Plus qu’une simple histoire d’amour ou de désir, Twilight est une apologie de la transgression de l’interdit.
Nous avons vu que Twilight n’était pas une histoire d’amour anodine. Il n’est pas question d’amour vrai dans cette fiction (cf. Twilight : liaisons dangereuses (1/3) : désir et amour) mais plutôt d’un désir malsain qui déprécie la condition humaine et la société (cf. Twilight : liaisons dangereuses (2/3) : bêtes humains). Mais l’histoire va plus loin encore. Au fil des quatres tomes, une idée devient de plus en plus forte et précise. Twilight distille l’idée que pour Bella transgresser l’interdit dicté par sa nature est le seul moyen de réaliser son bonheur.
Le fruit défendu
De quel interdit est-il question ? Après tout, la thématique de la transgression est profondément adolescente. Elle se retrouve dans une multitude d’œuvres destinées à ce public. Cependant, tout dépend de l’interdit qui est transgressé. En la matière, il y a gradation.
Dans le cas de Twilight, la thématique est évidente. Derrière la simple amourette, l’enjeu est spirituel ! Les titres des romans (Fascination, Tentation, Hésitation, Révélation) et la couverture représentant des bras très blancs offrant une pomme rouge font référence à une symbolique explicite : celle du péché originel. L’auteur ne s’en cache pas dans son blog. Elle met même en exergue une citation de la Genèse dans son premier roman : « Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu en mourrais » Gn. II, 17.
Comment cette thématique se transpose-t-elle dans cette romance entre Bella et Edward. Une dominicaine du Saint-Esprit ayant étudié en détail le phénomène Twilight répond : « les adolescents eux-mêmes font tout de suite le lien : l’interdit qui est en cause ici est l’interdiction pour Bella de passer dans le monde des vampires et/ou simplement d’aimer un vampire. »
Or Bella transgresse cet interdit. Nous l’avons vu, face aux vampires, la fiction distille au fil des pages une vision dépréciée de la nature humaine au point qu’il n’y est question que de s’affranchir de cette humanité pour devenir vampire. Un désir qui obsède Bella, dans tous les tomes de la série (cf. Twilight : liaisons dangereuses (2/3) : bêtes humains) et qu’elle parvient à satisfaire lorsque, à la fin, elle est elle-même transformée par Edward en vampire. Le Happy End est dityrambique : devant Bella et Edward s’ouvre une éternité d’amour et leur fille (événement miraculeux car les vampires ne se reproduisent pas !) est promise à un avenir radieux.
Un Happy End qui vient très exactement contredire l’avertissement de la Genèse mis en exergue au début de l’aventure : Bella a transgressé l’interdit, elle a mangé du fruit défendu, elle n’est pas morte. Au contraire, sa vie devient infiniment meilleure. Au fond, Dieu avait tort et le serpent avait raison (« mais non, vous ne mourrez pas. Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal », au sens biblique de « vous déciderez par vous-même de ce qui est bien et mal »).
L’idée qui sous-tend le roman est l’histoire inverse de la chute. Dans le livre sacré la trangression conduit à la mort ; ici la transgression conduit à la vie comme le diable l’avait promis. Le fond pervers de Twilight est à ce niveau : trangesser la nature et l’ordre des choses pour devenir éternel, « comme des dieux »
Abolir sa nature
Surgissent alors des questions très contemporaines.
Bella en aimant un être d’une nature différente veut pouvoir choisir au sens absolu du terme ! Pour aimer et vivre avec un être de nature différente, elle doit pouvoir s’affranchir de sa propre nature, choisir sa nature : se réinventer ! Ici le parallèle avec les théories philosophiques dites « du genre » dont l’introduction dans les manuels d’éducation a fait récemment polémique est évidente.
La soeur dominicaine interrogée sur ce point est catégorique : « Ce roman-fleuve “formate”, au long de deux mille cinq cents pages de suspense et d’amourette excitante, l'imagination des adolescents (donc leur coeur, leur esprit, leur structure mentale et psychologique), et les habitue à admettre qu’on peut contourner les interdits les plus fondamentaux ; cela revient à dire que ces interdits sont arbitraires ; passer outre serait possible en droit comme en fait, puisque les interdits ne seraient pas l’expression d’une vérité constitutive de notre être, permettant ainsi l’épanouissement réaliste de notre personnalité. […] On ne peut que penser alors aux idéologies de plus en plus envahissantes de nos jours, selon lesquelles le sexe ne serait pas une donnée de nature mais le résultat d’un choix ou de conditionnements socioculturels ; à l’idéologie du “gender” (dite “théorie du genre”) qui prône le choix par chacun de son identité sexuelle ou de sa “neutralité” ; aux déviances telles que la zoophilie à laquelle renvoie cette histoire d’amour entre une humaine et un semi-loup... »
Etre ou ne pas être
Comment le roman parvient-il à un tel résultat ? En biaisant dès le départ les notions de bien et de mal et en abolissant toute logique de nature. Il y parvient grâce au personnage extrêmement ambigu, d’Edward. Vampire, il est censé être mauvais de nature mais il se révèle en réalité meilleur que bien des humains. Il est donc pour Bella extrêmement désirable et attirant. De cette attirance naîtra la ressemblance. Bella veut devenir semblable à Edward quoi qu’il lui en coûte. Elle est même prète à lui sacrifier son âme (!).
Toute l’ambiguité et la perversité de Twilight se résume à ceci: les personnages ne sont jamais ce qu’ils paraissent être. Edward est plus humain que vampire mais possède toutes les caractéristiques naturelles du vampire. Jacob paraît indien mais est en fait semi-loup. La fille d’Edward et Bella n’est ni vampire ni humaine. La vraie nature des personnages ne correspond donc pas à l’apparence et, lorsque c’est le cas, cela donne des personnages insipides tels les camarades adolescents du lycée de Bella.
Une autre réalité derrière la fiction ?
Ce constat conduit la religieuse dominicaine que nous avons interrogée à examiner de plus près la figure des vampires de Twiglight. Si les personnages ne sont pas ce qu’ils paraissent, les vampires en sont-ils réellement ?
Si on s’en tient à ce qui définit un vampire dans Twilight, quatre caractéristiques principales se dégagent du roman :
- ils ne mangent pas, ne dorment pas, ne respirent pas, mais font semblant pour passer inaperçus ;
- ils se déplacent en un éclair ; ils ont une force et une agilité surhumaines ;
- certains ont des pouvoirs autres comme lire dans les pensées d'autrui, non de façon précise mais en « gros » ; ils peuvent voir l’avenir, toutefois d’une façon telle que celui-ci puisse être modifié par la liberté des hommes ;
- ils sont froids, leur peau est glacée, leur teint est blanc ; Edward est d’une beauté « marmoréenne », avec un corps dur comme de la pierre. Bella parle des caresses glacées d’Edward ; elle se blottit contre son « torse de pierre » ; ils sont fascinants jusqu’à inhiber la résistance ; leur beauté est insoutenable, jusqu’à « faire mal » (sic) ; la voix d’Edward est à elle seule « envoûtante », son regard est « dévastateur » (dans un autre sens que le sens amoureux classique).
« Toutes ces caractéristiques sont celles, non des vampires “traditionnels” de la littérature mais, dans le réel, celles des démons, ou bien des personnes possédées par les démons » met en garde la religieuse :
- les démons n'ont pas de corps ; ce sont des esprits purs qui ne mangent pas, ne dorment pas, ne respirent pas ;
- les démons donnent aux possédés une force, une agilité et une vitesse de déplacement surhumaines, exactement comme celles qui sont décrites pour les vampires de Twilight ;
- les démons, ou les possédés à travers lesquels ils s’expriment, ont le pouvoir de deviner, par leur intelligence bien au-dessus de la nôtre, le contenu d’ensemble de nos pensées, exactement comme Edward ; ils peuvent aussi deviner certaines choses de l’avenir, grâce à leur intuition et aux rapprochements des causes et des conséquences qu’ils font avec une pénétration bien supérieure à la nôtre, nonobstant l’intervention de libertés qui peuvent changer cette vision ; c’est tout à fait ainsi qu’Alice, sœur d’Edward, « prévoit » confusément l’avenir.
- les démons peuvent se montrer aux hommes sous une apparence splendide mais c'est une beauté inquiétante et dure (on pense au démon cherchant à éblouir saint Martin par son aspect étincelant, ou prenant la figure du Christ devant saint Padre Pio). Enfin les démons envoûtent ; n’est-ce pas l’état de Bella, privée de toute volonté face à Edward, fascinée par lui ?
Ce parallèle est troublant et on constate avec inquiétude la facilité propre à la fantaisie de dissimuler sous les traits de créatures imaginaires, des réalités obscures. Ces romans, films, jeux vidéo qui habituent les jeunes à ces univers en peuplant leurs imaginations ne risquent-il pas - sans tomber dans une défiance excessive -de les rendre plus vulnérables à ces êtres supérieurs ? La dominicaine conclue avec sagesse : « Il ne s’agit pas pour autant de voir le démon partout car ce serait faire son jeu aussi bien que de ne vouloir le voir nulle part. Le démon est d’une nature bien supérieure à la nôtre ; mais il n’a sur nous aucun pouvoir si nous ne le voulons pas ; voilà de quoi éviter la panique. En revanche, il peut infliger de très graves dommages si nous lui ouvrons volontairement la porte ; c’est donc à nous qu’il revient de ne pas vouloir de lui. »
Mais n'est-ce pas risquer de la lui ouvrir que de se laisser naïvement hypnotiser par Twilight ?
Cette série d’articles a été réalisée avec l’aimable concours d’une dominicaine du Saint-Esprit.
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