Placer la déclaration de politique générale du Premier ministre le lendemain de la remise du rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques était un exercice un peu risqué. Les délais de préparation du discours ne permettaient pas, en effet, de tenir pleinement compte des observations et conseils de la Cour. Il se pourrait donc que l’avenir ne soit pas tout-à-fait en ligne avec les propos tenus au Parlement par Jean-Marc Ayrault. C’est en tous cas le vœu que je suis amené à formuler en tant qu’économiste attaché au bien commun.
Le rapport de la Cour des comptes
Confrontée à des prévisions d’activité révisées à la baisse, la Cour des comptes a naturellement indiqué qu’il est nécessaire d’accentuer les efforts (réduction des dépenses publiques et augmentation des taux de prélèvements) pour respecter les engagements européens de la France. Tout organisme sérieux disposant des mêmes données aurait abouti aux mêmes conclusions. Mais les observations de la Cour ont un poids particulier ; les pouvoirs publics peuvent d’autant moins facilement ne pas en tenir compte qu’ils avaient sollicité son avis. Le rapport du 2 juillet contribuera donc à inciter le Président, son gouvernement et la majorité parlementaire à corriger la trajectoire qu’ils avaient initialement envisagée, et qui, pour l’essentiel, figure dans le discours de politique générale du Premier ministre.
Reste à savoir si les responsables du pays entendront seulement un appel général à la discipline budgétaire ou s’ils s’inspireront des conseils contenus dans ce rapport – conseils qui corroborent sur bien des points ceux fournis récemment par l’OCDE et par la Commission européenne.
La réforme des retraites
La Cour et ces deux organismes sont en particulier d’accord pour inciter à accentuer les réformes dans le champ de la protection sociale. Pour les dépenses de retraite, le grand débat relatif à une réforme structurelle qui doit être préparé dans les mois à venir fournit l’occasion idéale pour sortir des chemins battus. Cette occasion sera-t-elle utilisée ? Le discours du Premier ministre est trop discret à ce sujet pour que l’on puisse faire un pronostic. Simplement, la publication le 2 juillet du décret destiné à élargir l’accès aux départs anticipés pour cause de carrière longue incite au pessimisme. Pourquoi s’être tant pressé, alors que l’on pouvait bien se douter que les observations de la Cour des comptes iraient dans le sens d’une réduction de la générosité du projet initial ?
Il est encore loisible à la nouvelle majorité de donner une preuve importante de réalisme en modifiant ce décret dont l’encre est à peine sèche. L’âge moyen de départ à la retraite doit absolument s’orienter à la hausse, quasiment tous les pays l’ont compris. Et le décret pourrait être corrigé sans abandon des préoccupations sociales légitimes : il suffirait de recentrer sur la pénibilité les conditions d’accès au départ anticipé, au lieu d’en rester à des critères très bureaucratiques de durée d’assurance. Espérons, sans trop y croire, que le Gouvernement s’appuiera sur le rapport de la Cour pour modifier ce décret et expliquer aux Français que revoir sa copie est une impérieuse nécessité !
L’assurance maladie
Pour l’assurance maladie, la Cour parle avec bon sens de réforme du système de soins. Améliorer sa productivité, ce qui diminuerait la croissance de son coût, serait en effet autrement bénéfique que de réduire les taux de remboursement par la sécurité sociale ou de taxer les complémentaires santé. La comparaison effectuée il y a quelques mois par l’Institut Thomas More entre les systèmes hospitaliers allemand et français montre que le second pourrait progresser : en utilisant plus de lits, et moins de personnel, les hôpitaux germaniques soignent aussi bien, et à moindre coût, que leurs homologues français.
De même la Fédération hospitalière de France a-t-elle tout récemment indiqué une autre source possible d’économies : des observations systématiques ont montré que le quart des examens médicaux servent seulement à faire plaisiraux patients et à protéger le praticien ou l’établissement envers d’éventuels contentieux judiciaires – c’est ce que l’on appelle la judiciarisation de la médecine, qui plombe affreusement les coûts médicaux aux Etats-Unis.
Ces deux exemples parmi bien d’autres montrent une chose : la principale utilité du rapport de la Cour pourrait bien être d’inciter à réduire le déficit public en utilisant les propositions intelligentes qui fleurissent de différents côtés, sans exclusive partisane.
Le discours de politique générale
La prise de conscience qui devrait conduire à une inflexion rapide des projets de la nouvelle majorité n’est pas encore sensible dans le discours de politique générale prononcé le 3 juillet par le Premier ministre. S’il est assez précis sur les augmentations de recettes fiscales, ce texte donne peu d’indications sur ce que le gouvernement se propose de faire pour modérer la dépense publique – modération dont la Cour fait la première des priorités.
Le projet de création de dizaines de milliers de postes à l’Éducation nationale, par exemple, contrebalance à lui seul la totalité des efforts demandés aux autres secteurs de la fonction publique. Pourtant des gisements de productivité considérables existent dans l’enseignement secondaire, comme l’ont montré différents think tanks. La différence de coût (environ 20 %) entre les établissements publics et leurs homologues privés, pointée par l’Institut français de recherche sur les administrations publiques, tout comme les comparaisons internationales, prouve qu’il est possible d’améliorer les performances en matière de formation tout en y consacrant un budget nettement inférieur. Il aurait été intéressant qu’un Premier ministre issu du corps des agrégés du second degré ne passe pas sous silence cette possibilité.
Collectivités locales et terrains à bâtir
Déception également en ce qui concerne les collectivités territoriales, que la Cour place en bonne position parmi les organismes publics susceptibles de réaliser des économies, notamment grâce à une moindre dilution des responsabilités entre une multitude de niveaux de décision, de l’État à la commune. À supposer qu’il soit utile de revenir (comme le veut le Gouvernement) sur la création des conseillers territoriaux décidée par le précédent législateur, ce n’est pas cela qui va économiser les milliards gaspillés par les collectivités territoriales, dans les services desquelles l’absentéisme bat des records[1] et qui ont créé des emplois inutilespar dizaines de milliers. On aurait aimé entendre le Chef du gouvernement évoquer la nécessité d’exploiter ce gisement d’économies possibles.
Le problème crucial des plans locaux d’urbanisme, dont beaucoup organisent la pénurie de terrains constructibles, laquelle entraîne une cherté dramatique des logements pour les jeunes ménages, ne semble pas davantage retenir l’attention du gouvernement. Mettre des terrains de l’État à la disposition des constructeurs de logements sociaux (ce que le précédent gouvernement avait déjà l’intention de faire) n’est pas suffisant pour relancer fortement la construction de logements, point important pour la croissance.
L’idée d’augmenter les coefficients d’occupation des sols, caressée par Nicolas Sarkozy, aurait pu être reprise sous une forme plus sophistiquée, accompagnée par des dispositions destinées à réduire l’effroyable rétention de terrains à bâtir dont les accédants à la propriété font actuellement les frais. Quand on veut à la fois résoudre le problème du logement et relancer l’activité, de telles orientations sont frappées au coin du bon sens et devraient transcender les clivages partisans.
Bref, la déclaration de politique générale n’est pas au diapason des impératifs indiqués par la Cour des comptes. Espérons que le tir sera prochainement rectifié !
Photo : Didier Migaud, Premier Président de la Cour des comptes, ancien Président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale (2007-2010) © Wikimedia Commons / Serge-Henri Bouvet
[1] Une note de conjoncture de Dexia Sofcap, dont Les Echos du 18 juin révèle le contenu, montre que le taux d’absentéisme a augmenté de 12 % dans la fonction publique territoriale entre 2007 et 2011. Il s’étage de 6,6 % dans les collectivités employant moins de dix agents, à 10 % dans celle qui disposent d’au moins 350 fonctionnaires.
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