L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) vient de rendre public son rapport avant la révision de la loi de bioéthique prévue cet automne. Rédigé par les députés Alain Claeys (PS) et Jean-Sébastien Vialatte (UMP), il préconise la légalisation sans aucune restrictions de la recherche sur l'embryon ainsi que la création de clones et chimères homme-animal.

Le rapport de l'Opecst remis le 7 juillet à l'Assemblée nationale témoigne d'un abandon gravissime du principe du respect de la vie théoriquement protégé par l'article 16 du Code civil qui dispose que la loi garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie . En effet, si l'embryon n'a pas de personnalité juridique dans le droit français, il est néanmoins un être humain auquel le respect est dû. Le législateur a ainsi posé en 2004 divers interdits destinés à le protéger : le clonage d'embryons humains, que la finalité soit thérapeutique ou de recherche, est passible de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende de même que la conception d'embryons humains à des fins de recherche est strictement interdite.
Tout embryon humain doit être conçu à des fins procréatives et l'article L. 2151-5 du code de la santé publique rappelle solennellement que la recherche sur l'embryon est interdite . Sur quoi se fonde cet interdit si ce n'est sur la reconnaissance de la dignité de l'être humain conçu in vitro ?
Malheureusement, le législateur a cru bon déroger en 2004 à la prohibition de l'expérimentation sur l'embryon à la condition que cette recherche soit susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et ne puisse être poursuivie par une méthode d'efficacité comparable en l'état des connaissances scientifiques. Toujours est-il que le cadre fixé rend encore indirectement hommage au devoir de protection de la vie humaine, la recherche sur l'embryon étant limitée à une période de cinq ans à compter de la parution du décret du 6 février 2006 et bien sûr seulement et seulement si elle satisfait les deux dérogations présentées par ailleurs comme très strictes par les promoteurs de la loi de 2004.
L'arbitraire des experts
Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, respectivement élus de l'opposition et de la majorité, veulent une bonne fois pour toutes faire voler en éclat ce dispositif qu'ils jugent attentatoire à la liberté de la science. Selon Alain Claeys, si la loi avait été appliquée à la lettre, certaines recherche auraient été impossibles (information rapportée par l'agence Gènéthique le 7 juillet 2010).
C'est bien ce que nous n'avons cessé de dénoncer à moult reprises ici même. Et pour cause – a reconnu Jean-Sébastien Vialatte au cours de la conférence de presse présentant le rapport – non seulement il n'y a eu aucun essai thérapeutique dans le monde utilisant des cellules souches dérivées d'embryons, mais encore la recherche sur les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées iPS constitue désormais la voie royale de la recherche en matière de médecine régénératrice [1].
Les parlementaires de l'Opecst n'en ont cure et ne tirent à aucun moment les conclusions qui s'imposent au simple bon sens. Bien au contraire, ils préconisent de faire sauter le cadre dérogatoire et de le remplacer par un régime clair d'autorisation de recherche sur l'embryon sans encadrement et sans conditions, allant plus loin dans la surenchère que les rapports du Conseil d'État et de Jean Leonetti [2].
La soustraction radicale au principe de dignité
Il s'agit donc de faire disparaître de l'ancien corpus la notion de recherche alternative ainsi que l'idée de perspective thérapeutique. La loi n'ayant plus vocation à faire respecter le droit bioéthique, ils demandent dans la foulée que l'Agence de la biomédecine soit désormais la seule instance à réglementer la recherche sur l'embryon, et ce dès le 5 février 2011, date à laquelle prendra fin le moratoire. En lui conférant un véritable pouvoir de décision, Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte souhaitent que l'Agence s'affranchisse du législateur. Son directeur et son conseil d'orientation auraient les mains libres pour conduire comme ils l'entendent la stratégie de la recherche française sur l'embryon. Le pouvoir banalisé des experts n'est-il pas l'une des conditions de l'avènement d'une biocratie où la loi n'aurait plus aucune consistance ?
En faisant de la liberté de la recherche un droit de connaître et d'expérimenter sans aucunes restrictions, les auteurs du rapport soustraient radicalement l'embryon humain au champ de protection du principe de dignité, fût-il déjà écorné en 2004. C'est un changement de paradigme radical que promeut l'Opecst en signifiant que plus aucune exigence n'est applicable à l'embryon humain devenu simple matériau entièrement disponible au bon vouloir des firmes pharmaceutiques et autres consortium de recherche.
Apologistes d'une pensée matérialiste radicale, il est parfaitement logique que les mêmes fassent figurer dans la liste de leurs propositions la légalisation du clonage embryonnaire et de la création des cybrides (chimères embryonnaires homme-animal). Ces deux pratiques relèvent de ce qu'on appelle pudiquement les transferts nucléaires. Le clonage consiste en l'insertion du noyau, donc de l'ADN génomique, d'une cellule adulte dans un ovocyte énucléé, c'est-à-dire vidé de son matériel génétique. L'embryon obtenu est donc le clone de la personne qui a donné la cellule somatique. Si le transfert nucléaire est réalisé entre espèces, par exemple en utilisant un ovule de vache ou de lapine comme cela se fait de l'autre côté de la Manche depuis 2008, le produit obtenu est un embryon chimérique appelé cybride ou hybride cytoplasmique.
Les deux procédés portent doublement atteinte au principe de dignité de l'être humain. D'abord ils violent l'interdiction absolue de créer in vitro des embryons humains aux seules fins de recherche suivie de leur destruction programmée. D'autre part, ils bafouent l'intégrité du génome humain en ne respectant pas sa singularité dans le cas du clonage ou en opérant un mélange des caractères génétiques humains et animaux dans le cas de l'hybridation, susceptible de nuire à l'identité spécifique de l'homme [3].
Supprimer la distinction enter recherche et soin
L'offense à la dignité humaine est telle qu'il n'existe qu'un seul pays au monde à avoir autorisé ces deux pratiques : la Grande-Bretagne. C'est d'ailleurs sur cet État bien connu pour n'avoir la plus petite exigence en matière de protection de l'être humain au début de sa vie – les Anglais ont forgé pour cela le concept de préembryon – que souhaitent s'aligner les auteurs du rapport en copiant jusqu'au détail de la réglementation britannique l'autorisation de constitution de cybrides.
Pour être envisageable, le clonage embryonnaire doit bénéficier d'ovocytes humains en quantité importante. Conscients qu'une femme a peu de chance de se présenter à la porte d'un laboratoire pour y subir une stimulation ovarienne dangereuse pour sa santé dans le seul but de donner ses précieuses cellules, les députés Claeys et Vialatte proposent d'autoriser sans plus attendre la vitrification des ovules dans le champ de l'assistance médicale à la procréation. Si l'intention n'a pas été exprimée, elle est cependant facile à décrypter. Une fois qu'une femme aura réalisé son projet parental, il lui sera plus aisé d'offrir à la science son stock d'ovocytes déjà là. Il s'agit donc de créer progressivement un effet d'aubaine qui bénéficiera aux chercheurs.
Au-delà de la vitrification ovocytaire, les rédacteurs proposent d'ailleurs de considérer toute technique ayant pour objectif d'améliorer les possibilités de développement d'un embryon ainsi que celles améliorant l'AMP en général comme un soin . Le message là aussi est clair : il s'agit de faire passer à la trappe la distinction très précise entre recherche et soin de manière à contourner l'interdit de la création d'embryons à des fins de recherche.
Le rapport de l'Opesct est une charge virulente contre toute limitation éthique au progrès biotechnologique. Déqualifiant irrémédiablement l'être humain, les auteurs imposent la maîtrise du vivant comme l'un des nouveaux facteurs d'organisation de la société. Tout ce qui est techniquement possible est moralement désirable et doit donc être expérimenté sans tarder. Même si les recommandations de ce rapport n'étaient pas toutes retenues lors du prochain réexamen de la loi, elles révèlent une vision fondamentaliste et prométhéenne de la science qui s'impose de plus en plus dans les esprits. La prochaine loi de bioéthique a-t-elle encore les moyens d'être autre chose qu'un rempart dérisoire face à cette nouvelle figure de la barbarie ?
[1] Pierre-Olivier Arduin, Réconcilier la science et l'éthique : la révolution des iPS , Permanences n. 468-469, La crise de conscience bioéthique , janvier-février 2010, p. 25-27.
[2] Pour une étude comparée de ces deux rapports quant à la recherche sur l'embryon, on lira avec profit l'article d'Aude Dugast, Recherche embryonnaire et eugénisme : espoirs et craintes , Liberté politique n. 48, mars 2010, p. 113-125.
[3] Cf. Dignitas personae n. 33.
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