Les mirages de l'Art contemporain (Christine Sourgins)

Dans un livre référence paru en 2005 et fraîchement réédité en version de poche, l’historienne Christine Sourgins apporte un regard aiguisé sur les mécanismes qui régissent le phénomène de l’art contemporain. Également présente dans le dernier numéro de la revue Liberté Politique portant sur l’art religieux, elle s’est prêtée aux jeux de nos questions d’été.

Liberté Politique : En dix-huit ans, les lignes ont-elles bougé du côté de l’art contemporain ?  

Oui et non. Que cet art n’en finisse plus d’être « contemporain » montre sa puissance d’inertie. Laissons de côté des inflexions, comme son affinité pour les détournements du christianisme, que le livre révélait, à laquelle s’est ajouté l’attrait du « chamanisme », plus porteur. L’important est qu’il soit ouvertement devenu un Art financier : il y a 18 ans le grand public n’imaginait guère que l’État mette le patrimoine au service d’intérêts privés, suggérer « un jour, Koons sera à Versailles » ne paraissait pas crédible. Les yeux se sont ouverts sur la notion d’Art financier (les rééditions du livre y ont contribué) un phénomène plus grave qu’un simple affairisme : au-delà des records d’enchères pour snobs, du club d’investissement pour gagnants de la mondialisation, cet art est bien plus qu’un « miroir du temps » :  c’est l’agent virulent d’une société gouvernée par le chiffre, la performance, le « toujours plus » et le pas de limites : un broyeur de sens redoutable. Il y a 18 ans on ne voyait pas encore au profit de quoi : maintenant, on s’aperçoit que la déconstruction opérée par l’art dit contemporain a opportunément aidé l’avènement des théories du genre ou du Wokisme…

 

LP : Des œuvres d’art contemporain trouvent-elles grâce à vos yeux ?  

Oui mais par exception. Il faut cependant préciser que cet « art contemporain » n’est pas l’art de tous nos contemporains. Ce terme trompeur (mieux vaut celui d’AC, non équivoque), désigne l’art (réduit au sens de « techniques ») d’une petite partie, pointe de l’hypermodernité. Elle use de pratiques « conceptualisantes » issues de celles de Marcel Duchamp. Le problème n’est pas que l’AC existe mais comment il existe : détournant les mots art, contemporain, disqualifiant tout ce qui n’est pas lui, donc la suite de l’art au sens séculaire du terme (Art moderne compris).  L’AC transgresse pour transgresser, l’œuvre parfois se résume à la provoc qui sert à faire du buzz, donc les cotes. Un sens nourricier est rarement atteint :  ainsi cette plante verte qu’Ola Pehrson (1964-2006) couvre d’électrodes, traduisant sa croissance en impulsions électriques ; relié à un ordinateur, connecté à un logiciel vendant et achetant des actions, au bout de 6 mois, le Yuka avait gagné de l’argent ! Ma préférée, celle d’Alexandre Ouairy : cet artiste nantais s’exila en Chine sans grand succès. Avec la complicité de son galeriste, il prit un pseudonyme chinois et ses prix s’envolent.  Au bout de 10 ans, il révèle une mystification en forme d’œuvre comportementale, conceptuelle, malmenant le totem de l’internationalisation de l'art : ailleurs qu’en France le patriotisme artistique est vertueux ! Trop gênant, depuis on a peu entendu parler de lui.

 

LP : L’art contemporain est-il mortel et surtout peut-il mourir bientôt ?  

Que tout soit mortel n’est pas si rassurant : le système soviétique n’a duré que 70 ans mais que de dégâts.  L’AC, plus que centenaire, dure car devenu art fiduciaire (tel une monnaie) et « couteau-suisse » de la mondialisation, ce que le livre détaille, comme tous ses dommages collatéraux, entres autres sur les enfants : les cars scolaires les conduisent à des centres d’art prônant le no limite, « détruire c’est créer » ou « la pulsion vous rendra libres » etc. Insidieusement, sous prétexte d’art, d’humour, de jeu, de modernité, de progressisme, l’AC assène ses leçons de radicalité, inculque la moraline de l’Ultra-libéralisme. Si le principe de réalité peut faire plier l’AC, plutôt que de compter sur des bouleversements économiques, géopolitiques ou climatiques, renversons le problème : la critique de l’AC nous aide à comprendre ce qu’il faut changer dans une société qui se « décivilise ». Car toutes les catégories sociétales, philosophiques, politiques etc. manœuvrent en permanence dans l’AC, c’est donc un fabuleux outil de compréhension, à condition de ne pas être tétanisé par la séduction ou le dégoût qu’il inspire.  Un salutaire exercice de lucidité.

 

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Tout au long de l’été, retrouvez nos entretiens avec des personnalités qui ont retenu l’attention de Liberté Politique. Rendez-vous vendredi pour une nouvelle entrevue !