[Mis à jour] Le projet de loi Macron prévoyant l’extension du travail du dimanche devait être voté le 17 février. Affolé par la perspective d'un échec, faute de majorité affirmée, le gouvernement a décidé de passer en force, en recourant au 49-3. Un recours adopté le jour de Mardi-Gras, une date symbolique dans ce monde inversé des valeurs politiques où l’on va tordre le cou au principe supérieur du repos dominical.
CETTE ANNEE-LA, c’était le début des vacances de février. Toute une France insouciante partait aux sports d’hiver. La neige pleuvait, belle, au rendez-vous, masquant l’œuvre de déconstruction. Dans le dossier du travail du dimanche, combien de décrets, d’ordonnances comme celle du 1er mai 2008, d’amendements félons comme celui de circonstance d’Isabelle Debré, de lois discuté en procédure accélérée, la nuit, pendant des vacances ou des jours fériés ? Eh bien, 2015 poursuivra la tradition de traîtrise. La loi Macron a vu son chapitre troisième au titre « Travailler » arriver à la discussion parlementaire un week-end, ce samedi et dimanche du début des vacances d’hiver. Rare.
Ce fut bien joué ! Une opposition atone. Quelques députés ferraillant vaguement. Bien sûr, on saluera Mme Fraysse, M. Cherki, MM. Paul, Baumel, Poisson et Le Fur. Mais qui a déjà vu des débats houleux à l’Assemblée en concluait vite dès vendredi que la partie était perdue d’avance. Et ce n’est pas la sortie en fanfare du tout petit nombre des députés de l’UMP samedi 14 qui aurait changé quelque chose à l’affaire.
La loi Macron donnant un coup de canif fatal au principe du repos dominical a tranquillement terminé sa discussion cette nuit-là. On nous avait rebattu les oreilles des « frondeurs ». Quelle mascarade ! Le ministre de l’Économie a eu beau jeu de refuser tout compromis, celui des frondeurs comme celui de Jean-Christophe Fromantin. L’embarras de sa majorité, il n’en a cure.
Il faut dire qu’en face des opposants, les moyens mobilisés furent titanesques : toute une presse tenue par les grands groupes et les politiques VIP pro-travail du dimanche sur le devant de la scène quand les syndicats étaient marginalisés. Jusqu’à la délictueuse enseigne Bricorama qui a vu concomitamment fondre la somme de ses astreintes ! Foin des 32 millions d’euro dus : 500 000 suffiront ! Ainsi en a décidé la Cour d’appel.
Le monde inversé des valeurs politiques
Autant dire qu’Emmanuel Macron eut un boulevard devant lui : son camp l'a peu malmené, l'opposition admet avoir été polie. Ce mardi 17 février, le vote de la loi promettait d’être une simple formalité. Ce fut le 49-3. Mardi gras, jour du carnaval ! La date m’apparaît plus que symbolique. Oui, c’est dans cet univers du monde inversé des valeurs politiques qu’on a tordu le cou au principe supérieur du repos dominical. Voilà une mesure voulue par la droite élargie par une gauche sans vergogne. « Travail du dimanche : le sursaut républicain s'efface devant la logique maintenue de libéralisme et de flexibilité » constatait, amer, Jean-Claude Mailly dans un tweet.
Rendre possible l’ouverture des magasins douze dimanches par an, coeur de la Loi Macron, c’est ipso facto banaliser le travail le dimanche. Faire main basse sur trois mois de repos dominical, soit un dimanche par mois, nous fait revenir ironiquement sous le régime de la Révolution française qui avait fait exploser la notion de semaine de sept jours en créant la décade : un jour de repos tous les dix jours, soit trois dimanches par mois. On y est. Presque, car on m’objecte en effet que ce ne sera qu’une possibilité pas une obligation. Quelle idiotie !
L’extension amènera plus d’extension, c’est évident. L’amendement Filipetti permettant aux bibliothèques d’ouvrir le dimanche l’annonce. Plus l’extension sera grande, plus le nombre de services devra augmenter : les transports, les services de garderie pour enfants, les administrations. Ne pas le comprendre c’est faire preuve d’aveuglement comme ne pas comprendre que compensations et volontariat n’auront alors qu’un temps. Le dimanche deviendra jour comme un autre.
Ajoutons que, d’un point de vue religieux, si Paris reste une ville où les horaires de messes restent foisonnants, le manque de prêtres se faisant sentir partout ailleurs en France, les pratiquants qu’on obligera à travailler le dimanche ne pourront plus guère s’acquitter de leur devoir religieux en bien des villes et villages de province.
Pourquoi tenir la position quand les chrétiens eux-mêmes désertent ?
Martine Aubry sur RTL a redit dimanche dernier toute son opposition au travail du dimanche, Anne Hidalgo également ; ces deux femmes si insultées doivent être saluées dans leur conviction inchangée. « Moi évidemment, ça m’arrangerait de faire mes courses le dimanche puisque je travaille toute la semaine. Mais la société de consommation n’est pas un but en soi. Le dimanche, c’est un jour pour la famille, les amis, l’art et la culture. »
Ces deux femmes n’ont pas manqué d’être anormalement stigmatisées, bien seules dans leur juste combat. Elles savent mieux que quiconque que ce sont les femmes qui perdront gros dans le jeu de dupes de la liberté retrouvée telle qu’un Frédéric Lefebvre par exemple la présente. Comme l'a rappelé Jean-Frédéric Poisson, le gouvernement donne la main aux moins contraints. Tout sauf un choix social !
Comparant l’occupation de Twitter par les catholiques ces deux derniers jours sur ce dossier crucial avec celle des questions du “mariage” pour tous, de la fin de vie ou autres questions pro-vie, je me rends tristement à l’évidence. Les catholiques sont les premiers à déserter la question du dimanche. Pourquoi les autres devraient-ils alors tenir la position ? Combien d’évêques d’ailleurs ont-ils donné de la voix en 2015 quand quelques-uns en 2009 avaient tout de même eu le cran de rappeler les bienfaits sociaux du dimanche ?
La loi Macron, qu'on me pardonne cette familiarité, on l’aura bientôt dans le baba… Dimanche chômé ? Fin de partie dans un monde déchristianisé ? Bonjour le vendredi ! C'est déjà là. Le prix de la lâcheté, on l’aura bien mérité ! H.B.
Hélène Bodenez est professeur agrégé de lettres. Elle a publié À Dieu le dimanche ! (Ed. Grégoriennes, préface de Mgr Dominique rey).
En savoir plus :
Notre dossier "Oui au repos dominical"
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