L'affaire de ventes d'armes en Angola, ou Angolagate, est une affaire judiciaire dans laquelle sont impliquées plusieurs personnalités politiques françaises de premier plan, parmi lesquelles un ancien ministre de l'intérieur, un fils de Président de la République, deux milliardaires, un ancien préfet, un général, un magistrat et ancien député. ... C'est une affaire de vente d'armes soviétiques d'un montant de 790 Millions de USD au gouvernement angolais du Président Jose Eduardo Dos Santos en 1994, alors que la guerre civile angolaise vient de reprendre entre le Mouvement Populaire de Libération de l'Angola (MPLA) et l'Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola (UNITA) de Jonas Savimbi. (Cf Wikipedia)

Au-delà de cette affaire judiciaire, de premier plan, il faut le reconnaître, tentons de comprendre dans quel contexte de l'histoire de ce pays elle se situe, et les enjeux qu'elle révèle.

L'Histoire de l'Angola moderne débute en 61, avec l'attaque par un mouvement rebelle d'obédience marxiste, le MPLA, de la prison de Luanda, pour libérer des prisonniers politiques. A l'époque, trois partis sont alliés dans cette guerre d'indépendance :

  • Le MPLA, dirigé à l'époque par Agostinho Neto, soutenu par les russes
  • Le FNLA d'Holden Roberto, soutenu par Mobutu, la Chine, la France, Israël
  • Enfin, l'UNITA de Jonas Savimbi, soutenu par les USA

A l'époque, le Portugal du dictateur Salazar n'envisage pas du tout d'abandonner sa colonie, à cause de ses très grandes richesses (pétrole, diamants, or, coton, sucre, café, bois, etc...), mais bien d'en faire une province. Cette politique  intégrationniste  s'achèvera en Avril 74, avec la  Révolution des œillets , qui renverse la dictature portugaise, et offre à l'Angola son indépendance (accords d'Alvor, Janvier 75).

Malheureusement, comme on pouvait s'en douter, les trois compères révolutionnaires ne s'entendent pas. Agostinho Neto parvient à expulser des villes principales ses compagnons de lutte et proclame la République le 11 Novembre 75. La guerre civile angolaise vient de commencer, avec en filigrane l'appui ultra intéressé de toutes les puissances grandes et moyennes de la planète, France comprise : Situation géopolitique et richesses obligent. Elle suivra, en fait, tous les méandres des grands mouvements internationaux (guerre froide, puis chute du mur de Berlin en 89, puis fin de l'apartheid sud-africain en 91), et ne s'achèvera que le 22 Février 2002, avec la mort de Savimbi, à 67 ans, lors d'une attaque armée des troupes gouvernementales. Celui-ci aura donc passé presque 30 ans, et pratiquement la moitié de sa vie, à tenter de prendre la place de son ancien allié...

Comment se fait-il que cette guerre meurtrière, qui a saigné à ce point ce pays richissime [1], ait pu durer si longtemps ? Comment se fait-il qu'aucune solution pacifique n'ait pu être trouvée, et y avait-il vraiment, de la part des belligérants, mais aussi des puissances étrangères, une volonté réelle de la trouver ? Tentons d'y voir un peu plus clair.

Tout d'abord, comme le dit le proverbe africain  on ne peut pas laisser deux crocodiles mâles dans le même marigot . Il est certain, à ce titre, que Jonas Savimbi était un sacré crocodile, qui possédait, c'est un fait reconnu, un grand talent politique et d'organisateur [2]. Lorsque Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, les deux principaux protagonistes de l'  Angolagate , débutent leurs livraisons d'armes au gouvernement Dos Santos en 93, Savimbi contrôle la presque totalité du pays. Ses troupes sont dans les faubourgs de Luanda, le régime au pouvoir est aux abois. Les armes permettent au gouvernement, juste à temps, de rétablir l'équilibre [3]. A ce titre, c'est véritablement l'histoire de l'Angola que Falcone a fait basculer à ce moment-là. Dos Santos lui doit, à proprement parler, la vie.

Mais Dos Santos est aussi un très fin crocodile : Il sait, dès son arrivée au pouvoir à la mort de Neto en 79, se rapprocher peu à peu de l'Ouest, et négocier avec les USA et l'Afrique du Sud, entre 84 et 88, la pacification du front sud, c'est-à-dire la fin du soutien de l'Afrique du Sud à Savimbi, contre la fin de son propre soutien à la SWAPO, mouvement indépendantiste namibien, qui menace le régime sud-africain... tout en conservant l'appui des cubains.

C'est que Dos Santos a très bien compris que, par-delà les idéologies et la guerre froide, ce qui intéresse l'ouest avant tout, c'est le pétrole. Il y aura donc, et c'est certainement, à notre avis, la raison principale de cette horrible guerre, une belle duplicité de la part des puissances occidentales qui, malgré un soutien affiché, mais de plus en plus ténu, à un Savimbi qui a pourtant toujours défendu les  valeurs occidentales , iront de plus en plus  manger la soupe  avec Dos Santos, celui qui en détient le pot et qui aura su leur inspirer confiance. Ainsi, le soutien à Savimbi deviendra, au fil du temps, une  poire d'angoisse  [4], pour négocier du mieux possible, avec un Etat en permanence affaibli, de meilleures conditions politiques et économiques. On comprend mieux que la fin rapide de cette guerre n'intéressait vraiment personne...

C'est la chute du mur en 89, et puis la fin de l'apartheid en 91, qui signeront, en réalité, le début de la mort politique de Savimbi [5]. A ce moment, Dos Santos a parachevé son œuvre de réconciliation avec l'ouest, et il n'est plus une menace. Savimbi recevra, en récompense de sa fidélité, et de son acceptation d'une solution diplomatique défavorable en 94, une marginalisation progressive, puis l'abandon et finalement la mort, un après-midi de Février 2002, à la tête de ses troupes, quelque part dans la jungle... La morale de l'histoire, c'est que 16 Millions de personnes auront payé, pendant 27 ans de souffrances indicibles, un prix exorbitant pour le pétrole et la realpolitik.

 

 

 

[1] L'auteur est allé très régulièrement dans ce pays, depuis 1978 jusqu'à ce jour. Il peut attester des situations d'atroce misère que les populations ont traversées, dont elles se relèvent à grand peine aujourd'hui

[2] Il disposait aussi, dans les provinces, de la  manne  de l'or et des diamants...

[3] Et Savimbi fera l'erreur, sans doute fatale, de ne pas choisir très clairement sa politique, soit aller jusqu'au bout de son option militaire (puisqu'il avait, à ce moment, partie presque gagnée), soit accepter toutes les conséquences d'une solution diplomatique internationale, avec sa reconnaissance du résultat des élections présidentielles et législatives de Septembre 92 (gagnées par Dos Santos et le MPLA) et en contrepartie la reconnaissance officielle de son parti, mais aussi le casernement de ses troupes dans l'armée régulière, et pour lui-même un poste de vice-Président... sous la coupe de son ennemi (accords de Lusaka de Novembre 94). A notre avis, il a alors manqué de lucidité. Il a cru aux promesses internationales et à une solution  bâtarde , alors que Dos Santos détenait le pouvoir... et surtout le pétrole !

[4] Une  poire d'angoisse  est un instrument de torture, une sorte de boule que l'on introduisait au Moyen Age dans la bouche des suppliciés pour en étouffer les cris. Selon Alain Peyrefitte, le général De Gaulle avait employé cette expression pour lui signifier ce qu'il pensait de la solution de deux Etats en Algérie, qu'il lui avait laissé développer, politiquement et médiatiquement, uniquement afin de s'en servir de moyen de pression contre le FLN.  Introduire ainsi une  poire d'angoisse , une solution insupportable, dans la bouche du FLN était une façon de se rajouter du pouvoir de négociation (Cf  C'était De Gaulle ).

[5] C'est pour cette raison que nous disons qu'il a manqué de réalisme. Au moment où, entre 92 et 94, il accepte une solution diplomatique et  légaliste , il est déjà politiquement mort, parce que son adversaire n'est plus, pour l'ouest, une menace, et que c'est lui qui dispose du pétrole. Qu'avait-il à attendre en acceptant de  se coucher , et de prendre un poste de vice-Président, une voie  légaliste , mais une voie de garage sans avenir ? On l'a vu, la communauté internationale avait déjà pris parti pour son ennemi. A l'évidence, il aurait dû alors forcer le destin, et s'imposer par les armes. Il aurait ainsi mis les occidentaux devant le fait accompli. Mais en 94, le monde avait changé. Il était peut-être déjà trop tard.