La publication du rapport Sauvé a de quoi plonger notre âme dans de sombres abîmes. Après deux ans et demi de travaux, les conclusions de la grande enquête menée sur les abus sexuels au sein de l’Eglise de France sont enfin connues, et les résultats ne peuvent que nous ébranler. Aucune réflexion, aucun article, aucun éditorial ne sera évidemment parfaitement adéquat à la situation. Est-il possible d’apporter une réponse qui soit humainement adaptée à l’intensité de tous ces drames et de ces vies brisées ? Pourtant, tandis que les larmes se mêlent à la colère, quelques remarques indispensables s’imposent.
Tout d’abord, concernant l’ampleur du phénomène. Les chiffres sont vertigineux : les victimes mineures sont estimées à 216 000 en 70 ans. On est cependant obligé de s’interroger sur les méthodes employées : le rapport de la CIASE mentionne (p. 10 et 11 de la synthèse) avoir sollicité l’assistance de l’INSERM et de l’IFOP, pour un sondage en ligne (1628 questionnaires complétés, ayant donné lieu à 69 entretiens) et une enquête en population générale (échantillon de 28 010 personnes). Les extrapolations générales se sont faites sur la base de ces enquêtes : peut-on considérer que des situations aussi sensibles, des témoignages et des vécus aussi douloureux, peuvent se voir appliquer des méthodes comparables à celles de sondages électoraux, avec des « échantillons représentatifs » ? Cela pose assurément problème.
Ensuite, la répartition chronologique. Le rapport a pris le parti de découper la période d’études en « tranches » de 20 ans, faisant ressortir le fait que l’essentiel est concentré sur la période 1950-1970. Ce découpage a l’avantage de noyer dans la masse la césure du concile puis de mai 68 et de leurs conséquences : prêtres défroqués, séminaires vidés ou envahis par un vent mauvais comme le rappelait Benoît XVI dans son document d’avril 2019. Ce n’est pas un choix anodin.
Mais ne nous attardons pas sur ces chiffres. Quand bien même ils seraient exagérés ou gonflés : une seule victime est déjà de trop, surtout quand l’auteur du crime est le prêtre, image du Christ. L’horreur réside dans les actes eux-mêmes, et l’aveuglement, la négligence, le silence coupable de tous ceux qui ont laissé faire. Dans le long catalogue des souffrances et des fautes, l’indifférence aux victimes est peut-être le plus choquant de tout.
La question « à qui la faute » va résonner, et pour longtemps. L’après-rapport Sauvé va apporter un cortège de problèmes peut-être aussi lourds que ceux qu’il souhaite mettre en lumière. Se pressent au portillon tous ceux qui croient avoir trouvé la solution pour régler le problème par un coup de baguette magique, tous ceux qui veulent jeter aux orties l’institution ecclésiale dans son ensemble en en faisant le réceptacle de toutes les pires perversions, tous ceux qui se réjouissent de tenir enfin la preuve tangible et « objective » de la culpabilité intrinsèque de l’Eglise, une construction humaine destinée à faire le malheur des hommes. Les solutions les plus éculées ressurgissent : supprimer le secret de la confession, marier les prêtres. Faut-il répondre à ces inepties ? Oui, en quelques mots à marteler pour les sceptiques. L’ordre de la confession n’est pas d’être un auxiliaire de la justice des hommes et son secret est un absolu. Le mariage des prêtres n’est pas une solution, et témoigne d’une bien piètre vision de ce qu’est le mariage s’il ne doit être qu’un outil de prévention des déviances, d’autant que l’essentiel des abus sexuels sont aujourd’hui commis dans le cercle familial.
Pour finir, un point nous a frappé à la lecture de ce rapport indépendant, et réside dans les mots employés. Une dévalorisation du terme de « péché » quand il est convoqué, et de celui de chasteté. Il n’y a point là de hasard. La chasteté est presque systématiquement présentée comme un synonyme de frustration sexuelle assumée par l’Eglise. Depuis trop d’années, la notion de péché mortel est en voie de disparition. Or y a des « fautes » qui tuent le corps comme l’âme, de soi-même et d’autrui. Le pardon de Dieu est incommensurable, mais il nécessite le repentir et la réparation, et s’accompagne de peines dans ce monde et dans l’autre. La tentation du « paradis pour tous » tend à faire oublier cette vérité essentielle, ce qui brouille toujours plus les limites du bien et du mal. La passivité, la tiédeur ne peuvent être de mise : les sanctions et la mise en lumière crue du mal doivent être exemplaires. Nous formons le vœu que la conscience aiguisée de la grave faillibilité des fils de l’Eglise nous aide plus que jamais à réaffirmer l’éminente sainteté de l’Eglise, épouse du Christ.
Constance Prazel