Au terme d'une campagne électorale très longue puisque sa phase active aura duré plus d'un an, primaires comprises, trois conclusions peuvent déjà être tirées qui resteront valables quel que soit le résultat du second tour : le renouvellement ; un vrai choix entre deux modèles ; le contournement des valeurs essentielles.
Ces conclusions, toutes provisoires, campent les termes du choix qu'il faudra faire dimanche. Quatrième remarque donc, le pari reste ouvert, et demain est un autre jour.
1/ Le renouvellement de la vie politique
La vie politique s'est sensiblement renouvelée, comme si les leçons des quinze ou vingt dernières années avait enfin porté.
Le changement de génération est patent qui élimine sans retour les vieux crocodiles, éléphants et autres acteurs défraîchis qui occupaient la scène depuis des décennies : ni Ségolène Royal, ni Nicolas Sarkozy, ni François Bayrou ne sont les clones de leurs prédécesseurs, n'en déplaise à leurs détracteurs respectifs ; ils en sont plutôt les antithèses. Ce changement de génération n'est ni sans attrait aux yeux des électeurs, ni sans inconnue, notamment quant à l'exercice de la fonction suprême par des candidats qui sautent une ou plusieurs étapes intermédiaires pour y parvenir.
Il s'accompagne d'une véritable refondation des deux principales formations politiques qui a été décisive, quoique sa portée ne soit pas toujours perçue. L'UMP la plébiscite et l'assume complètement, comme si elle s'en trouvait enfin libérée, alors que celle du PS n'est qu'amorcée et demeure subie.
Il s'est enfin accompagné d'un revirement complet de l'expression contestataire : l'extrême-gauche est en miettes ; l'extrême-droite en voie de marginalisation, aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur. La contestation antisystème s'est portée au centre avec la recherche d'une alternative qui ne soit plus vaine et désespérée, mais qui s'efforce à un certain réalisme ; autre est la question, encore sans réponse, de son avenir.
2/ Le choix entre deux modèles
L'alternative que le second tour propose aux électeurs demeure cependant assez nette pour que leur choix ait un sens politique, sur deux plans qui se conjuguent et se renforcent.
Le premier est celui des orientations. Malgré de réelles convergences, le débat télévisé du 2 mai a clairement fait apparaître deux visions distinctes : l'une marquée par la préférence pour l'autonomie et la responsabilité des individus, fondée sur des valeurs qui renouent avec une tradition ancienne mais occultée depuis plusieurs décennies, celles du travail, du respect, de l'autorité, du patriotisme ; l'autre davantage assise sur la recherche de protections, sur leur dimension collective, sur l'intervention et la dépense publiques, sur une vision institutionnelle de l'action politique, en un mot sur des valeurs qui demeurent celles du pacte social conclu après-guerre.
Le second plan concerne les personnalités mêmes des deux candidats, que le débat a révélées plus complexes et plus riches que leurs caricatures ; et par conséquent, ce que seraient leurs façons respectives de gouverner. L'une volontaire, directe, assez dérangeante, et sans doute inconfortable à vivre ; l'autre plus consensuelle, davantage insérée dans nos conformismes et nos rigidités, mais aussi plus en retrait.
La perpétuation du pacte social français semble constituer l'enjeu profond de l'élection, même si, à elle seule, celle-ci ne saurait suffire à opérer la mutation. Ce qui se joue probablement, c'est l'abandon ou la conservation des cadres, intellectuels, politiques, voire moraux, à l'intérieur desquels la société française se meut depuis la Libération, tels qu'ils avaient été dessinés par le Conseil national de la Résistance et qui, jusqu'à présent, n'avaient jamais été contestés à ce niveau. L'élection de Nicolas Sarkozy pourrait bien signifier que les électeurs acceptent d'y renoncer, sous réserve d'inventaire évidemment, et que les Français entendent sortir de l'après-guerre ; celle de Ségolène Royal, qu'ils y tiennent davantage qu'à l'affirmation de leur souhait de changer.
3/ Le contournement des valeurs
D'une certaine manière, les valeurs ont fait leur retour durant la campagne : la liberté individuelle, le travail, la responsabilité, l'identité nationale, la patrie, ont été évoqués, et pas de façon incidente. En revanche, les valeurs non négociables, celles qui ne se discutent pas parce que fondatrices de la société, ont été contournées, voire occultées, malgré certaines prises de position, parfois équivoques et évolutives.
N'est-il pas frappant que ni la famille, ni le mariage, ni la liberté d'éducation, ni le respect de la vie, ni les questions de bioéthique n'aient jamais affleuré au cours du débat du 2 mai ? Sans doute par prudence de la part des deux protagonistes ; sans doute aussi parce que l'affaissement culturel et moral est devenu tellement général qu'une grande majorité de nos concitoyens ne voient même plus le problème qu'il pose à notre société, et qu'en parler ne valait pas de prendre un risque.
Avec d'autres, la Fondation de Service politique a travaillé pour les mettre au cœur de la réflexion sur ce que peut être un vote en conscience ; elle a contribué à ouvrir le débat sur la façon de les prendre en compte et sur ce qu'implique concrètement l'engagement des chrétiens dans la vie politique nationale. Le débat est inachevé ; les différences d'appréciation comme de conclusion qu'en ont tirées les intervenants ont cependant montré que cette dimension de la vie politique avait été pris au sérieux et qu'il ne sera pas refermé.
Cette lacune au niveau des principaux candidats dans la dernière ligne droite, pour déplorable qu'elle soit, a cependant eu un mérite : elle a évité de cristalliser des positions qui seraient devenues insurmontables et laisse encore la place à des évolutions. Il nous appartient d'élargir l'entrebâillement de la porte, en commençant dès les législatives et en usant de l'influence que nous pourrons avoir sur des candidats dont le siège dépendra d'un déplacement marginal de voix : indépendamment de la dynamique créée par l'élection présidentielle, leur élection n'aura rien de mécanique.
4/ Il faut voter dimanche
Nous disons bien voter : hormis le cas d'absence ou d'impossibilité, l'abstention ne peut qu'apparaître comme un acte d'indifférence quelle qu'en soit la motivation, même la plus respectable. De quel droit se plaindre ensuite des élus et de leur politique si l'on refuse de participer à leur désignation au moment où l'on est sollicité dans une élection libre et ouverte ?
Voter blanc ? Le dilemme de ceux qui sont tentés par le choix du non-choix est aussi respectable ; tout comme leur décision d'agir ainsi le cas échéant.
Prenons un instant de recul et demandons-nous si une élection peut avoir une autre issue que la désignation d'un des protagonistes, et la désignation de celui qui, en fin de parcours, recueillera le plus grand nombre de suffrages ? On pourrait imaginer que le second tour se déroule entre trois candidats au lieu de deux, malgré l'expérience trop souvent calamiteuse des triangulaires ; on pourrait calculer les pourcentages sur le nombre de votants au lieu du nombre de suffrages exprimés ; l'issue serait-elle changée ? Le premier arrivé ne serait-il pas élu quand même ? En revanche, le second arrivé n'aurait-il pas vu ses chances amoindries ? À la vérité, le vote blanc revient à partager sa voix entre les deux candidats : si c'est ce que l'on veut faire, soit ; mais cela revient aussi à laisser à d'autres le soin de décider pour soi.
Oui, mais il faut parier, disait Pascal. Cela n'est point volontaire ; vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons, puisqu'il faut choisir, ce qui vous intéresse le moins... (Pensées, fragment 397).
*François de Lacoste Lareymondie est vice-président de la Fondation de Service politique.
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