu nombreux, augmente encore plus cet effet d'inertie.
En conséquence, la crise fut moins violente dans les établissements scolaires à l'époque, où des professeurs et des directeurs « vieille école » ont pu maintenir un semblant de christianisme plus longtemps que dans les paroisses en pleine crise. Mais le phénomène identique produit les mêmes effets aujourd'hui, où les professeurs et directeurs attachés à la théologie de l'enfouissement, demeurent en place et ne partent qu'au rythme des retraites…
En effet, lorsque vous vous plaignez d'un directeur ou d'un professeur non catholique, ou qui s'attaque aux élèves et parents trop visiblement catholiques, ne soyez pas si sûrs de votre fait. Il y a de très grandes chances pour que cette personne soit un chrétien sincère, mais à l'esprit complètement dévié par ces théories de l'enfouissement et du témoignage implicite. Ainsi, toutes ses décisions seront prises à la lumière de la prière et de sa foi personnelle, mais en ayant toujours à coeur que rien ne se voit. C'est une déviance évidente, mais il serait faux d'en accuser tout l'enseignement catholique.
Patience !
Pour conclure on peut dire que l'enseignement catholique, en France, aujourd'hui, est dans une tendance générale de rechristianisation, mais que son histoire récente et la très grande autonomie de ses structures explique la lenteur de l'évolution sur le terrain, avec des écoles, collèges ou lycées en grande souffrance, quand d'autres établissements ont déjà déployé toutes leurs voiles pour la nouvelle évangélisation de la jeunesse.
Il faut pour cela de la patience et de la persévérance. Évidemment, les enfants ne sont pas des cobayes. Et s'il faut attendre encore une génération pour que l'école catholique ait repris toutes ses belles couleurs, les enfants, eux n'attendront pas. Donc si vous êtes a proximité d'un établissement catholique qui n'en a plus que le nom… eh bien ! allez voir ailleurs. Mais de grâce ne jetez pas la pierre à une institution qui fait tout ce qui est en son pouvoir, à l'image de l’Église de France, pour se redresser après des décennies d'abandon.
Gabriel Privat est enseignant.
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Merci de cette analyse et de ces informations qui viennent éclairer le débat avec équilibre et qui rappellent avec espoir l'importance et les difficultés de cet enjeu.
Mon livre "L'Ecole privée... de liberté" n'est pas la généralisation d'un cas particulier. Il n'est pas non plus un catalogue de choses qui vont mal : on ne peut donc y répondre simplement en faisant un catalogue de choses qui vont bien, et encore moins sans l'avoir lu. Mon livre est l'analyse d'une organisation, et cette analyse, il est impossible d'en faire l'économie. Les directions diocésaines, chapeautées par le secrétariat général de l'enseignement catholique, ont constitué une administration distincte de la structure de l'Eglise qui échappe ainsi au pouvoir des évêques, et qui est en outre noyautée. Elle a confisqué les libertés qui appartiennent aux écoles elles-mêmes. L'éviction des professeurs "trop catholiques" est une réalité que de nombreux témoignages (j'en vois encore ici parmi les commentaires) illustrent et dont il existe des preuves. Si l'on ne démantèle pas cette administration, il ne sert à rien d'attendre : rien ne changera. J'ajoute que mon livre est très amusant et que c'est une excellente lecture de vacances !
Voir le commentaire en entierCet article de "défense" semble -t-il de l'enseignement catholique est surtout un constat de catastrophe. Pourquoi a -t-il fallu 30 ans aux évêques pour s' apercevoir qu'ils avaient failli ? Dans les affaires les boîtes ne mettent pas 30 ans à s'apercevoir qu'elles n'atteignent pas leurs objectifs, elles sont mortes bien avant, elles n'ont plus de client...! C'est même un scandale par rapport aux parents qui ont payé et qui ont été trompés sur la marchandise. Pour être crédible sur le plan spirituel, les évêques doivent être irréprochables dans le temporel. Ce qui n'a donc pas été le cas dans un domaine très grave : l'éducation des enfants qui leur était confié.
Voir le commentaire en entierJe ne serai pas si optimiste que l'auteur sur le "redéploiement" du caractère catholique. Car il faudrait changer les chefs d'établissement et les méthodes de management. Il n'y a pas véritablement de chaîne de commandement. Une chaîne de commandement c'est un patron avec des objectifs ambitieux qu'il sait faire partager à ses cadres puis une mobilisation des énergies pour l'atteinte de ces objectifs par l'équipe. Y-a-t-il des objectifs concrets mesurables atteignables en matière de pastorale qui permettent au chef d'établissement de rendre compte au directeur diocésain de son action ?
Enfin si le sujet était pris à son bon niveau l'évêque aurait au rapport chaque semaine son directeur diocésain pour faire point sur le plan de " redressement" du projet pastoral. Comme cela se passe dans les entreprises à redresser . Nous en sommes loin! Sauf probablement quelques exceptions effectivement.
Par ailleurs s'agissant de trouver en nombre suffisant des profs pratiquants ce n'est pas un problème : il y a quantité de jeunes profs ou diplômés convaincus et cathos qui ne sont pas embauchés car les directeurs préfèrent vis-à-vis des autres profs et de syndicats, embaucher des profils plus neutres. Tout le monde en connait autour de soi notamment d'anciens chefs scouts d'Europe ou guides car jugés trop cathos pour être recrutés.