Scandales historiques et bourdes diplomatiques en rafale étaient au programme pour la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 dimanche dernier à Paris.
Le ton avait été donné dans les jours précédents, avec le refus de « célébrer la victoire » annoncé par le président Macron, et la comédie de l’itinérance mémorielle, campagne électorale déguisée aux frais du contribuable. Mais en guise d’apothéose, la cérémonie de dimanche dernier a mis en scène une terrible vision de l’histoire. Par où commencer tant il y a à dire ?
La cérémonie du 11 novembre, ce fut le règne des absents.
Une bourde diplomatique de taille : la Serbie, reléguée à l’arrière, ne figurait pas dans la tribune officielle, où « trônaient » Erdogan, pour la Turquie, ou le président de l’Etat fantoche du Kosovo. Depuis dimanche, l’ambassadeur de France à Belgrade essaie de déployer des trésors de diplomatie pour rattraper un tel affront. Faut-il rappeler que c’est pour défendre la Serbie attaquée par l’Autriche-Hongrie, que la Russie est entrée dans la guerre, entraînant à sa suite la France ? Faut-il rappeler que la Serbie était depuis le début du siècle un des alliés traditionnels de la France, et que ce petit pays, malgré tous ses défauts et ses ambitions, a payé le tribut le plus lourd de la guerre, en termes de rapports entre ses morts et sa population globale ? L’empire ottoman, en revanche, dont Erdogan est en quelque sorte l’héritier, était dans le camp adverse, aux côtés des Empires centraux. Qu’à cela ne tienne, on peut toujours estimer que l’optique de « réconciliation » voulue par Emmanuel Macron faisait fi des alliances du passé. Très bien : en 2018, il n’y a plus de vainqueurs ni de vaincus, plus de Triple Alliance et plus de Triplice. Dont acte. Mais dans ce cas, pourquoi favoriser la Turquie plus que l’Autriche ou la Hongrie ? C’est vrai que l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand le 28 juin 1914 à Sarajevo, c’est presque un « détail de l’histoire », qui ne justifiait pas vraiment d’associer ces deux pays à la commémoration de la fin de la guerre. On cherchera en vain un représentant de Vienne ou de Budapest dans la tribune d’honneur ou à proximité. Ils étaient là, mais noyés dans la masse.
Autre bourde, qui cette fois-ci a tout d’un scandale diplomatique. Les organisateurs de la cérémonie avaient sélectionné des « jeunes », pris, au hasard, dans des établissements de Seine-Saint-Denis (la Seine-Saint-Denis, c’est la France, n’est-ce-pas ?) pour lire des témoignages, affublés d’une doudoune verte grotesque et d’un foulard jaune dont on ne sait trop au juste ce qu’il symbolisait. On entendit, sous la voûte de l’Arc de Triomphe, retentir du français, de l’anglais, du chinois, de l’allemand. Du russe, point. En 1918, Ferdinand Foch déclarait : « Si la France n’a pas été effacée de la carte de l’Europe, c’est avant tout à la Russie que nous le devons ». Il savait ce dont la France était redevable à la Russie, qui avait payé le prix fort : la chute de l’empire et 1 million 800 000 morts, si bien que la France et la Russie devaient, à elles deux, porter les 2/3 des pertes alliées. Emmanuel Macron, lui, a choisi de faire l’impasse sur la Russie au motif qu’elle est dirigée, aujourd’hui, par un certain Vladimir Poutine. Un « oubli » politique qui couvre de honte une République française soutenue, en son temps, sans états d’âme par la Russie tsariste.
Une reconstruction idéologique multipliant les affronts, voilà ce que notre président a eu à cœur d’offrir à une France honteuse à défaut d’être victorieuse, invitée à pleurer sur l’interprétation funèbre de Yo-Yo Ma, talentueux violoncelliste, certes, mais violoncelliste sino-américain, cosmopolitisme oblige. N’était-il pas possible d’entendre, ne serait-ce que l’espace d’un instant, un écho symbolique de cette liesse française qui retentit sur tout notre territoire au matin du 11 novembre 1918 ? Le comble de la cérémonie, ce fut enfin la performance de la chanteuse Angélique Kidjo en dialecte mima, « Bewu », pour « célébrer la paix », et en hommage aux troupes coloniales. Bien loin de nous l’envie de minimiser le magnifique sacrifice de nos « Africains », comme on les chantait à l’époque. Mais le poilu de Lorraine ou du Périgord, de Bretagne ou d’Ardèche, n’avait-il pas lui, aussi et avant tout, droit à un hommage appuyé ? Sans compter que cette chanson fut l’ultime affront diplomatique, puisque Angélique Kidjo, militante anti-Trump acharnée, s’est retrouvée à chanter à deux pas d’un homme, le Président des Etats-Unis, qu’elle avait, quelques mois plus tôt, copieusement traité de tyran et de salaud. Donald Trump a dû encaisser, il n’avait pas trop le choix. On appréciera l’élégance du choix d’Emmanuel Macron.
Notre président a donc réussi à l’occasion de cette célébration à se mettre soigneusement à dos les Serbes, les Russes, les Américains, les Autrichiens, les Hongrois, les Polonais, sans même parler des Français et de leur armée.
Il y avait un absent supplémentaire, mais volontaire celui-là. Les spectateurs avertis ont certainement remarqué que ni la reine Elizabeth, ni le Prince Charles, ni ses fils Harry et William, ni même Theresa May n’étaient présents. A Londres, ils ont préféré rendre hommage à leur patrie, dans une magnifique cérémonie, toute en beauté, en retenue, en élégance et en patriotisme. Savaient-ils à quelle mascarade ils risquaient de s’exposer s’ils venaient à Paris ? Ils ont anticipé, avec sagesse.
On nous serine depuis plusieurs décennies maintenant que la France est une puissance moyenne. En ce dimanche 11 novembre 2018, si cette cérémonie a pu se tenir à Paris, et rassembler plus de 70 chefs d’Etat, c’est parce qu’il y a cent ans, nous étions une grande puissance et que nous avions remporté la guerre. Mais avec ces fautes morales à répétition, la France d’Emmanuel Macron avait tout d’une puissance de moins-que-rien. Qui rendra à notre pays sa grandeur ?
Constance Prazel
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