Source [Causeur] Vous vous rappelez peut-être que Victor Klemperer avait décrit la Lingua Tertii Imperii (paru en 1996 en France), la langue du Troisième Reich. Il explique ainsi comment les Nazis avaient modifié le sens de certains mots allemands de façon à ce qu’ils servent leur idéologie. La novlangue imaginée par Orwell était le rejeton adultérin de ce Nouvel Ordre Linguistique — quand « bon » signifie « conforme à la pensée de Big Brother », et que « inbon » exprime tout le reste.
Le Quatrième Empire, celui du politiquement correct
Nous voici aujourd’hui à l’aube (radieuse, forcément radieuse) d’un Quatrième Empire, celui du politiquement correct, du multiculturalisme et des liaisons trans-sectionnelles. Nous nous en doutions un peu. Mais de récents développements nous forcent à considérer l’évolution du langage contemporain. Par exemple, par ordre alphabétique, sans souci d’exhaustion :
Antisémitisme (subs.) : Haine des Juifs, à l’exclusion de tous autres Sémites — groupe auquel appartiennent par ailleurs les Arabes. Ce type particulier de racisme (voir ce mot) ne peut être le fait que de groupes néo-nazis. Dire, comme l’a stipulé un historien français (lui-même juif, ce qui le rend suspect), que certains Arabes ont sucé l’antisémitisme avec le sein de leur mère, est une impropriété qui vous vaudra d’être traîné devant les tribunaux par des associations exaltant la mémoire et l’œuvre de Mohammad Amin al-Husseini (sur lui la bénédiction du Prophète), grand mufti de Jérusalem qui en 1937 exalta l’œuvre antisioniste (voir ce mot) d’un certain Adolf Hitler.
Antisionisme (subs.) : À l’origine, opposition à la politique promulguée par Theodor Herzl en 1896 dans son livre l’Etat juif. Revendiquée jadis par de larges pans de l’extrême-gauche, il est aujourd’hui synonyme total d’« antisémitisme », en plus seyant. Le couple « antisionisme / antisémitisme » a autant de pertinence que l’opposition « érotisme / pornographie » dans la bouche de ceux qui ignorent tout du premier et se gavent de la seconde.
Apprenant (subs.) : autrefois appelé « élève » par des enseignants réactionnaires, l’apprenant est celui qui enseigne autant qu’il est enseigné. L’usage d’un participe présent marque sa fonction active, alors que le participe passé « enseigné » le contraignait à un rôle passif. L’apprenant ne peut donc pas être jugé (quel mot horrible et colonialement connoté !) selon ses résultats, mais apprécié selon ses espérances — qui sont grandes. La meilleure preuve de la pertinence de cette appellation nouvelle est la réussite sidérante, chaque année plus spectaculaire, aux examens organisés par l’Éducation nationale. Quand des « élèves » (quelle prétention dans l’idée d’« élever » des enfants comme des plantes vertes ou des vaches!) obtenaient le Bac à 50% il y a quarante ans, les « apprenants » le réussissent à 95% aujourd’hui — preuve ma-thé-ma-ti-que de l’excellence des pédagogies contemporaines, et pas du tout d’une baisse de niveau concertée.
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