Hystérie Collective
La crise diplomatique entre l’Occident et la Russie ne cesse de prendre de l’ampleur,avec l’expulsion de près de 150 diplomates et « espions » russes de plus d’une vingtaine de pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Les raisons d’une telle réaction sont, officiellement, une « riposte » à la tentative d’attentat contre la personne d’un exespion russe - Sergueï Skripal - et de sa fille, à Salisbury, au Royaume-Uni, le 4 mars dernier. Or, il convient de noter que cette incroyable campagne antirusse ne repose sur presque rien et que les réactions qu’elle suscite apparaissent totalement disproportionnées. Un assassinat… sans mort et sans preuve Jusqu’à présent, force est de constater qu’aucune preuve irréfutable de la culpabilité de la Russie dans cette tentative d’assassinat n’a été fournie au public. Pour le moment, toutes les accusations demeurent verbales. Considérons rapidement les faits - indéniablement, une tentative d’assassinat a bien eu lieu contre Skripal et sa fille ; - un policier britannique aurait été également contaminé - mais il n’y pas eu dans cette affaire mort d’homme - l’utilisation du Novichok n’est pas formellement prouvée ; - La manière dont la substance neurotoxique a été diffusée n’est pas clairement établie : la police britannique a tour à tour parlé d’un cadeau empoisonné apporté par Ioulia Skripal, puis d’un gaz diffusé via le système de ventilation de la voiture de son père, pour enfin constater qu’il y avait une forte concentration de traces du produit sur la porte d’entrée - à l’extérieur - du domicile de la victime.
Cela fait beaucoup d’incertitudes qui ne permettent pas, en l’état actuel des choses, d’accuser Moscou de cette tentative d’assassinat d’une manière catégorique, d’autant que d’autres zones d’ombre existent : - si le neurotoxique utilisé se révélait bien être du Novichok, cela ne serait pas la preuve irréfutable de son emploi par les services russes ou de l’implication de Moscou. En effet, la fin de la Guerre froide pourrait très bien avoir permis à des organisations ou des puissances étrangères de se procurer ce produit auprès du complexe militaro-industriel de l’URSS, alors en pleine décomposition. Il convient donc de rester prudent. Le président tchèque Milos Zeman a ainsi demandé à ses services de renseignement de vérifier si le Novichok pouvait avoir été fabriqué ou stocké dans son pays ; - quand bien même Skripal aurait été ciblé par des Russes, encore faudrait-il déterminer s’il s’agit de la mafia, des services, de dissidents des services et si l’ordre a été donné par Poutine lui même, ce que n’ont pas manqué d’affirmer péremptoirement les autorités britanniques . Surtout, il est difficile de voir l’intérêt qu’il y avait pour Moscou d’éliminer un individu comme Skripal. Rappelons qu’il n’était que l’un des nombreux ex-espions russes réfugiés à Londres et l’un des moins dangereux. Cet ancien officier du génie parachutiste a poursuivi sa carrière dans les relations internationales à partir des années 1990 : il a été attaché militaire à Malte puis à Madrid avant de revenir à Moscou en 1996 pour raisons de santé (diabète). A noter que si, dans le système russe, les attachés militaires sont administrativement rattachés au GRU, les titulaires de ces postes ne sont pas nécessairement issus de ce service. Très peu d’entre eux sont au courant des noms des agents clandestins opérant dans leur pays de résidence.
D’ailleurs la relative « légèreté » de la condamnation de Skripal - 13 ans de prison - pour avoir espionné au profit du Secret Intelligence Service britannique, montre bien qu’il n’a pu donner des informations stratégiques à ses officiers-traitants, sans quoi il eut écopé de la perpétuité et n’aurait sans doute pas été échangé en 2010 contre d’autres membres du SVR arrêtés aux États-Unis. De plus, Skripal vivait depuis sept ans en Angleterre sous son identité réelle, de manière transparente et n’y menait pas d’activités antirusses4 . Il ne représentait donc aucun un danger pour Moscou. On perçoit donc mal l’intérêt pour le Kremlin de l’éliminer même si certains font le lien avec le discours de Poutine mi-février devant les membres des services. Dans son allocution, le président russe a en effet déclaré qu’il ne pardonnerait jamais les trahisons. Dès lors, certains commentateurs en ont tiré la conclusion pour le moins hasardeuse qu’il s’agissait d’un appel au crime. Cela n’a guère de sens.
En effet, il n’est pas dans la tradition des services de quelque pays que ce soit d’éliminer quelqu’un que l’on a échangé. Au demeurant, ces « observateurs » omettent de rapporter que, dans ce même discours, le président russe a appelé à rétablir le dialogue avec les services américains . Ainsi, pour le moment, les Britanniques n’ont fourni ni aux médias ni à l’opinion de preuve concrète de leurs accusations à l’égard de la Russie… qu’attendent-ils donc pour le faire ! S’ils en ont la preuve irréfutable, que ne la produisent-ils publiquement ? Sans doute considèrent-ils qu’une accusation tonitruante et un battage médiatique intense suffisent à convaincre le monde de la culpabilité de Poutine. Mais pour l’instant, les Britanniques n’ont fait qu’accuser gratuitement Moscou, le sommant de prouver son innocence, ce qui sur le plan juridique est une scandaleuse inversion de la charge de la preuve et semble n’avoir choqué personne ! Londres a également refusé la coopération des Russes pour cette enquête, ce qui ne manque pas de poser la question de leur intérêt à ne pas ouvrir le dossier à d’autres acteurs . Enfin, si les preuves étaient produites et qu’il soit démontré que cette action ait bien été ordonnée par le Kremlin et exécutée par ses services, rappelons que Skripal est un traître à son pays. Dans la mesure où il pourrait avoir livré au SIS les noms d’officiers et d’agents russes, il n’est pas illégitime que des proches de ceux qui ont été victimes de sa trahison cherchent à se venger. Ce ne sont pas les Américains qui diront le contraire, eux qui n’ont de cesse de poursuivre Edward Snowden et Julian Assange pour avoir révélé des informations portant atteinte à leur sécurité nationale. Certes, les deux hommes n’ont pas fait l’objet de tentative d’assassinat, mais les menaces proférées à leur encontre et les pressions exercées sur ceux qui les hébergent sont sans équivoque ; Washington n’a jamais caché son intention de leur faire payer leur trahison (Snowden) et leur complicité (Assange).
Deux poids, deux mesures En l’état actuel des choses, nous sommes conduits à mettre en doute les affirmations des autorités britanniques, reprises par les Américains, car nous n’oublions pas que les plus hauts représentants de ces deux Etats ont, dans un passé récent, effrontément menti au monde. En 2003, les Américains ont envahi l’Irak, sur la base de renseignements faux (armes de destruction massive) ou en partie fabriqués par Donald Rumsfeld et son Office of Special Plans (OSP) co-dirigé par Paul Wolfowitz et Douglas Feith. Dans le cadre de ce conflit, le Premier ministre britannique Tony Blair, assisté de son Spin Doctor Alastair Campbell, faute d’arguments fournis par ses services – car il n’en existait pas –, a sans vergogne utilisé des éléments sans aucune valeur scientifique issus du mémoire de master d’un étudiant qui prétendait que Saddam disposait de missiles équipés d’armes de destruction massive pouvant être tirés en moins de 40 minutes.
À l’époque, le directeur du SIS, Richard Dearlove, pourtant parfaitement conscient du mensonge de ses dirigeants se tînt coi. Pire encore, il appuya les Américains dans leur stratégie afin que ne se produise pas de découplage entre les deux rives de l’Atlantique, ce que les sujets de sa majesté redoutent par dessus tout. Ainsi, le SIS s’est rendu pleinement complice de cette supercherie et sa crédibilité a été largement entamée. Il n’est donc plus possible de prendre pour argent comptant ce que déclarent Londres et ses services. Par ailleurs, les accusations et les rétorsions dont la Russie fait l’objet pour avoir violé - à travers cet acte, comme via ses nombreuses cyberattaques supposées - les règles du droit international, laissent songeur. En effet, il convient de rappeler, qu’en la matière, les Américains et leurs alliés ont fait bien pire. - En 2003, les Etats-Unis ont envahi illégalement l’Irak, bafouant à la fois le droit international et le vote des Nations Unies, fabriquant les preuves dont ils avaient besoin pour justifier leur agression. Ils ont renversé le régime de Saddam – ce que personne ne regrette -, créant un chaos dont les conséquences se font toujours sentir aujourd’hui et qui a permis l’éclosion de Daech. - Rappelons également que les Américains et certains de leurs alliés opèrent aujourd’hui illégalement sur le territoire d’un État souverain, toujours reconnu par l’ONU : la Syrie. Dans ce pays - dont le régime a été « noirci » à l’envi par les médias occidentaux -, les seules forces étrangères présentes légalement sur le terrain sont celles auxquelles a fait officiellement appel le gouvernement de Damas : Russie, Iran, Hezbollah. Les autres sont des intrus, que cela nous plaise ou non, car il n’y a pas deux droits internationaux. - Dans le cadre de son action en Syrie, Washington a armé, consciemment et inconsciemment, divers groupes djihadistes qui ont perpétré de nombreux attentats et massacres contre la population de ce pays, ce que les médias pro-occidentaux passent sous silence. - Rappelons aussi que depuis le 24 août 2016 - date du déclenchement de l’opération Bouclier de l’Euphrate -, la Turquie est également entrée illégalement en Syrie pour y mener une guerre contre les Kurdes, qui sont pourtant chez eux, provoquant de nombreuses victimes civiles, sans que l’Occident ni la communauté internationale ne s’insurge de cette violation flagrante du droit international et de l’intégrité territoriale de ce pays. - De même, l’Arabie saoudite, grand allié régional des États-Unis, et les Émirats arabes unis, ont déclenché une guerre sanglante contre les Houthis au Yémen. Certes, le gouvernement « légal » mais minoritaire d’Aden a lancé un appel à l’aide internationale pour vaincre ces rebelles. Toutefois, cela ne justifie en rien les massacres et destructions (ciblage délibéré des populations civiles et d’infrastructures économiques vitales) qui caractérisent cette opération, laquelle a lieu avec le soutien moral et logistique des Américains, des Britanniques et des Français. Elle a engendré une catastrophe humanitaire sans précédent que les médias Mainstream évoquent à peine. - Enfin, nous ne saurions oublier les nombreuses victimes innocentes des frappes de drones américains effectuées dans le cadre contre la Guerre contre le terrorisme (GWOT), ni les « erreurs » de ciblage dont les Américains semblent coutumiers (ambassade chinoise à Belgrade en 1999, hôpital de Médecins du Monde en Afghanistan en 2015, etc.).
Aucune de ces actions n’a donné lieu à une condamnation de la communauté internationale, pourtant ouvertement méprisée par les auteurs de ces actes, ni à l’expulsion de diplomates américains, britanniques, turcs ou saoudiens par la Russie ou les autres Etats qui se disent indépendants et respectueux du droit international… dont la France ! Washington et ses auxiliaires ont imposé au monde leur version très personnelle du droit international, et leurs nombreux affidés s’y sont pliés sans broncher. Une autre illustration de cette triste réalité a été donnée lorsque, dans le cadre de la GWOT, les États-Unis ont multiplié les enlèvements extra-judiciaires à l’étranger (Renditions) et ont autorisé leurs services à employer la torture, allant jusqu’à légaliser et formaliser son usage avec l’aide de nombreux juristes. Face à une telle dérive, indigne d’une démocratie et d’une civilisation se disant « évoluée », quelles sont les voix qui se sont élevées ? Combien ont rompu les relations diplomatiques avec Washington ou renvoyé ses diplomates ?
Nous cherchons toujours. Et il en est allé de même lorsqu’il fut révélé que les Américains avaient mis la planète sur écoute, espionnant jusqu’à leurs serviles alliés européens. Seules quelques timides protestations furent émises, murmures à peine audibles et bien vite oubliés. Ainsi, l’ampleur de la campagne antirusse semble bien relever d’une stratégie délibérée et non d’une réaction indignée à d’hypothétiques violations de règles internationales de l’espionnage. Cela explique les réactions totalement disproportionnées qu’a engendré cette affaire. Au passage, il est pitoyable de constater le comportement de moutons de Panurge des pays européens – dont encore une fois la France1 -, au nom d’une soi-disant solidarité européenne, suite à des preuves que leur aurait fournies le gouvernement britannique, mais dont personne hors des cercles gouvernementaux n’a vu la couleur. Il est vrai qu’on ne demande pas aux médias de recouper l’information mais de la relayer, ni aux opinions de réfléchir, mais de croire ! Nous assistons en conséquence à une véritable diabolisation de la Russie, certains Britanniques allant jusqu’à procéder à un amalgame pitoyable entre la présidence Poutine et le troisième Reich ! Punir la Russie… d’exister ! Au-delà de la tentative d’assassinat contre Skripal, la riposte occidentale s’inscrit plus largement dans une volonté de réagir aux « nombreuses agressions dont la Russie est responsable ». Citons pêle-mêle l’annexion de la Crimée, le soutien aux séparatistes du Donbass, les cyberattaques contre l’OTAN, les tentatives de perturbation des élections américaines, le soutien au régime de Bachar, etc. Pour les Occidentaux, c’est proprement insupportable, car bien sûr, eux ne se sont jamais livrés à de telles actions. La CIA n’a jamais cherché à influer sur l’issue d’élections (cf. la succession d’Eltsine) ou à installer des régimes favorables à ses intérêts dans le monde. Les États-Unis n’ont pas soutenu la pseudo révolution ukrainienne de Maïdan qui a renversé le régime – indéniablement pourri – du président Ianoukovitch, pourtant légalement élu en présence d’observateurs de l’OSCE qui avaient jugé le scrutin « transparent et honnête » ! De plus, il est bien connu que les Américains ne se livrent pas à l’espionnage, pas même contre leurs alliés européens et n’écoutent jamais leurs dirigeants politiques. Enfin, Washington n’essaie pas non plus de déstabiliser les régimes iranien ou vénézuélien. Non, les Occidentaux sont irréprochables ! Certes, depuis deux décennies, les services russes – et surtout chinois – ont redéployé leurs réseaux de renseignement d’autant plus facilement que les services de sécurité occidentaux ont, à partir de 2002, délaissé le contre-espionnage pour se focaliser sur la lutte contre le terrorisme islamique. Mais lorsque l’on accuse Moscou d’espionnage – ce qui est une réalité –, il convient de ne pas oublier que si Skripal et d’autres ex-officiers de renseignement russes sont aujourd’hui réfugiés au Royaume-Uni et aux États-Unis, c’est bien la preuve que les pays occidentaux espionnent aussi allègrement leur rival russe… ce dont personne ne semble s’offusquer . Cette tentative d’assassinat du transfuge russe est une aubaine pour les ÉtatsUnis. En effet, depuis près de deux ans, les membres de l’Establishment américain – républicains et démocrates mêlés - tentent par tous les moyens de faire tomber le président Trump, lequel n’est pas issu de leur monde et ne partage pas leurs intérêts de classe.
À cet effet, ils ne cessent de brandir l’argument des liens coupables que lui et les membres de son entourage entretiendraient avec le Kremlin. Tout cela sans preuve. Mais ces attaques à répétition contre l’hôte de la Maison-Blanche permettent au passage de dissimuler les malversations dont s’est rendue coupable Hillary Clinton afin de ravir l’investiture démocrate à Bernie Sanders lors des dernières élections présidentielles, les magouilles judiciaires et financières des Clinton et d’Obama sur lesquelles la justice d’outre-Atlantique enquêtera peut-être un jour, et les dysfonctionnements graves de la « démocratie » américaine qui vit sous la menace permanente du Shut Down en raison de ses querelles politiques internes . Relancer la Guerre froide, sous une forme ou sous une autre, est donc la seule solution qu’ont imaginé les édiles d’outre-Atlantique pour résoudre leurs graves problèmes internes et refaire l’unité d’un pays dont les classes dirigeantes s’entre-déchirent. Paradoxalement, ce procès en sorcellerie de la Russie ne semble guère du goût de Donald Trump. À l’occasion de cette crise, le président américain s’est montré bien moins catégorique que la majorité des élus américains. Les félicitations qu’il a adressées à Vladimir Poutine à l’occasion de sa réélection ont ainsi été critiquées par les grands médias américains qui l’ont accusé de réticence à critiquer frontalement son homologue russe. La légitime réaction de Moscou Ces provocations constantes à l’égard de Moscou , malgré l’étonnante mesure dont Poutine a fait preuve, ont conduit les Russes à réagir, faisant malgré eux le jeu des Américains et les aidant dans leur stratégie machiavélique.
Rappelons qu’à l’issue de la Guerre froide, un certain nombre d’accords furent signés entre les Occidentaux et le nouveau régime russe (traité de limitation des armements, engagement de non extension de l’OTAN, etc.). Aucun n’a été respecté et Washington n’a cessé de chercher à affaiblir Moscou. Néanmoins, la Russie a apporté son soutien aux opérations antiterroristes américaines en Afghanistan (2002) en mettant à leur disposition certaines de ses bases aériennes et en coopérant en matière de renseignement. Les États-Unis ne leur en furent jamais reconnaissants. Puis à l’occasion des soi-disant « révolutions arabes » (2011), les Occidentaux ont systématiquement outrepassé les résolutions de l’ONU auxquelles les Russes s’étaient associés, notamment en Libye (résolution 1973), pour provoquer des changements de régimes… plus ou moins heureux et durables. Devant ces tromperies et humiliations à répétition, la Russie ne pouvait indéfiniment rester sans réagir. Dans un premier temps (2014), Moscou a décidé de ne pas abandonner les populations russophones du Donbass et a tiré parti du chaos créé par la « révolution » ukrainienne - pilotée par des groupes d’extrême-droite soutenus par l’Occident – afin de « récupérer » la Crimée par des moyens tout aussi irréguliers que ceux qui ont conduit au renversement de Ianoukovitch. Depuis, les Russes continuent d’apporter leur soutien aux habitants d’Ukraine orientale, que Kiev cherche à remettre au pas par les armes. Dans un second temps, Vladimir Poutine a décidé d’intervenir en Syrie à la demande légale du gouvernement de Damas (2015).
L’entrée en action des forces russes a significativement contribué à sauver le régime de Bachar El-Assad ainsi que les minorités chrétiennes, druzes, alaouites et les sunnites qui le soutiennent et qui vivent depuis 2011 sous la menace constante d’une barbarie islamique infiniment pire qu’un régime autoritaire. Finalement, ce retour de la Russie au premier rang de la géopolitique mondiale paraît davantage être le résultat des provocations répétées de l’Occident - en réalité des États-Unis - à leur égard, que d’une volonté planifiée de réaffirmer urbi et orbi, une puissance déchue. Mais aussitôt que ce retour s’est produit, les apprentis sorciers qui ont tout fait pour le provoquer ont jubilé car la menace inconsistante qu’ils évoquaient prenait enfin forme, leur donnant raison… mais selon quel stratagème machiavélique ! Il demeure pourtant ahurissant de considérer que Moscou menace les Occidentaux. Rappelons que le budget de défense russe est neuf fois inférieur à celui des États-Unis et qu’il est également deux fois inférieur à ceux de la France, du Royaume Uni et de l’Allemagne cumulés. Il ne représente qu’1/13e de celui de l’OTAN... On aimerait comprendre qui menace qui ? D’autant que suite à sa réélection, le 18 mars dernier, Vladimir Poutine a confirmé son intention de réduire les crédits militaires en 2018 et 2019 afin d’empêcher toute nouvelle course aux armements. Tout semble donc orchestré afin de faire resurgir une menace russe, tant pour des raisons de politique intérieure que pour pousser les Occidentaux à faire bloc avec Washington. Ainsi, l’affaire Skripal tombe à point nommé pour lancer une nouvelle manœuvre de diabolisation de la Russie. Moscou a initialement protesté, considérant que la décision des pays européens d'expulser des diplomates russes était un geste provocateur au nom d’une prétendue solidarité avec Londres et que cela témoignait d’une volonté claire de confrontation.
Puis le 29 mars, la Russie a riposté en expulsant soixante diplomates américains et en annonçant la fermeture du consulat des États-Unis à Saint-Petersbourg. Des sanctions ont également été prises contre les pays européens1 , à titre de réciprocité. * Même si l’histoire ne se reproduit jamais à l’identique, la situation actuelle n’est pas sans faire penser à celle de 1918 et aux très lourdes sanctions imposées à l’Allemagne, lesquelles furent en partie à l’origine du sentiment de revanche germanique à l’origine de l’accession d’Hitler au pouvoir et de la Seconde Guerre mondiale. Va-t-on pour autant vers une Seconde Guerre froide ? Il est encore trop tôt pour le dire. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour le moment, les deux « camps » paraissent tirer bénéfice de la situation. Souhaitons seulement que cette « stratégie de la tension » ne monte pas aux extrêmes. Car le problème avec les apprentis sorciers que produit régulièrement l’Amérique, c’est que l’on ne sait jamais comment cela va finir.
L’histoire a montré que leurs stratégies hasardeuses produisaient rarement des effets heureux. Les Irakiens peuvent en témoigner. Le plus grave dans cette affaire est que l’Europe s’est délibérément placée encore un peu plus dans l’orbite des États-Unis. Ce faisant, elle ne mesure pas à quel point elle est en train de perdre tout respect et crédibilité à l’international. En effet, l’Occident, sous domination américaine, se veut toujours donneur de leçons de morale et de droit… qu’il ne respecte pas. Tant de mensonges, de mauvaise foi, de violations des lois internationales et des engagements pris ont quasiment réduit à néant le magistère moral qu’il exerçait jadis. Pour bien des pays des quatre autres continents, l’Europe n’est plus autonome et l’Occident n’incarne plus l’exemple à suivre. Ce dernier est devenu un perturbateur comme les autres, voire pire peut être. Et beaucoup s’en défient désormais, à juste titre.