Le collège des Bernardins vient d'inaugurer son cycle d'expositions temporaires avec trois installations de Claudio Parmiggiani : une bibliothèque brûlée, un labyrinthe de verre brisé, un dépôt de cloches remisées.
L'artiste appartient au courant de l'Art pauvre, célèbre à partir des années soixante pour travailler avec des matériaux quotidiens, naturels, l'énergie, l'éphémère, utilisant un langage métaphorique qui n'exclut pas la poésie. Ici, donc, rien d'outrageusement transgresseur : nulle obscénité ou blasphème, ni jeu régressif avec quelques sécrétions corporelles, toutes choses dont l'Art dit contemporain est coutumier. L'exposition est-elle pour autant pertinente en ces lieux ? Rien n'est moins sûr.
Les œuvres ont l‘ambition de s‘emparer de l‘édifice du XIIIe siècle, elles ont été, nous dit-on spécialement adaptées aux Bernardins. Or elles sont basées sur la destruction ou le rebut : elles détonnent dans un bâtiment qui fut, justement, difficile à sauver de la décrépitude. L'empreinte obtenue par fumigation d'une bibliothèque longue de vingt-cinq mètres serait une réminiscence de la vocation initiale des lieux, l'enseignement.
Fumigation
Ce n'est pas la première fois que Parmiggiani utilise ce procédé tatouant les murs de livres fantômes, ceci fait partie de son vocabulaire de plasticien et peut resservir facilement. Il est bien rare qu'une institution, qui invite un artiste à travailler, ne possède pas dans un coin des archives ou une bibliothèque : la justification du travail de l'artiste en est facilitée. Mais ici le placage d'interprétation pointe nettement quand la commissaire de l'exposition (à la pointe de l'Art officiel [1]), avoue elle-même que c'est une métaphore de la destruction de la Bibliothèque d'Alexandrie ! Autrement dit, l'édifice alexandrin, tout païen qu'il fut, est quand même plus valorisant, plus émoustillant pour l'imaginaire, que l'obscure bibliothèque des Bernardins.
Plus grave, on nous dit que 20 000 vrais livres ont été enfumés pour la cause. Émoi du visiteur qui voit resurgir le spectre des autodafés, pratique dont on croyait l'Église dégoûtée ? Est-ce de bon aloi d'exhiber ainsi un passé incendiaire ? Mais non, rassurent les médiateurs, c'est un procédé spécial qui ne détruit pas les livres . Perplexité du visiteur qui demande des explications. Les médiateurs ne savent pas comment on parvient à noircir les murs sans noircir les livres placés devant (un peu à la manière du nuage de Tchernobyl contournant poliment la France ?) mais ils continuent d'asséner que les livres n'ont pas été endommagés. Il faut les croire sur parole. Malaise.
Destruction créatrice
Parmiggiani est coutumier du labyrinthe de verre brisé. Dans cette construction de plaques de verre cassé à la masse, on nous assure que les angles évoquent un livre ouvert...peut-être. Mais ce qui saute au yeux, c'est l'ouragan de violence qui l‘a traversé. Comme pour l'œuvre précédente, s'affirme ici un lieu commun de l'Art dit contemporain : c'est la destruction qui est créatrice. D'où ces discours sur la beauté des éclats de verre qui étincellent dans la lumière.
Est-ce le rôle de l'Église de participer à l'esthétisation de la violence ? D'autant que l'imaginaire du verre brisé est lourdement chargé : sans remonter à la Nuit de cristal, les récentes émeutes de banlieue en gardent la mémoire à vif. C'est pourquoi les placages d'interprétations tombent à plat. Ce que nous voyons à présent est immobile et silencieux et une vie intérieure peut s'exprimer ; méditer sur l'acte de destruction est possible , le silence pour Parmiggiani constitue la force la plus subversive dans notre monde moderne, car c'est l'espace de la méditation de la spiritualité .
L'ennui est qu'il y a plusieurs qualités de silence et celui des livres absents (même si on y plaque le mot renaissance ), celui du verre après la casse, et celui des cloches définitivement muettes, voisine trop clairement avec le silence de mort. La brochure ne parle-t-elle pas d'un cimetière de cloches ?
Dernière œuvre : une centaine de cloches jonchent le sol de la sacristie. Beaucoup y perçoivent poésie, nostalgie. Soit, mais d'où viennent ces qualités ? Parmiggiani joue de l'effet bouquet : une fleur seule, c'est bien, mais 10, 20, 30, se valorisent s'exaltent l'une l'autre : c'est l'effet bouquet . Dans un bel écrin, celui de l'architecture gothique, Parmiggiani arrange donc un bouquet de cloches, selon un savant hasard, assure-t-on.
L'effet qui cloche
L'artiste utilise alors l'effet grenier : les objets de rebut, y sont remisés à moitiés rangés, moitié placé au hasard. Or les greniers sont de hauts lieux de poésie et de nostalgie. L'effet grenier est facile mais efficace ; il n'a pourtant jamais transformé nos grands-mères en artistes ! Parmiggiani est coutumier d'une certaine facilité : ainsi il assembla, en 2007, des faux au dessus des gisants du Louvre... L'ennui est que l'effet bouquet et l ‘effet grenier reposent moins sur l'installateur que sur le talent des anciens créateurs (et des objets et du lieu), acteurs qu'on aurait tendance à oublier (or de fait, le lieu résiste ).
On aurait aimé savoir aussi le coût d'une telle exposition (transporter d'énormes cloches a dû être une prouesse technique) ; on découvrirait peut-être que l'Art pauvre est devenu dispendieux...
Le spectateur est enfin invité, via la brochure, à produire une interprétation : L'artiste propose des œuvres qui font naître des associations d'idées ; chacun va puiser dans ses souvenirs, dans son for intérieur, ses références, sa culture, les éléments qui lui permettent de donner une interprétation à ce qu'il voit [...] . On retrouve l'affirmation de Duchamp : Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. Certes, le regardeur a son rôle à jouer, mais cette phrase est fausse à force d'être réductrice.
Le langage symbolique et visuel n'est pas un langage aléatoire livré à l'arbitraire de la subjectivité. Les métaphores fonctionnent selon une logique qui renvoient à des réalités communes. Ainsi, le catholique de base vit dans un pays où les chapelles bretonnes brûlent, où les conseils municipaux qui ne peuvent plus entretenir leur église, votent sa démolition, où le nombre de fidèles, de prêtres, de baptêmes est en chute libre, bref où plein de choses clochent comme dit le langage populaire. Le visiteur éberlué ne peut donc aboutir qu'à cette interrogation : n'est-ce pas l'état des lieux d'une Église sinistrée qui s'exhibe aux Bernardins, par la grâce de l'Art dit contemporain ?
*Christine Sourgins est écrivain. A publié les Mirages de l'Art contemporain, La Table Ronde.
[1] Catherine Grenier, commissaire de l'exposition, conservateur à Beaubourg, est aussi chargée du projet d'annexe du Centre Pompidou au Palais de Tokyo.
Toutes les citations sont extraites de la brochure qui accompagne l'exposition ou de l'article de Paris Notre-Dame du 20 novembre 2008, p. 6-8.
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