Dans les débats en cours, on parle sans cesse de laïcité et de diversité mais une grande confusion règne. On parle de signes religieux en général, alors qu'on ne vise en réalité que des signes musulmans, et surtout, on désigne souvent comme religieux ce qui est en fait une conception de la femme, traduite extérieurement par des symboles.
Mais si la laïcité était vraiment une neutralité, elle ne devrait jamais stigmatiser des signes ou des pratiques religieuses comme telles. Et certainement pas expliquer comme M. Guéant l'a fait (malgré ses rétractations) qu'il faut interdire tout port de signe religieux dans un service public.
Du point de vue d'une laïcité vraiment neutre, ce qui fait que la burqa pose problème n'est pas son caractère religieux, c'est le fait que le visage n'est pas visible, ce qui est choquant dans la vie collective, et notamment dans l'espace public. C'est donc sous cet angle que ces pratiques doivent être réglementées.
Inversement la laïcité à la française comprise comme essai de mise sous contrôle du fait religieux, aboutit à le stigmatiser comme tel, et en pratique ne fournit pas de critère précis, tout en blessant les personnes concernées : soit on interdit trop et alors on mutile (pas de manifestation publique des religions) ; soit on laisse passer des choses inacceptables (burqa). Des lycéennes portant des jupes longues ont été mises en cause parce que la jupe était jugée religieuse ; mais la même jupe ne poserait apparemment plus de problème si elle était perçue comme traditionnelle, ou mieux encore comme une lubie personnelle, ce qui dans nos sociétés est le seul sacré.
L'ordre public juste
Dans le cas de la religion il faut donc en revenir au critère que Vatican II avait donné comme seule justification possible de limitation à la liberté religieuse, (comprise d'ailleurs elle-même comme droit à la recherche de la vérité). Ce critère c'est l'ordre public juste. Notons que, comme tel, il n'est pas spécifique au champ religieux : si au nom de cet ordre public juste on interdit la burqa, à nouveau c'est du fait d'une certaine conception de ce qui est acceptable dans l'espace public, pas pour des raisons proprement religieuses.
On peut d'ailleurs aller plus loin et constater que la conception dominante actuellement conduit à l'expression publique de spectacles difficilement justifiables du point de vue de l'ordre public juste, par exemple pour l'image de la femme (pornographie ou érotisme affichés partout, surtout en France). Ou agressives (par exemple à l'égard des chrétiens). Cela me paraît plus troubler l'ordre public juste qu'un foulard ou une croix. Mais pour cela il faut porter un jugement sur le comportement en question. On voit alors qu'on ne peut donc éviter un débat au fond sur ce qui est en soi jugé acceptable ou pas dans l'espace public, en vue de l'harmonie de la vie en commun – débat qui dans un contexte relativiste comme le nôtre est quelque peu paradoxal, mais indispensable.
Tout autre est le problème posé spécifiquement par l'islam du fait de sa conception de la vie en société et de la vie politique, même si un lien existe entre les deux questions.
Au moins dans l'état actuel et historiquement constaté de cette religion, elle ne sépare pas la religion, le droit et la politique. Ce qui est incompatible avec l'organisation de nos sociétés, et l'était même anciennement. Ce problème pourrait en outre exister même si les musulmans adoptaient une conformité extérieure (vestimentaire) aux principes de la laïcité à la française, car il pose des problèmes, plus essentiels, d'intégration dans la vie commune des musulmans réellement croyants et attachés à la conception du politique actuellement reçue doctrinalement chez eux.
Voir émerger un islam intégrable dans une société à l'occidentale est donc une tout autre affaire que régler des questions de manifestation publique, ce qui passionne les foules.
*Pierre de Lauzun est essayiste. Dernier ouvrage paru : Politique, t. 1 : l'avenir de la démocratie (F.-X. de Guibert, 2011)
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