Monsieur le ministre, vous avez voulu introduire dans le projet de révision des lois de bioéthique qui vient d'être adopté par le Sénat une disposition autorisant, " par dérogation " et " pour une période limitée à cinq ans ", des recherches " sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs ".
Et ceci après avoir soutenu la nécessité de l'interdiction de toute recherche sur l'embryon humain (art. L. 2151-3).
J'avais eu l'occasion de vous entendre au Parlement européen, dans le cadre des travaux de la commission temporaire de génétique humaine. Vous aviez présenté avec autorité votre position sur la brevetabilité du génome humain. Plus récemment, j'ai relu l'exception d'irrecevabilité que vous aviez prononcée en janvier 2002, lors du vote en première lecture du projet de loi sur la révision des lois de bioéthique de 1994, à l'Assemblée nationale. Avec intelligence et pédagogie, vous aviez exprimé l'égale dignité de tous les êtres humains, ce qui vous conduisait à rejeter toutes pratiques contraires à ce principe fondamental.
Hélas ! vos dernières prises de position me laissent perplexe. Je ne retrouve ni la cohérence, ni la logique du raisonnement d'alors.
Dans l'hebdomadaire la Vie, le bien nommé, vous rappelez, à juste titre, " l'interdit fondateur, inscrit dans le code civil, de ne pas porter atteinte à la vie, dès son commencement " (16 janvier). Je préfèrerai, d'ailleurs le nommer "l'héritage fondateur" de notre société, car fonder un avenir commun sur des interdits conduit tôt ou tard à l'explosion. Cette référence à la fois simple et absolue devrait suffire à guider nos décisions et nos actions.
Vous rappelez aussi que " la médecine a toujours progressé par transgression : transfusion sanguine et plus récemment les transplantations d'organes "... Jamais, cependant, ces transgressions ne se sont attaquées à l'être humain en tant que tel. Elles ne portaient que sur des pratiques. Avec la recherche sur les embryons humains, on change de niveau et donc de monde : on entre dans celui d'Aldous Huxley.
Parce que le sujet est scientifiquement complexe et éthiquement délicat et parce que nous n'en mesurons pas suffisamment les enjeux pour notre civilisation, les Français veulent qu'on leur dise la vérité. Malheureusement, le débat sur les questions dites de bioéthique est enfermé dans les cénacles des savants et lorsqu'il est exposé au grand public, c'est avec un vocabulaire si compliqué que le chinois paraît simple à côté.
En cette Année européenne des personnes handicapées, notre objectif commun est bien d'aider les familles et les associations qui les accueillent et les accompagnent, mais aussi de traiter les maladies, toutes les maladies, pour soulager les souffrances si lourdes à porter. Si la médecine moderne, principalement la thérapie génique et la thérapie cellulaire ouvrent de grands espoirs de guérison, peut-on accepter, à n'importe quel prix, des pratiques qui remettraient en cause la dignité des plus fragiles d'entre nous ? Le scientifique sait bien, dans l'humilité de son laboratoire, que même si le succès peut être à sa portée, il devra toujours le confronter, in fine, à sa conscience.
Les Français doivent savoir que le diagnostic pré-implantatoire ou prénatal ouvre la porte à l'eugénisme. En effet, après avoir découvert un gène malade sans traitement adapté, faut-il, pour autant, supprimer la personne handicapée pour supprimer le handicap ?
Les Français doivent comprendre que l'utilisation des cellules souches embryonnaires pour soigner des cellules déficientes ou réparer un tissu malade, conduit fatalement au clonage thérapeutique, car le patrimoine génétique des cellules embryonnaires n'étant pas identique à celui du malade, seul le clonage thérapeutique évitera les risques de rejet de greffe. Rappelons que cette technique consiste à créer un embryon à partir d'un ovocyte dont on remplace le noyau par celui d'une cellule somatique du malade. Le prélèvement de cellules souches sur ce nouvel embryon entraîne sa destruction : on crée un embryon pour détruire ensuite. Aussi, autoriser la recherche sur les embryons et interdire le clonage thérapeutique, c'est tromper les Français. On peut dire d'ailleurs que le clonage thérapeutique est un clonage reproductif interrompu après avoir prélevé sur ce nouvel embryon des cellules souches.
Il faut aussi dire clairement que la distinction subtile entre recherche sur l'embryon et recherche sur les lignées cellulaires embryonnaires est un abus de langage. En effet, ces lignées sont obtenues à partir de cellules souches embryonnaires, non différenciées, elles-mêmes prélevées sur un embryon. Quand le professeur Jacques Hatzfeld se félicite d'effectuer ses travaux sur les lignées embryonnaires et non sur les embryons : " Nous ne manipulons ni ne torturons d'embryons " dit-il, il omet de préciser que d'autres l'ont fait avant lui et pour lui. Entre les deux types de recherche, il n'y a qu'une différence de stade.
Alors, faut-il rejeter la recherche scientifique et dire aux malades : " Nous ne pouvons rien pour vous ? " Certainement pas ! Car nous avons à notre disposition une alternative qui ne pose aucun problème technique (pas de rejet de greffe) ni de problème éthique (pas d'utilisation d'être humain, fut-il embryonnaire). Il s'agit de la recherche sur les cellules souches adultes, prélevées sur le corps du malade lui-même.
On nous objectera qu'elles sont difficiles à travailler car moins souples que les cellules souches embryonnaires, que leur nombre est insuffisant (puisqu'avec les embryons surnuméraires, nous avons une réserve considérable) et qu'il s'agit d'une technique plus coûteuse. En outre, de nombreuses sociétés biotechnologiques ont déjà beaucoup investi dans la recherche embryonnaire. Interdire celle-ci reviendrait à les faire disparaître. Combien de fois, en effet, n'ont-elles pas invoqué l'urgence économique et la compétition sans merci ? La recherche sur les cellules souches adultes, c'est le prix de la vie et le prix de notre civilisation. Car la dignité humaine n'est ni affaire de finance ni affaire de commerce. Et c'est au politique de le rappeler par ses décisions.
La France, première nation à avoir inscrit, comme principe premier, la dignité de tout être humain, s'honorerait non seulement à retrouver sa fidélité au premier droit de l'homme : le droit à la vie, mais également à prendre la tête d'un grand mouvement de vérité et de courage en Europe et dans le monde. Du serment d'Hippocrate au Code de Nuremberg, elle doit affirmer haut et fort les fondements anthropologiques de l'unité de la vie humaine et par voie de conséquence, le refus de considérer l'être humain comme une chose ou un matériau.
Monsieur le ministre, puisse votre détermination à interdire tout clonage humain que vous qualifiez de "crime contre l'humanité" être aussi inébranlable pour la recherche sur les embryons humains, même surnuméraires. Tous les êtres humains sont dotés d'une même humanité, quelque soit leur stade de développement ou leur état de santé, et bénéficient d'une égale dignité. Demain, l'Assemblée nationale devra se prononcer sur le texte révisé par le Sénat. Ne laissez pas la machine à transgression s'emballer : il en va de notre civilisation !
Élizabeth Montfort est député européen, membre de la Commission de génétique humaine, administrateur de la Fondation de Service politique.
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