Campagne à la découpe

Source [Causeur] : Après Algues Vertes, Inès Léraud et Pierre Van Hove s’attaquent à l’épineuse histoire du remembrement qui mit le feu aux campagnes françaises. Champs de bataille est la BD à lire et à offrir en cette fin d’année

Le mot est interdit. Incompréhensible pour les jeunes urbains. Enseveli sous l’édredon des rancœurs et des jalousies. Plaie béante chez les anciens paysans. Il y eut quelques rares gagnants et beaucoup de perdants à cette loterie nationale, ce démembrement des terres agricoles, puzzle de parcelles sur lequel l’État profond s’amusa à remodeler le territoire. Enfant du Berry, j’entendis souvent ce mot prononcé avec un mélange de tristesse et d’amertume. L’État était passé par là. Sans recours, ni prévenance pour les populations locales, avec la force brutale d’une machine administrative insensible aux enracinés de toujours.

Une monstruosité

Inès Léraud et Pierre Van Hove, avec l’appui du conseiller historique Léandre Mandard, reviennent sur l’histoire enfouie du remembrement : « À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’État fait redessiner les terres agricoles dans la plupart des campagnes françaises afin que les champs soient accessibles par des chemins carrossables et facilement cultivables par des machines ». Ce regroupement à marche forcée, porté par une idéologie progressiste est une politique de la terre brulée qui annonce un désastre environnemental. On arrache les talus, on élargit, on polit, on rabote, on goudronne, on « bulldozerise » mille ans d’histoire agraire pour moderniser, mécaniser et surproduire à tout va au nom du marché et des traités européens. Nous payons aujourd’hui le prix de ces dérives consuméristes et libre-échangistes. On éventre surtout les villages, on fragmente les vieilles communautés rurales ; le démembrement laisse derrière lui une plaine de désolation et des tracteurs toujours plus monstrueux.

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