Loin d’abolir les inégalités, la PMA les aggraverait. De l’exploitation du corps des femmes aux fantasmes transhumanistes, Alexis Escudero recense dans un ouvrage les risques de la reproduction artificielle. Faire un enfant, «l’absolu à la portée du caniche», comme dirait l’autre… Sauf que fabriquer le petit d’homme n’est pas à la portée de tous. Certains, envers et contre leur destin biologique, persévèrent, techniques à l’appui. Ainsi sont nées PMA, FIV et autre acronymes de l’enfantement. Dans un essai documenté, un jeune chercheur en sciences politiques propose de réfléchir au sens que l’on donne à la vie. Faut-il tout tenter pour enfanter ? Ni écolo réac ni homophobe grimé en vert, Alexis Escudero (c’est un pseudo) propose de réfléchir aux techniques reproductives quand celles-ci répondent à l’infertilité organisée. Congeler ses ovocytes, accéder à la procréation médicalement assistée (PMA) quand on est un couple lesbien, louer un ventre à l’autre bout du monde… le (super)marché est ouvert. Ni professeur dans une université ni philosophe ou sociologue, Alexis Escudero, auteur de la Reproduction artificielle de l’humain, se présente comme un simple citoyen capable de penser par lui-même. Il conduit une thèse sur les oxymores de la croissance verte.
Selon vous, la PMA n’a rien à voir avec l’égalité des droits : elle doit être combattue en tant que telle, et non pas pour son extension aux homosexuels…
La PMA soulève des questions politiques de premier ordre, qu’elle soit pratiquée par des hétéros ou des homos : marchandisation du vivant, eugénisme, exploitation du corps des femmes. La question ne se situe pas là. Si l’on considère que les couples homos sont aussi aptes que les couples hétéros à aimer et élever des enfants, on ne peut la refuser aux uns sans la refuser aux autres. C’est la position que je défends dans le livre : la PMA ni pour les homos ni pour les hétéros. Ceci étant dit, il est évident que l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes fertiles signifierait avant tout l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, fertiles ou infertiles, homos ou hétéros. En somme, le passage d’une technique médicale à une technique de «convenance». Bien sûr, les partisans de la PMA n’aiment pas ce mot. Ils ont raison de rappeler que la PMA n’est jamais une partie de plaisir. Et pourtant aux Etats-Unis, où elle est ouverte à tous et à toutes, un nombre grandissant de couples parfaitement fertiles recourt à la fécondation in vitro [FIV]. Certaines cliniques permettent, grâce au diagnostic pré-implantatoire, de sélectionner les embryons porteurs de certaines caractéristiques génétiques. Les parents peuvent ainsi s’assurer que leur progéniture sera exempte de plus de 400 maladies. Ils peuvent également choisir le sexe du bébé. Et demain, la couleur des yeux ? La FIV pour tous et toutes ouvre la voie au «design» de l’enfant parfait.
Votre livre est aussi une attaque en règle de la gauche au pouvoir qui délaisse les questions de société et occupe l’espace public avec un problème qui n’en est pas un…
Je suis très énervé face à cette gauche qui, au motif de défendre la liberté et l’égalité pour tous, fait avancer des idées précisément contraires à ces principes. Historiquement mené par la gauche, le combat pour l’égalité était social, politique, économique et faisait fi des différences biologiques. Dans le débat sur l’extension de la PMA aux couples de lesbiennes, l’égalité défendue devient biologique. Ce qui est demandé, c’est la possibilité pour des personnes de même sexe de faire des enfants ensemble. On parle bien de faire advenir, par la technologie, une capacité biologique identique à celle des couples hétéros. C’est loin d’être un détail. D’abord cette conception de l’égalité est celle des transhumanistes. Elle confie à la technologie le rôle d’effacer les différences biologiques. Selon elle, seules les biotechnologies, les manipulations génétiques et l’hybridation de l’homme avec la machine permettront d’atteindre l’égalité. C’est une forme de pessimisme libéral, un renoncement à la vie politique. Notre société étant incapable de permettre aux hommes et aux femmes de vivre selon leurs différences, on confie cette tâche au marché et à la technologie.
En quoi ces technologies font-elles avancer des idées contraires aux principes d’égalité et de liberté ?
> La PMA est avant tout un gigantesque marché. Consécutivement à la baisse de la fertilité due à la pollution industrielle et à nos conditions de vie - obésité, stress, tabagisme -, un supermarché mondialisé de l’enfant a émergé. Il pesait déjà 3 milliards de dollars aux Etats-Unis en 2007. Dans ce supermarché, la liberté si fièrement revendiquée n’est qu’une liberté de consommateurs. Et si le produit acheté ne vous convient pas, vous pouvez toujours déposer une réclamation auprès du service après-vente. Un couple de lesbiennes américaines vient de porter plainte parce que leur fille, née suite à un don de sperme, est métisse. Le sperme d’un homme noir a été confondu avec celui d’un homme blanc. La PMA, c’est l’irruption des inégalités sociales et économiques dans le ventre des femmes : aux Etats-Unis, les ovules d’une diplômée de Yale sont beaucoup plus onéreux que ceux d’une étudiante de l’université d’Oklahoma. Avec des femmes qui mettent leur ventre à disposition en Inde, en Ukraine ou en Thaïlande, des couples australiens, néerlandais ou français accèdent à un hard-discount reproductif. Avec le diagnostic préimplantatoire, des couples fertiles aisés «sélectionnent» leur futur enfant. Ces inégalités se doublent d’inégalités biologiques. Si la PMA existe, c’est d’abord et avant tout parce qu’elle engraisse médecins, généticiens, biologistes, patrons de start-up, juristes, avocats, banquiers en sperme ou en ovules. Des centaines d’entreprises prospèrent dans ce secteur, et un nombre grandissant est coté en Bourse. La gauche fait semblant de ne pas le voir.
La critique de la PMA est d’ordinaire réservée à la droite conservatrice et/ou homophobe…
> Une partie de la droite défend un ordre social issu d’un ordre naturel fantasmé. Mais nature et ordre naturel ne sont pas la même chose. Pour critiquer - avec raison - ces positions conservatrices, la gauche rejette non seulement l’ordre naturel, mais également toute idée de nature. On ne peut pourtant pas ignorer nos déterminismes biologiques, nos limites naturelles. En matière de reproduction, certains couples hétérosexuels ne pourront jamais avoir d’enfant, deux hommes ou deux femmes ne peuvent concevoir ensemble. Oui, la nature est contraignante. Mais elle n’est ni bonne ni mauvaise. S’émanciper de la nature n’est pas forcément synonyme de liberté. A l’ère du capitalisme technologique, refuser certaines contraintes naturelles, c’est se soumettre au technocapitalisme, à la médecine et à la génétique. Est-ce si indigne que cela d’accepter des contraintes naturelles ? En revanche, accepter ou non les techniques PMA-GPA [gestation pour autrui] est une question d’ordre politique et moral.
Vous questionnez là le désir d’enfant…
> Je pose surtout la question des rôles sociaux que la société accorde à ceux, nombreux, qui n’ont pas d’enfant. Des statuts comme ceux de parrain, marraine, oncle, tante peuvent permettre de jouer un rôle important dans l’éducation, sans pour autant être parent. Ce sont des choses que je voudrais voir creuser. De même que le sort réservé à l’adoption. Si le désir d’enfant titille tant les gens, pourquoi ne pas adopter ? Pourquoi la gauche ne s’attelle-t-elle pas à ce gigantesque chantier qui consisterait à faciliter les procédures afin de donner des parents aux enfants qui en sont privés.
Que vous inspirent les dernières avancées médicales qui permettent aux femmes nées sans utérus d’enfanter ?
On en revient à la question du désir d’enfant. Pourquoi des femmes sont-elles prêtes à de tels sacrifices ? Se faire implanter l’utérus d’une femme ménopausée ou en état de mort cérébrale, c’est subir une opération de greffe extrêmement lourde avec des traitements d’immunosuppresseurs pendant des années, c’est donc prendre des risques considérables pour sa santé. Sans oublier qu’après avoir servi, cet utérus sera retiré, au prix d’une nouvelle opération, afin d’éviter les risques de rejet. L’injonction sociale à la reproduction pèse évidemment beaucoup plus lourd sur les femmes que sur les hommes. C’est cette injonction qu’il faut dénoncer. Faire un enfant ne devrait pas être synonyme de réussite sociale. D’autant que nous vivons déjà dans un monde surpeuplé.
Facebook et Apple ont annoncé qu’ils financeraient la congélation d’ovocytes de leurs employées qui le désirent.
> Cette fausse solution ne résout pas le véritable problème : la mise en concurrence des hommes et des femmes sur un marché du travail de plus en plus compétitif. Elle oblige des femmes capables de procréer de manière autonome à recourir à des traitements hormonaux, à la fécondation in vitro, au diagnostic pré-implantatoire : à se soumettre à l’institution médicale. Enfin, je ne crois pas que donner à des enfants des parents toujours plus vieux soit un progrès social. Et cela vaut pour ces pères qui font des enfants après 50 ou 60 ans, tout en sachant que c’est leur femme, plus jeune, qui s’en occupera.
Vous évoquez également des recherches dignes d’un livre de science : l’utérus artificiel…
C’est l’objet d’un livre d’Henri Atlan, paru en 2005 (1). L’utérus artificiel - ou ectogénèse - fait partie du discours de certaines cyberféministes depuis les années 70. L’horizon de cette technique, c’est la désincarnation, l’affranchissement du corps. On rejoint là le fantasme ultime des transhumanistes : le transfert du cerveau humain dans un ordinateur, ce que l’on appelle aussi la convergence entre sciences cognitives, biologie, informatique et nanotechnologies. Les transhumanistes ne sont plus ce groupe marginal des années 70. Ils détiennent un réel pouvoir, de l’argent et investissent sans complexes les campus, aux Etats-Unis mais aussi en France. Ainsi, Google a investi dans la célèbre université de la Singularité, fondée par Ray Kurzweil. World Transhumanist Association (WTA) compte près de 6 000 membres, parmi lesquels des académiciens réputés, essentiellement issus de l’informatique, de la robotique ou des nanotechnologies… Ils répandent l’idée qu’une amélioration génétique de l’humain est inévitable. Après tout, puisque nous subissons déjà tout un tas de déterminations à cause de nos origines, de nos parents, de notre culture, alors qu’est-ce qu’une détermination supplémentaire ? Ils sont la véritable extrême droite de notre époque, celle qui entend créer une race d’humains supérieurs en s’hybridant avec la machine.
> (1) «L’Utérus artificiel» d’Henri Atlan, Seuil, 215 pp, 19,30 €.