Source [Elements] : L’Union soviétique a brutalement disparu, alors que la Chine rouge a survécu à la mort de Mao – mieux : a renoué avec sa puissance passée. Pourquoi ? Dans un cas, l’État s’est dissous ; dans l’autre, il s’est maintenu. Spécialiste de la Chine, Agnès Valloire retrace brillamment l’histoire de cette transition dans "Pourquoi la Chine ? Politique naturelle en Chine rouge" (Ars Magna). Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation de Guillaume Travers, en présente les grandes lignes.
Pourquoi la Chine maoïste ne s’est-elle pas effondrée à la fin des années 1980, comme l’URSS, lors des événements de Tian’anmen ? On devine ce qui serait advenu : le pays aurait été bradé aux multinationales occidentales ; Taïwan et Hong Kong auraient gagné leur indépendance, ainsi que d’autres régions comme le Xinjiang ou le Tibet ; le chaos aurait régné comme dans la Russie post-soviétique. Rien de cela n’est arrivé. Cet ouvrage, qui nous aide à comprendre pourquoi, est indispensable pour éclairer la période qui mène de la fin du maoïsme à la présidence actuelle de Xi Jinping.
Tout d’abord, le livre fait le point sur ce que furent les événements de Tian’anmen en 1989 : une tentative de « révolution colorée » sous influence américaine, dont le récit du déroulement et des massacres a très souvent été déformé par la propagande occidentale (il y eut beaucoup de morts, mais pas nécessairement sur la place Tian’anmen elle-même). On ne peut comprendre la Chine contemporaine si l’on ne saisit pas pourquoi la manœuvre de déstabilisation a échoué – et pourquoi la Chine, malgré son ouverture depuis la fin des années 1970, n’est pas simplement en voie d’occidentalisation ou d’américanisation. L’explication tient à la fois au contexte et aux personnes.
Deng Xiaoping et Confucius
S’agissant des personnes, l’ouvrage dresse un portrait élogieux de Deng Xiaoping, et peut même se lire comme une brève biographie de cet homme à maints égards fascinants : ayant participé à la Longue marche aux côtés de Mao, il est vite critique des excès du maoïsme et de ses conséquences pour le peuple. Imprégné du legs confucéen, il privilégie l’épreuve du concret aux idéaux abstraits. Relégué dans un magasin de tracteurs en raison de ses différends avec Mao, il revient en force après la mort de celui-ci, et transforme en profondeur le pays. Âgé de 85 ans au moment des événements de Tian’anmen et retiré de ses fonctions les plus importantes, il comprend immédiatement le rôle joué par les États-Unis et commande une réponse martiale, non par pure tyrannie, mais parce qu’il comprend que c’est l’existence même de l’État qui est en jeu. Sur ce point, l’ouvrage est très profond : la grande différence entre le sort de l’URSS et celui de la Chine à la fin des années 1980 tient précisément à la dissolution de l’État dans un cas, à son maintien dans l’autre. L’intelligence de Deng Xiaoping est de comprendre que, si le Parti communiste avait été abandonné après Mao, l’État se serait effondré dans le chaos. En transformant le parti de l’intérieur, pour avancer dans un socialisme de « voie chinoise », rien de cela ne s’est produit.
En toile de fond, Agnès Valloire montre aussi qu’une telle continuité tient aux spécificités du contexte chinois. C’est une banalité de dire que la Chine est peut-être l’État du monde qui, malgré de nombreuses discontinuités dynastiques, a l’existence la plus ancienne dans l’histoire. Le poids du confucianisme est également important, en ce qu’il permet de valoriser les équilibres sur la longue durée, et propose une vision du monde hiérarchisée, pensée comme enchâssement de familles, depuis la petite famille (qui est le socle de la société, en lieu et place de l’individu) jusqu’à la grande famille qu’est le peuple. Bien que très critique, à juste titre, de Mao, l’ouvrage montre bien que celui-ci n’a jamais totalement rompu avec certains de ces principes, ce qui a permis un renouveau après sa disparition. Ce sont toujours sur ces fondements, qui assurent une continuité propre à l’État, que Xi Jinping construit aujourd’hui.
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