Les 25 et 27 février derniers ont eu lieu les très attendues cérémonies des Césars et des Oscars. Derrières les glorieux prénoms, c'est toute l'industrie du cinéma qui faisait son show et décernait ses prix. Une occasion en or de pénétrer, le temps de deux soirées, les cercles très fermés de la création audiovisuelle française et internationale pour décrypter leurs vues et leurs idées.
Palmarès
Aux Oscars, c'est à n'en pas douter Le Discours d'un roi qui se démarque avec quatre des cinq récompenses majeures (meilleurs film, scénario, réalisateur et acteur). La cinquième, l'oscar de la meilleure actrice, est revenue à Nathalie Portman, grande favorite, pour son interprétation dans le discutable Black Swan de Darren Aronofsky. Du côté de la technique, l'impressionnant Inception de Christopher Nolan a été quatre fois récompensé (meilleurs photographie, son, montage sonore et effets visuels). De quoi faire passer la pilule de son échec dans la catégorie Meilleur film ! The social network de David Fincher, lui aussi déçu dans la catégorie meilleur film – bien que récompensé du César du meilleur film étranger deux jours avant –, est tout de même reparti avec trois statuettes (meilleur scénario adapté, meilleur musique et meilleur montage).
Du côté des Césars, le grand prix cannois 2010, Des hommes et des dieux, dix nominations, ne repart qu'avec trois récompenses mais pas des moindres. Avec les Césars du meilleur film, de la meilleure photographie et du meilleur acteur dans un second rôle – récompense amplement méritée par un Michael Lonsdale abandonné dans son rôle de moine, tout en humanité – le film reçoit de la profession la reconnaissance qu'il mérite. Autre grand vainqueur des Césars, Roman Polanski s'est vu décerner le prix du meilleur réalisateur pour son excellent Ghost-Writer en plus des Césars de la meilleure adaptation, meilleur montage et meilleure musique.
Si les prix académiques reflètent rarement les goûts du public – particulièrement à propos du septième art – cette pluie de récompenses révèle les tendances de l'industrie du cinéma. L'Académie des Oscars comme celle des Césars (les deux plus grandes académies au monde) sont exclusivement réservées aux professionnels du cinéma. Les votes expriment donc avant tout l'état d'esprit des créateurs, artistes, producteurs, scénaristes, comédiens... davantage que celui de la critique ou du public. Il arrive pourtant que les deux s'accordent.
Des films centrés sur l'homme souffrant...
De l'avis général, c'est, toutes académies confondues, Des hommes et des dieux, Gost-Writer et Le Discours d'un roi qui sortent du lot cette année.
Qu'il s'agisse de l'histoire d'un prince luttant contre un bégaiement – signe extérieur d'une souffrance peut-être plus profonde –, ou de celles de religieux menacés par les mouvements islamistes qui embrasent la région où ils vivent, ou encore d'un homme sans identité chargé de coucher sur le papier celle d'un autre étouffée par le scandale, ce sont avant tout des histoires d'hommes qui sont cette année sorties du lot. Et pas n'importe quels hommes !
La souffrance est une composante importante de chacun de ces héros, comme si elle était le moteur indissociable de la narration. Souffrance psychique, sociale ou spirituelle, sa forme importe peu. C'est l'homme souffrant et son histoire (plus proche du cheminement que du simple récit) qui inspire les créateurs. Signe des temps difficiles ou intuition que l'identité et le salut de l'homme sont intimement liés à sa condition souffrante ? Ce serait bien innocent de croire qu'on peut transférer nos chastes interprétations de l'actualité du septième art sur des cérémonies qui ont aussi leur part commerciale. La récurrence de ce modèle d'homme souffrant est cependant fort instructrice.
...une réponse à la quête identitaire contemporaine
C'est la souffrance de l'homme, c'est-à-dire sa capacité à ressentir – qui, à n'en pas douter, participe au succès de ces films. Nous savions la fin tragique des moines de Tibhirine avant d'aller voir Des hommes et des dieux. Nous imaginons sans peine la douleur d'un monarque incapable de s'adresser à son peuple et nous savons l'isolement et la souffrance dans laquelle peut enfermer un scandale politique sans avoir à visionner Le Discours d'un roi ou Gost-writer. Pourtant nous aimons savourer ces histoires qui retentissent en nous et qui trouvent leurs récompenses, plébiscitées par la profession et montrées en exemple.
Nul masochisme ici. Simplement la reconnaissance naturelle (et peut-être inconsciente) que ces histoires s'adressent à nous, et peut-être nous parlent et nous révèlent un peu à nous-mêmes. À la question universelle de l'homme sur son identité, le cinéma – au même titre que tous les arts dramatiques et poétiques réunis – semble donner pour réponse la souffrance, non comme un en soi insurmontable mais bien comme une réalité ayant un sens éclairant dans notre vie, puisqu'après tout, c'est le dépassement de cette souffrance qui caractérise les protagonistes de ces films.
Le roi, le moine et le nègre
Au delà de cette présence incontournable de la souffrance, il existe un autre commun dénominateur à ces films. Leurs héros ont tous une vocation qui les décentre d'eux-mêmes. Comme si notre société profondément individualiste engendrait en réaction des récits aux héros dépourvus d'égo. Ou, mieux encore, comme si ces derniers faisaient le choix fort et symbolique de sacrifier leur ego assumé à un bien supérieur : celui de la nation pour le roi, de Dieu pour le moine, et du récit (et en l'occurrence de la vérité) pour le nègre.
Inutile de croire au père Noël. L'industrie du cinéma ne s'engage pas pour les vocations, mais livre malgré tout un message inconscient et plus fin... Et si nous devenions croyants ?
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