Dans son avis n. 121 intitulé Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir rendu public le 1er juillet, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’oppose à toute forme de légalisation du suicide assisté ainsi qu’à la prescription de sédatifs à visée euthanasique. Le débat sur la fin de vie aurait pu enfin être clos mais le président du CCNE Jean-Claude Ameisen a estimé que cet avis n’était qu’une « étape » dans la réflexion et nécessitait l’organisation d’états généraux qui se tiendront à l’automne. Quant au chef de l’État, il a confirmé son intention de présenter avant la fin de l’année un projet de loi visant à modifier l’actuelle législation.
L’Elysée avait saisi le CCNE en l’interrogeant sur trois points : le statut des directives anticipées, les conditions pour rendre plus dignes les derniers moments d’un malade dont les traitements ont été interrompus et les modalités à prévoir pour permettre à un patient « d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ».
Suicide assisté : fin de non-recevoir
Cette troisième question du chef de l’Etat laissait présager le pire, d’autant que le rapport Sicard qui lui avait été remis en décembre 2012, même s’il récusait fermement toute légalisation de l’euthanasie sur le modèle des pays du Benelux, avait proposé d’autoriser la sédation terminale à visée euthanasique (sédater pour tuer) et avait fait preuve d’une certaine bienveillance en faveur du suicide médicalement assisté tel qu’il est pratiqué dans certains États américains comme celui de l’Oregon où un malade en fin de vie peut obtenir de son médecin la prescription d’un produit létal qu’il s’auto-administre à domicile quand il le souhaite (suicide sur ordonnance).
Concernant le suicide assisté, l’avis n. 121 ne prend pas la peine de répondre à la question du président de la République sur les critères sensés l’encadrer : il lui oppose tout simplement une fin de non recevoir. Certes, huit personnalités sur les 40 que compte le CCNE publient un avis contraire dans une contribution mise en annexe, mais l’avis insiste avant tout pour dire que
"« la majorité des membres du Comité expriment des réserves majeures et recommandent de ne pas modifier la loi actuelle [...], considèrent que le maintien de l’interdiction faite aux médecins de “provoquer délibérément la mort” protège les personnes en fin de vie et qu’il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à “donner la mort”. En ce qui concerne plus spécifiquement l’assistance au suicide, ils estiment que cette légalisation n’est pas souhaitable, portant un jugement très réservé…
Enfin ils considèrent que toute évolution vers une autorisation de l’aide active à mourir pourrait être vécue par des personnes vulnérables comme un risque de ne plus être accompagnées et traitées par la médecine si elles manifestaient le désir de poursuivre leur vie jusqu’à la fin » (p. 2)."
Sur ce point précis, l’avis n. 121 se démarque donc clairement de la mission de réflexion sur la fin de vie présidée par Didier Sicard.
Deux sédations
En ce qui a trait à la question complexe de la sédation, là aussi le CCNE prend soin de s’écarter de certains propos ambigus du rapport Sicard qui recommandait son emploi dans un but euthanasique : « Il serait cruel de laisser mourir ou de laisser vivre un malade sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par le médecin accélérant la survenue de la mort », jugeait le professeur Sicard. Dans la foulée, le Conseil national de l’Ordre des médecins avait pris position le 14 février pour autoriser également la sédation terminale avec l’objectif de précipiter la mort du malade, et ce à la condition d’accorder dans le même temps aux praticiens une nouvelle clause de conscience (concession qui montrait bien que l’interdit de tuer était transgressé dans ce cas-là).
Selon la définition de la Société française de soins palliatifs, la sédation pour détresse en phase terminale est la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à une perte de conscience. Elle consiste donc, en cas de symptômes douloureux réfractaires, à induire cette baisse de la vigilance de la personne, en utilisant des moyens pharmacologiques adaptés que les praticiens des soins palliatifs maîtrisent avec compétence. Concrètement, les spécialistes envisagent son application soit pour provoquer la somnolence d’un malade que l’on peut éveiller à la parole ou par toute autre stimulation, soit pour induire une perte de conscience qui sera transitoire (sédation intermittente) ou non (sédation continue).
Les rédacteurs de l’avis rappellent à juste titre que « la sédation continue ne provoque pas la mort de la personne mais relève du seul souci de ne pas laisser un symptôme ou une souffrance jugés insupportables envahir le champ de la conscience » et que dans ces situations de fin de vie où les thérapeutiques actives disproportionnées auraient été suspendues, « ce sont l’affection grave et incurable de la personne et l’arrêt des éventuels traitements qui sont la cause du décès de la personne » (p. 34).
Il s’agit donc bien d’une question d’intention morale et de maniement des produits en question comme l’explique avec à propos le CCNE :
"« Les doses utilisées sont titrées et adaptées à l’intention. Si la sédation est continue, la mort survient effectivement, mais dans une temporalité qui ne peut pas être prévue et dans un contexte de relatif apaisement qui peut favoriser l’accompagnement par les proches. Si le produit sédatif est utilisé pour mettre fin à la vie d’une personne à sa demande, il s’agit d’une euthanasie. Le médecin ne procède pas du tout de même, et le médicament sédatif est souvent employé à dose crescendo jusqu’au décès » (p. 37).
"
Si l’intention porte sur le fait d’accélérer la mort et que la sédation est utilisée comme un moyen pour cela, l’acte est une euthanasie moralement illicite. Si l’intention est de soulager et que l’abrègement possible de la durée de vie n’est qu’une conséquence non directement voulue, l’acte entre dans le cadre légitime du principe du double effet et peut être moralement licite. Dans cette situation, la cause de la mort du malade n’est pas à proprement parler la sédation mais la pathologie sous-jacente. Autrement dit, le malade, s’il décède, ne meurt pas du fait du médecin mais du libre cours de sa maladie qui a pris le dessus.
Ces quelques rappels nous permettent de comprendre la différence de jugement qu’il convient d’exercer entre une sédation qui a pour objectif premier de soulager – ce que demande aujourd’hui la loi et le Code de déontologie médicale repris dans le Code de la santé publique – et une sédation qui consisterait à poser un geste létal dans le but d’accélérer la mort comme le proposait le rapport Sicard et le Conseil national de l’Ordre. Dans ce dernier cas, la sédation terminale effectuée par l’équipe médicale reviendrait à exécuter une euthanasie qui ne dirait pas son nom, une « euthanasie palliative » selon l’oxymore forgée par certains.
Un avis relativement bon
C’est en ayant à l’esprit ces précisions fondamentales que l’on peut lire correctement la proposition du CCNE de définir « un droit des individus à obtenir une sédation jusqu’au décès dans les derniers jours de leur existence ». Il s’agit dans ce cas d’un droit à la sédation en phase terminale mais non d’une sédation terminale à visée euthanasique selon la précieuse distinction mise en lumière par Mgr d’Ornellas. De manière très intéressante, le CCNE recommande d’ailleurs que dans ces cas la décision soit inscrite dans le dossier médical et obligatoirement précédée d’une procédure collégiale afin que « ce droit soit réellement garanti et sa mise en œuvre ne soit pas dévoyée » (p. 51).
En revanche, là où l’on ne peut plus suivre le CCNE, c’est lorsqu’il confirme l’usage de la sédation après retrait de l’alimentation et de l’hydratation artificielles chez des personnes en état végétatif ou pauci-relationnel, ce qui revient à encourager de véritables protocoles euthanasiques conjuguant arrêt de la nutrition médicale et sédation terminale. Certes, on ne peut pas reprocher au CCNE de vouloir instaurer cette forme d’euthanasie déguisée puisqu’elle est déjà explicitement prévue par le décret du 29 janvier 2010. Il s’agit comme on le sait de l’un des points les plus critiquables de la loi du 22 avril 2005. Cependant, à aucun moment le CCNE n’émet la moindre réserve sur le bien-fondé de ce genre de geste ni ne s’interroge sur sa légitimité éthique.
Plusieurs autres propositions dignes d’intérêt sont par ailleurs à souligner. En premier lieu, le CCNE veut que soit rendu accessible à tous un droit aux soins palliatifs – droit en fait reconnu déjà depuis 14 ans par le législateur –, et développer leur accès à domicile pour permettre aux Français qui le souhaitent dans leur immense majorité de mourir chez eux. Très justement, les rédacteurs de l’avis demandent que les pouvoirs publics remédient radicalement aux situations d’isolement et de relégation des personnes malades, handicapées ou âgées dépendantes, en faisant du temps de la « fin de vie » un temps de solidarité dont les acteurs ne soient pas les seuls médecins mais celui de toute la société. Pour le CCNE, il s’agit de revaloriser également l’accompagnement des plus vulnérables au sein du cercle de la famille en soutenant ces « aidants naturels ».
Enfin le Comité demande avec insistance que cessent les situations « indignes » (non soulagement de la douleur, solitude et marginalisation, acharnement thérapeutique) pour mieux faire respecter la dignité des personnes : une recommandation utile quand on sait que c’est le sentiment d’indignité éprouvé parfois en fin de vie qui permet aux officines pro-euthanasie de prospérer en instrumentalisant les craintes de nos concitoyens. Toutes ces propositions, que personne ne saurait contester, doivent être l’occasion de lancer un vaste « plan Marshall » de la solidarité envers les personnes les plus vulnérables.
L'extension de la procédure de décision
En ce qui concerne la procédure collégiale rendue obligatoire par la loi Leonetti avant toute décision de limitation ou arrêt de traitement, le CCNE souhaite avec raison en faire un temps de délibération collective impliquant l’ensemble de l’équipe soignante et non les seuls médecins, et associant systématiquement le malade quand il peut s’exprimer ainsi que sa famille et ses proches. Le CCNE veut étendre cette procédure à l’ensemble des situations complexes qui peuvent se présenter en fin de vie comme préalable à toute décision.
Ce point nous semble particulièrement judicieux pour éviter à la fois tout acharnement thérapeutique et tout geste ayant une signification euthanasique. Les auteurs de l’avis auraient pu cependant évoquer les situations de conflit parfois générées par cette procédure, tant au sein des équipes que des familles. La procédure collégiale ne produit pas une décision selon un processus de type majoritaire. Il suffit qu’une des personnes consultées ne juge pas le choix final comme moralement bon pour suspendre la procédure. La seconde mission parlementaire sur la fin de vie qui a réexaminé en 2008 ce dispositif de la loi du 22 avril 2005 a été très claire sur ce point dans son rapport final : « Un constat de désaccord doit conduire à poursuivre les orientations thérapeutiques suivies antérieurement [1]. »
Pour que cette procédure collégiale porte tous ses fruits, il faut évidemment que les professionnels de santé soient formés aux enjeux éthiques liés à la fin de vie. Sur ce sujet majeur, le CCNE préconise de repenser de fond en comble l’enseignement au cours des études médicales.
Enfin, la proposition de faire rédiger les directives anticipées avec l’aide de son médecin de famille et de les rendre contraignantes à certaines conditions ne nous paraît pas illégitime.
Au final, on peut dire que nous avons à faire à un avis relativement bon du CCNE, un fait assez rare pour être souligné. Euthanasie, suicide assisté, sédation létale,… autant de pratiques que la grande majorité des membres du Comité récuse, souvent de manière assez bien argumentée. Le CCNE prend même ses distances avec l’ancien avis n. 63 publié en 2000 qui préconisait une « exception d’euthanasie ».
Comme le remarque avec justesse le député Véronique Besse, « en s’opposant au suicide assisté et à l’euthanasie, le Comité d’éthique a rappelé à François Hollande que tout n’est pas permis, qu’un gouvernement doit avoir des limites éthiques [...]. Aujourd’hui, la priorité n’est pas de créer une nouvelle loi, mais d’appliquer la loi Leonetti. Il faut notamment continuer à former et à informer sur l’accompagnement en fin de vie et développer réellement les soins palliatifs ».
Des états généraux inutiles
Aussi regrettons-nous vivement que nous ayons à subir à la rentrée un énième débat public sur ces questions, ainsi que l’ont réclamé de concert le président du CCNE Jean-Claude Ameisen et le chef de l’État. Nous disposons depuis maintenant presque dix ans d’une multitude de rapports, d’auditions, de compte-rendu de débats et de réunions qui convergent quasiment tous pour dire non à l’euthanasie et au suicide assisté et qui demandent que soit mis en place un vrai programme en matière de développement de soins palliatifs, de solidarité envers les plus vulnérables et de formation des professionnels. Pourquoi encore remettre l’ouvrage sur le métier ?
Quelle peut être l’intention cachée de ceux qui souhaitent organiser des états généraux sur ce thème ? Serait-ce pour gagner du temps afin d’inverser dans les prochains mois le rapport de force actuel et prendre leur revanche ? La tenue d’Etats généraux n’est-elle pas une concession offerte à la minorité du CCNE qui milite en faveur de la mise en place d’un dispositif d’ « exception d’assistance au suicide » ? Rien de mieux en effet pour faire bouger les lignes que de tirer au sort un jury citoyen, formé (manipulé ?) pendant un ou deux week-ends par des « experts » (lesquels ?) et chargé de rendre un avis dans la foulée.
D’autant qu’après cette procédure de « démocratie participative », le CCNE sera dans l’obligation de rédiger un nouveau rapport, lequel pourrait contredire en l’espace de quelques mois celui qui vient d’être rendu. Ce risque est tout sauf théorique, car le Comité est sur le point de renouveler la moitié de ses membres, tous choisis directement ou indirectement par le pouvoir actuel, que cela soit par le Premier ministre, les membres de son gouvernement, le président du Sénat, celui de l’Assemblée et bien sûr l’Élysée (qui en nomme quatre à lui seul). Autant d’incertitudes pour l’avenir qui sont loin de nous rassurer.
Pierre-Olivier Arduin est directeur de la Commission biotéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.
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[1] Jean Leonetti, Mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005, Rapport d’information Solidaires devant la fin de vie, n. 1287, tome 1, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 22.
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