Le sacre de la multitude

Comment peut-on sérieusement remettre en question, voire l’interdire, un rite vénérable qui fut chemin de sanctification pour des générations de catholiques en affirmant « doctement » qu’il puisse être une fausse tradition ?

Ce qui caractérise l’élimination d’un état de barbarie par un état de culture est l’acquisition d’une claire conscience d’unité et de continuité. Tout ce qu’élabore la basse nature animale et instinctive de l’homme a des caractéristiques de discontinuité et de dispersion ; tout ce qu’élabore sa haute nature rationnelle a des caractéristiques d’unité et de continuité. Il en est ainsi des institutions du mariage ou de la monarchie (je fais référence au mariage et à la monarchie authentiques et non aux parodies viles et avilissantes qui font aujourd’hui la une de la presse à potins).

Toutes les formes supérieures de civilisation, à commencer par celle qui prit racine en Grèce, cherchèrent entre la multitude de déités héritées des périodes de barbarie de l’humanité un dieu qui, étant Un, fût principe unificateur de toutes les choses. L’unité, nous enseigne Platon, est l’objectif suprême de la pensée.

L’Église comprit, dès le premier temps de sa constitution, que toutes les choses — même les plus diverses et apparemment aux antipodes — frémissent avec une même passion de synthèse et d’unification que Fray Luis de Léon (poète, intellectuel, moine augustin du Siècle d’Or espagnol) appelait le « ramage universel des choses ». C’est pourquoi, alimentée par la foi en un Dieu unique, l’Église s’efforcera de maintenir toujours une cohésion que ses ennemis — les plus vipérins se trouvant à l’intérieur, qui crachent leur fiel et facilitent la guerre subversive ordonnée et planifiée depuis des siècles par ces obscurantistes et totalitaires gouvernances franc-maçonnes — cherchent toujours à dynamiter.

L’Église, comme l’écrit le Pape Bergoglio dans son récent et polémique motu proprio *Traditionis Custodes*, est « Sacrement d’unité » ; et elle doit veiller à toujours maintenir cette unité, qui est le bien suprême de toute société politique ; et plus encore d’une société spirituelle comme l’Église. Et, pour atteindre à cette unité, l’Église a deux ailes que sont l’intelligence et l’amour.

Mais cette unité fondamentale, socle et ciment de l’Église, ne peut être que celle qui fut fondée dans la continuité. Toutes les plus classiques et plus pérennes constructions qui perdurent dans la civilisation se parent de ces deux notes.

L’être un et l’être continu est le plus clair reflet divin auquel peut aspirer une société sur terre. Et l’Église, comme société d’origine divine qu’elle est, a pour mission de veiller à ce que ce principe de continuité demeure.

« Les deux ailes de l’Église, que sont l’intelligence et l’amour, doivent trouver les moyens de maintenir l’unité dans la continuité ».

C’est pourquoi, très savamment, elle a confié son unité à la tradition, qui a son expression la plus joyeuse dans l’institution de la papauté ; et qu’elle inspire tout son enseignement. « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis » affirme Saint Paul. Il n’y a pas d’unité possible sans l’acception de cette continuité instituée par le Christ :

> « La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain,
> puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : "Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi."
> Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi." »

Ce qui pour des générations antérieures était sacré ne peut être considéré comme néfaste – affirme sa Sainteté le Pape Benoît XVI dans la lettre qui accompagnait son motu proprio *Summorum Pontificum* :

> « Il n’est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel Romain comme s’il s’agissait de "deux Rites". Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même Rite [……]. Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Romanum. L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place. Evidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. »

La continuité de la tradition vivifie l’unité. Une unité qui se fonderait en rupture avec la tradition serait une unité fallacieuse, unité « Frankenstein » aux membres cousus artificiellement qui finissent par n’être que putréfaction. Voilà bien la raison pour laquelle la majeure partie des sociétés politiques finit par se désagréger ; et il en va de même pour les sociétés religieuses qui croient grotesquement qu’elles peuvent demeurer unies sans se fonder dans l’acceptation pleine de la tradition.

Evidemment, dans cette acceptation pleine il est nécessaire de combattre toute fausse tradition comme toute tentative de s’approprier une tradition authentique la transformant en étendard d’affrontement. Mais il est invraisemblable d’imaginer qu’un rite vénérable qui fut durant des siècles voie de sanctification pour des centaines de générations de catholiques et de conversion aujourd’hui pour des milliers de jeunes puisse être considéré par Jorge Mario Bergoglio comme une fausse ou perfide tradition. Beaucoup moins en tout cas que ces aberrations dogmatiques de toutes sortes et abus liturgiques déments qui sont tolérés alors que là-bas, derrière les paravents tout à l’écoute des « commérages », friand de faux témoignages recueillis lors de réceptions favorisant ou bénissant l’infiltration d’une curie romaine par l’homosexualisme et le wokisme rampant dans les couloirs et salons du Vatican, le successeur de Saint Pierre préfère envoyer ses commissaires politiques ou kmers violets déconstruire les diocèses où les vocations fleurissent et l’Église rayonne ; et ceci sous couvert de visites « fraternelles » !!! Aaaaah *Fratelli Tutti* !! Encyclique écrite sous l’invocation récupératrice de Saint François d’Assise. Hélas le pape s’engouffre dans l’erreur que précisément Chesterton dénonçait qui consiste à le présenter comme si St François était un pionnier de la démocratie, un apôtre de l’écologisme… en fait comme un précurseur de n’importe quelle mode idéologique moderne. Chesterton écrivait que le catholicisme est « la seule religion qui libère l’homme du dégradant esclavagisme d’être un enfant de notre temps ». Ceux qui accusent l’Église de ne pas s’installer et de s’y complaire au monde et aux modes ne comprennent pas qu’être catholique consiste précisément à s’opposer à la mentalité dominante, à conquérir une zone de défense et une liberté intérieure qui, impulsée par la foi, permette de nager à contre-courant. L’Église s’oppose fréquemment aux modes fugaces de ce monde ; et si elle le fait, c’est qu’elle se base sur une expérience suffisante que des siècles et des siècles ont scellée pour savoir combien ces chimères disparaissent rapidement. Neuf de dix idées appelées « nouvelles idées » ne sont que de vieilles erreurs. Les mots de Chesterton résonnent aujourd’hui avec plus de clairvoyance encore. L’erreur principale de notre époque se résume en une forme déshumanisée d’hédonisme qui nie l’intrinsèque dignité de la vie ; ainsi en va-t-il des pratiques aberrantes et assassines de l’avortement qui sont aujourd’hui constitutionnalisées ; ainsi en est-il de la loi dite Taubira instituant le mariage pour les couples de même sexe et présentée comme le parangon de la nouvelle tendance familiale comme une victoire civilisationnelle des lobbies totalitaires LGBTQIA+istes claironnée et célébrée par nos gouvernants, l’ONU et partie de l’Église catholique si l’on en croit sa soumission hurlante aux extravagances et positions schismatiques des Évêques allemands qui n’hésitent pas à hisser le drapeau Arc-en-ciel sur les clochers de leurs cathédrales ; ainsi en va-t-il de l’apparente soumission de l’Évêque de Quimper à l’idéologie tyrannique homosexualiste qui en relayant leur propagande au sein du diocèse pour la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie laisserait à penser qu’usant de tant de mansuétude à leur égard, ce prélat soutiendrait leurs combats en faveur de la dénaturation du mariage, de la privation de père ou de mère pour des enfants, de la vente d’enfants par GPA, de l’idéologie du genre… Accueil des LGBT au nom du droit à la différence et persécution des cathos attachés à la liturgie traditionnelle dans la foulée (il y a assurément des « visites fraternelles » qui se perdent) ; ainsi en va-t-il des nominations de certains cardinaux par le Pape Bergoglio comme membres de sa garde rapprochée, de la promotion que ce dernier fait des écrits du jésuite philo-gay James Martin, dont il préface la dernière parution tout en faisant l’éloge du non moins pernicieux père Alberto Maggi ; ainsi en va-t-il du « transsexualisme », de la très proche dépénalisation de la GPA, de la pédophilie, de la zoophilie, de la non moins proche constitutionnalisation de l’euthanasie qui supprimerait de facto l’obligation légale d’assistance à personne en danger.

« Il fut un temps où traiter avec le pape et le Vatican signifiait, malgré la diversité des idées et des positions, s’élever intellectuellement et spirituellement. Aujourd’hui, cela signifie s’abaisser à des niveaux inférieurs, dans une mer de trivialité, de mesquinerie et de sordide ».

Alors voilà : comment peut-on enfermer dans le ghetto de la suspicion cléricale une tradition tonifiante et vivifiante qui a produit tant d’incontestables fruits de sainteté ? Pourquoi donc s’acharner de manière obsessionnelle contre la liturgie traditionnelle de l’Église catholique et romaine sans laisser à penser que le ver de la déconstruction systématique de la civilisation chrétienne est également à l’œuvre dans les structures de l’Église (église synodale qui, à la remorque des déconstructivistes, rampe et transforme même le fond de textes – le confiteor nouveau est perverti « je reconnais devant mes frères et sœurs… » à l’imitation du « les citoyennes et les citoyens… les électeurs et les électrices… les camarades et… » là, ça coince) sous la houlette du néo-grammairien inclusif.

« Il n’est pas de culte sans mystère et à vouloir le rapprocher du langage commun pour séduire les fidèles, on risque aussi de les éloigner… C’est à l’élévation des hommes qu’une religion doit travailler et non à flatter ses penchants » écrit Pascal Bruckner.

On voudrait sacrifier sur l’autel de la Sainte Messe le seul embrassement qui unit en un geste identique le ciel et la terre — la Sainte Eucharistie — qu’on ne s’y prendrait pas mieux.