Avec Les adieux à la reine, adaptation du roman éponyme et à succès de Chantal Thomas, Benoît Jacquôt signe un film élégant mais qui prend ses aises avec la réalité historique.
Dieu qu’on l’aime cette reine qu’on a coupé en deux ! Rares sont les figures contre lesquelles un peuple s’est rébellé et qui pourtant continuent longtemps après leur mort de hanter l’imaginaire collectif. C’est pourtant le cas de Marie-Antoinette, la reine que le bon peuple de France a fait guillotiner et qui reprend vie régulièrement sur les écrans de cinéma.
Avant de devenir martyre de l’ancien régime, Marie-Antoinette, fut reine, épouse, mère, femme, enfant et tyran avec son entourage. C’est cette histoire et cette intimité que Benoît Jacquôt a préféré raconté. C’est le portrait d’une reine avant la chute que fait le cinéaste. Un portrait intime, charnel et peu historique qui représente Marie-Antoinette à la proue d’un navire qui sombre alors même que sa vie est déjà chavirée pour une toute autre raison.
Benoît Jacquôt filme la fin d’une époque à travers les relations de trois femmes peu emblématiques de ces temps troublés. Cela donne cependant à l’ensemble du film un caractère décalé. « Rock’n roll » diraient certains bien qu’on soit très loin de la représentation de Sophia Ford Coppola. Le décalage est ici plus subtile, plus amer et plus ambigu !
Petite et grande Histoire
C’est depuis longtemps un parti-pris dans le cinéma que d’aborder la grande Histoire à travers la petite. Un procédé romanesque classique auquel n’échappe pas ce film – ou le roman dont il est adapté. La conséquence malheureuse à laquelle n’échappe pas l’œuvre de Jacquôt est que les personnages du XVIIIème siècle y sont abordés avec les catégories mentales et les mœurs de notre temps. Chaque époque réécrit l’Histoire et ses personnage tels qu’elle les voit en prenant modèle sur elle-même.
On décrouvre cependant dans ce film, à travers divers tableaux et reconstitutions au fil du récit, Versailles dans ce qu’il de plus beau et ce qu’il a de plus terrible. Le réalisteur alterne savamment entre les ors du château et les quartiers misérables des domestiques. Habile procédé visuel pour révéler ce que le récit lui-même démontre : Versailles est un lieu presque magique mais qui a perdu sa magie. Un lieu où se cotoient plusieurs mondes qui s’entrecroisent, interagissent mais ne se comprennent pas. Il y a celui de la reine, celui du roi, celui des courtisans, celui des domestiques, de l’armée et du gouvernement… La seule certitude qui restera à la fin est que ceux qui composent ce délicat écosystème en sont prisonniers. Prisonniers de Versailles et de sa chute !
Versailles est donc, à n’en pas douter, l’un des « personnage » clef de ce film tout comme le Titanic dans celui de James Cameron. Deux « personnages » qui partagent d’ailleurs un même destin comme cela a souvent été mis en avant. Benoît Jacquôt, à travers la tension constante du film, souffle au spectateur cette impression que l’Histoire se déroule comme si elle était jouée d’avance. Versailles ne pouvait échapper à sa chute tout comme le Titanic ne pouvait que sombrer après avoir percuté l’Iceberg.
Petite et grande reine
Autre personnage clef, Marie-Antoinette (Diane Kruger), bien sûr. Que l’on découvre à travers les yeux de sa lectrice (Léa Seydoux), une jeune fille sans passé, entièrement dévouée à sa maîtresse et qui lui voue une admiration ambigue. Une autre femme, Madame de Polignac (Virgine Ledoyen), vient compléter le trio sur lequel va s’appuyer le réalisateur pour dessiner touche par touche le portrait de « sa » Marie-Antoinette.
Car si Benoît Jacquôt joue le jeu de la reconstitution historique pour décrire Versailles, il en va tout autrement pour Marie-Antoinette. L’approche du personnage est beaucoup plus intime, personnelle, voire charnelle. Le réalisateur n’hésite pas à donner au trio de femme des pulsions et désirs loin de la réalité historique. Evelyne Lever, historienne spécialiste de la reine, l’a d’ailleurs confirmé dans un entretien donné au Figaro : « Il ne faut pas faire de cette amitié très forte [entre la reine et madame de Polignac ndlr], et qui n'a pas été sans nuages, une liaison homosexuelle. On a accusé la reine de toutes les turpitudes sexuelles. L'attaque pornographique a toujours été un moyen politique de déstabiliser des personnalités. “On me prête le goût des femmes et celui des amants”, raconte-t-elle à sa mère. Ce sont les ennemis de Marie-Antoinette qui ont parlé de son saphisme. Marie-Antoinette, qui n'aimait pas le roi d'amour, a eu des amitiés féminines et peut-être un amant, Fersen. »
Qu’à cela ne tienne, le cinéma n’est pas l’Histoire. Et si Benoît Jacquôt prend des libertés avec la réalité historique, son film demeure une composition admirable tant sur le plan de l’écriture, du jeu, de la direction des actrices, du rendu visuel et surtout de la tension qui l’habite, du début à la fin. Une tension sourde – tantôt érotique, tantôt dramatique mais toujours très incarnée – qui donne au spectateur le sentiment d’être à un carrefour de la vie de ces femmes et de l’Histoire.
A la fin, alors que l’ordre ancien s’efface laissant place à l’ordre nouveau, ces vies perdent leur sens. La vie de la lectrice, celle de la courtisane, celle de la reine elle-même, n’avaient de sens que par rapport à ce que représentait cette dernière. Ces adieux à la reine ne sont donc pas ceux qu’on croit. Ils ne sont pas ceux de l’Histoire. Pas de guillotine dans ce film ! Au contraire, ces adieux sont ceux d’une lectrice qui n’a plus personne à qui faire la lecture. Ceux d’une courtisane qui n’a plus personne à qui faire la cour ; et peut-être ceux d’une reine à elle-même… Ceux d’une femme frivole, capricieuse, noble, impatiente, orgueilleuse, inconstante, irritable, otage de ses sentiments et calculatrice qui renonce à tout cela pour devenir celle que l’on sait… à la hauteur de sa charge et de son destin !
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