Les Echos du 5 mai ont cité une phrase de François Baroin qui m'a fait grand plaisir. Le ministre du budget s'exprimait pour justifier un projet de taxation des non-résidents ayant une résidence secondaire en France, qui devrait faire entrer un peu moins de 200 millions dans les caisses de l'Etat. Citons-le : Nous taxerons les non-résidents sur leurs résidences secondaires, non pas pour les stigmatiser, mais parce qu'ils utilisent, outre les services publics locaux qu'ils financent par leurs taxes locales, les services publics nationaux, sans aujourd'hui les financer.
Ce qui me réjouit dans le propos de F. Baroin n'est pas la technique fiscale utilisée, les informations disponibles ne permettant pas de se forger une opinion éclairée sur le sujet, mais la conception de l'impôt qui en ressort : payer les services obtenus des administrations publiques. L'Etat et les collectivités territoriales sont des fournisseurs de services à destination des ménages et des entreprises, et il est normal que ces clients paient la facture de leur consommation. C'est un rapport d'échange : chacun paye pour avoir droit aux commodités que les pouvoirs publics mettent à sa disposition.
L'impôt comme facturation forfaitaire de services rendus
Le caractère forfaitaire de cette facturation n'a rien de choquant : nous sommes passés de l'époque où les PTT facturaient chaque communication téléphonique à celle des forfaits autorisant n'importe quelle durée d'utilisation mensuelle. Et ce n'est pas d'hier que des restaurateurs offrent pour un prix forfaitaire des buffets à volonté , sans regarder si vous avez pris 0 ou 3 desserts. La formule du forfait illimité et du buffet à volonté convient bien aux services rendus par les administrations, car il serait très coûteux de mesurer précisément ce que chacun consomme en la matière. La facturation au forfait conduit certes les utilisateurs à gaspiller quelque peu, à surconsommer ces services que l'on ne paye pas au coup par coup, mais elle permet une économie intéressante de frais de gestion, et il y a probablement beaucoup de situations dans lesquelles l'économie l'emporte sur le gaspillage, comme pour les télésièges et les transports en commun.
Ainsi donc, un impôt est présenté par le ministre compétent comme le prix à payer pour bénéficier de certains services. Il s'agit certes d'une taxe minuscule – moins de un pour mille des rentrées fiscales – mais voici un petit poisson qui mériterait de devenir grand ; pourvu que les pouvoirs publics lui prêtent vie ! Ce disant, je ne suggère nullement d'accroître le taux de la taxe Baroin sur les non-résidents qui utilisent un pied-à-terre en France, ignorant quel il devrait être en bonne justice, mais de mettre en œuvre dans toute la mesure du possible la philosophie fiscale qui lui correspond – l'impôt comme facturation forfaitaire des services rendus par certaines administrations.
La facturation des dépenses publiques imprévues
La France intervient en Lybie ; le ministre de la défense vient d'indiquer que les six premières semaines d'intervention avaient engendré un surcoût de dépenses pour nos armées s'élevant à 50 millions d'euros. J'ai de bonnes raisons de penser que ce montant est nettement inférieur à la réalité, mais c'est un autre problème : le fait est qu'il s'agit là d'une dépense supplémentaire. Il en va de même pour la réforme de la garde à vue, pour la mise en place de jurys populaires pour certains délits, pour les subventions à la reconstruction de la Côte d'Ivoire, etc., etc. Ne serait-il pas bon que les lois de finance rectificatives qui seront nécessaires comportent les majorations de recettes requises pour ne pas aggraver le déficit, et soient présentées en disant clairement que cette facturation est la suite inéluctable de décisions prises, au nom du peuple Français, par les instances en charge de prendre les décisions en matière de services régaliens ?
L'impôt est soluble dans l'échange
Il y a plus important encore. Certaines administrations de grande taille, à commencer par l'Education nationale et une grande partie des assurances sociales, produisent des services qui relèvent d'une économie d'échange. Or on dissocie de plus en plus systématiquement la définition des services de protection sociale de leur financement. Il faudrait au contraire faire apparaître les prélèvements opérés pour ce financement comme le paiement des achats effectués, des services mis à disposition.
Ainsi les cotisations maladie et la CSG sont-elles le prix à payer pour être pris en charge en cas de problème de santé. Que ces prélèvements soient de plus en plus considérés comme des impôts sans relation avec la couverture obtenue, voilà qui est aux antipodes de ce que j'appellerais la philosophie Baroin, si ce jeune ministre m'y autorisait. Nous devrions plutôt les transformer en primes d'assurance, certes obligatoires, mais correspondant bel et bien à l'achat d'un service d'assurance. Car alors les Français n'auraient pas l'impression de verser de l'argent pour rien, leur couverture étant de toute façon garantie par la solidarité nationale .
De plus, en assimilant cotisations et CSG à des primes d'assurance, on faciliterait grandement le rapprochement des complémentaires santé et de l'assurance maladie, lequel pourrait engendrer de substantielles diminutions de frais de gestion. Chacun comprend que si les remboursements de la sécurité sociale et de la mutuelle s'effectuent en une seule opération, cela est plus pratique pour les assurés, et coûte moins cher, que deux traitements et deux décomptes. Le partenariat public-privé est à la mode : profitons-en pour le mettre en œuvre là où il peut améliorer la qualité du service rendu tout en diminuant la facture à payer !
Quant aux impôts finançant l'enseignement, se décidera-t-on un jour à les spécifier, à les regrouper en une contribution unique, et finalement à les traiter juridiquement pour ce qu'ils sont économiquement (le financement d'un investissement dans la jeunesse, ayant vocation à rapporter à long terme des dividendes sous forme de pensions) ?
Nos lois de finance sont régies, conformément à la Constitution, par une loi organique. Or cette loi dispose que l'Etat doit tenir une comptabilité analogue à celle d'une entreprise. Il en va à peu près de même pour la sécurité sociale, dont les lois de financement obéissent à une loi organique assez comparable. Tout ce qui vient d'être dit est donc implicitement contenu dans ces textes. Si l'impôt reste un prélèvement obligatoire vieillot, c'est en contradiction avec les dispositions qui constituent l'un des fondements des finances publiques françaises depuis une quinzaine d'années. Comme il arrive, dans cet important domaine les pouvoirs publics ne mettent pas en œuvre les principes qu'ils ont édictés.
Une modernisation nécessaire à la réduction des déficits
Cela est d'autant plus dommageable que les déficits publics exigent un redressement d'urgence, lequel ne peut pas être obtenu seulement par des diminutions de dépenses : une augmentation de l'ensemble formé par les impôts, taxes et cotisations sociales est indispensable. Or elle ne sera pas acceptée par la population, qui en a ras-le-bol des prélèvements obligatoires, si ceux-ci ne sont pas considérablement modernisés. Les faire évoluer de façon à ce qu'ils deviennent des paiements (éventuellement différés) des services rendus par l'Etat, les collectivités territoriales et la sécurité sociale, ou des actes d'épargne forcée procurant plus tard d'indispensables rentes viagères, serait le meilleur moyen de les rendre acceptables.
Jacques Bichot, professeur émérite à l'université Lyon 3, est vice-président de l'association des économistes catholiques.
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