Source [Le Salon Beige] Yann Raison du Cleuziou, observateur de la scène catholique, publie une tribune dans La Croix concernant les manifestations pour la reprise des messes, soulignant une fracture générationnelle béante au sein de l’Église en France.
Des étudiants qui réclament la messe en manifestant… Voilà qui aurait pu être une « divine surprise » dans une France dont le nombre de catholiques pratiquants ne cesse de s’effondrer. Ceux qui continuent d’assister à la messe chaque semaine ne représentent désormais qu’1,8 % de la population française (parmi les 18 ans et +). L’enquête de l’Institut catholique de Paris et de l’Université Sainte Mary de Twickenham ne comptabilise que 23 % de catholiques déclarés parmi les 16-19 ans. C’est dire l’ampleur du crash !
Mais la nouvelle de ces manifs divise plus qu’elle ne réjouit. Car ces laïcs qui se mobilisent de manière autonome des prêtres et des évêques ne correspondent pas à l’image du « peuple en marche » que bien des catholiques plus âgés attendent maintenant depuis plus de cinquante ans. Les fruits du concile Vatican II sont paradoxaux et certains y perdent leurs repères, comme Anne Soupa qui, sur sa page Facebook, appelle les évêques à crosser ces impudents.
Une grande déchirure générationnelle
Si les manifs provoquent tant d’amertume, c’est en raison d’une grande déchirure générationnelle qui traverse le corps ecclésial. Un remplacement dont les effets sont déjà très nets dans le clergé. Car ce sont les étendards frappés du Sacré-Coeur de toutes les contre-révolutions que ces étudiants brandissent, et non les fanions de l’Action catholique.
Tendanciellement, le catholicisme se recompose sur ceux qui ont eu l’interprétation la plus réservée du concile Vatican II et non sur les plus avant-gardistes. Inutile d’y chercher une mise à l’épreuve de la vérité des arguments théologiques des uns ou des autres. De mon point de vue, l’explication relève des sciences sociales, de la démographie ou de la sociologie.
La controverse actuelle me rappelle les débats sur la religion populaire dans les années 1970. Déjà, elle portait sur la superficialité des motivations des demandeurs de baptême ou de communion solennelle. À l’époque, le dominicain et sociologue Serge Bonnet avait rappelé que la culpabilisation de ces « catholiques festifs » était contre-productive parce qu’un groupe social, quel qu’il soit, ne peut renouveler son noyau dur de militants qu’à partir des marches et des marges qu’il sait entretenir. Selon lui, en l’oubliant, l’Église se condamnait à devenir une secte élitiste vouée à disparaître au fil de l’épuisement progressif de ses membres.
L’opposition entre foi et religion, qui fut abondamment mobilisée à l’époque pour jeter la suspicion sur l’attachement aux rites, est encore utilisée aujourd’hui contre les manifestants du dimanche. L’Évangile et tout particulièrement Matthieu 25, est utilisé avec condescendance pour expliquer à ces jeunes que leur attachement à la messe achève de démontrer la superficialité de leur foi. La prudence compassée de certains évêques n’équivaut pas moins à un coup de crosse contre les zélés. Un cardinal [Mgr Grech, le nouveau patron du Synode des évêques] n’hésite pas à qualifier leur impatience « d’analphabétisme spirituel ».
De nombreux engagements différents
Le jugement est tranché. Pourtant, qui peut prouver que ceux qui désirent la reprise des messes ne font rien pour les pauvres ? Ou que ceux qui sont moins pressés en font plus pour ces derniers ? Peut-être ne font-ils rien ? Les préjugés sont nombreux mais ce que montre l’enquête Bayard-Ipsos de juin 2016, c’est que les plus pratiquants sont aussi ceux qui ont le plus d’engagements différents.
Aujourd’hui, je pense qu’un avertissement complémentaire à celui de Serge Bonnet est nécessaire. Dans une institution comme l’Église, le mépris affiché pour les ultimes pratiquants est suicidaire. Si, théologiquement, l’opposition entre foi et religion peut fonctionner comme une forme d’examen de conscience stimulant pour questionner les ressorts d’une fidélité, d’un point de vue sociologique, ce raisonnement est dysfonctionnel.
Transmettre dans la durée
On peut se détacher des institutions et des rites pour mieux vivre sa foi. Reste que la possibilité même de cette émancipation, et des fruits qui l’accompagnent, dépend encore de la matrice abandonnée. Sans l’institution religieuse, avec ses normes et ses disciplines, il n’y a plus de foi en capacité de structurer un collectif. Il peut rester éventuellement des opinions personnelles et de belles trajectoires d’engagements. Mais quelle est leur capacité à générer de la culture, c’est-à-dire de la durée ?
La question de la transmission est capitale. Aujourd’hui la conclusion des enquêtes sur la pratique catholique est implacable. Si rien n’est fait pour redonner du sens, ou une charge sacrale, à la pratique de la messe, d’une génération à une autre, les pratiquants font des non-pratiquants, et ces derniers enfantent des non-chrétiens. Toute pastorale qui ne cherche pas à introduire à la pratique nourrit, plus qu’elle n’inverse, ce processus.
Le catholicisme de gauche des années 1960-1970, porté par un enthousiasme salutaire et bousculant l’ordre établi de ses hardiesses théologiques, s’est condamné par son refus de l’ordre institutionnel auquel il fallait se soumettre pour triompher à terme. Ses militants ont souvent voulu libérer leurs enfants de l’obligation d’assister à la messe pour privilégier l’engagement en faveur d’une société plus juste, jugé plus « évangélique ». Mais aujourd’hui, ses vétérans se trouvent sans postérité – ou presque – dans la jeunesse catholique résiduelle.
Enfin, dernière illustration des causes de leur déception, ils sont réconfortés aujourd’hui par un pape ! L’audacieux François. La praxis de ce dernier est une belle leçon de subversion car il montre à quelles conditions l’institution peut être bousculée : de l’intérieur, par un jeu avec les règles, et non contre elles. C’est là un paradoxe à méditer, les conservateurs maintiennent aussi, dans l’ombre de leur fidélité, la possibilité d’un changement et d’un renouveau inattendu. C’est bien parce qu’il y a eu une génération Jean-Paul II qu’il peut y avoir une génération François.
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