On se doutait bien que la situation des finances publiques en France était très dégradée. Pour en avoir le cœur net, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait confié un audit à deux magistrats de la Cour des comptes.
Et pour éviter toute accusation de manipulation, le Premier ministre avait choisi les deux magistrats — Jacques Bonnet et Philippe Nasse — qui s'étaient vu confier une mission équivalente il y a cinq ans par Lionel Jospin.
Leur rapport a été remis le 26 juin 2002 au Premier ministre et ensuite il a été rendu public. Si on laisse de côté les considérations techniques et sans entrer dans des détails sans importance politique, la leçon qu'il faut tirer de cet audit est claire : la situation française des finances publiques est très dégradée.
Lorsque le gouvernement Jospin avait présenté son projet de loi de finances à l'automne 2001, le déficit public devait représenter 1,4 pour cent du produit intérieur brut. C'était déjà beaucoup, compte tenu de la situation de nos partenaires européens (dont la majorité a des comptes en équilibre ou en excédent) et de la volonté des autorités de Bruxelles d'aboutir partout à un équilibre en 2004 au plus tard. En mars 2002, le gouvernement Jospin avait signalé à Bruxelles que la situation s'était dégradée, et envisageait un déficit de 1,85 pour cent.
L'audit qui vient d'être publié montre que ces prévisions étaient beaucoup trop optimistes. Le déficit sera en réalité, en 2002, compris entre 2,3 pour cent et 2,6 pour cent. Autrement dit, non seulement on est loin de l'équilibre, mais encore la situation se dégrade et se rapproche dangereusement de la limite extrême des 3 pour cent qui était exigée pour participer à la phase finale de l'euro...
Cette dégradation concerne avant tout les dépenses de l'État, dont le déficit devrait être compris entre 3 et 3,2 pour cent du PIB. Mais on constate aussi une inquiétude du côté des comptes sociaux, qui, d'une prévision en équilibre passent à une réalité en déficit de O,1 pour cent. Seules les autres administrations, en particulier locales, sont en excédent. Or on sait que les comptes sociaux sont très menacés, à court terme par le déficit croissant de l'assurance maladie (et les nouvelles dépenses liées au monde médical) et à moyen terme par la prochaine explosion des dépenses de retraite lors de la rupture démographique de 2005.
Comment expliquer cette dégradation, en particulier des comptes de l'État ? Une partie de l'explication vient d'une croissance inférieure aux prévisions (ce qui réduit les rentrées fiscales puisque la matière imposable est plus faible), mais l'essentiel vient du dérapage des dépenses : dépenses sous évaluées et dépenses préélectorales du gouvernement précédent.
Cette annonce intervient au moment où Bruxelles se préoccupe du retour à l'équilibre des finances publiques en Europe. Au sommet de Séville, la France a essayé d'obtenir un compromis en s'engageant à un retour " proche " de l'équilibre en 2004 (ce qui est différent de l'équilibre) et cela seulement si la croissance est supérieure à 3 pour cent l'an prochain.
Ce retour à l'équilibre sera très difficile à obtenir, car d'une part de nouvelles dépenses sont programmées (et nécessaires pour certaines d'entre elles) par exemple en matière de sécurité et de justice. D'autre part, le président de la République avait promis des baisses d'impôts (à commencer cette année par une baisse de 5 pour cent de l'impôt sur le revenu). Or ces baisses sont nécessaires et doivent être poursuivies et amplifiées.
En effet, d'un côté les prélèvements obligatoires sont déjà beaucoup trop lourds en France (45 pour cent du PIB) et très supérieurs à ceux de nos partenaires. De l'autre, ces baisses sont indispensables pour obtenir une croissance plus rapide (et donc un recul du chômage), non pas comme on le dit souvent en agissant sur la demande (consommation par exemple) mais sur l'offre (incitation à investir, épargner, entreprendre, travailler selon les enseignements de la célèbre courbe de Laffer).
La situation est donc extraordinairement dégradée et semble bloquée puisque les déficits augmentent – il faut donc les réduire, puis les supprimer — tandis qu'il faut aussi réduire et les impôts et la dette publique...
Comme nous l'avions déjà souligné (Décryptage, 14 juin), il n'y a qu'une solution pour résoudre tous les problèmes à la fois : c'est de réduire rapidement et massivement les dépenses publiques. Or si ces dépenses correspondent parfois à des gaspillages, elles relèvent de secteurs ou de services utiles : il faut bien faire fonctionner les services publics et payer honorablement les agents de l'État. La seule façon de s'en sortir est donc d'entreprendre au plus vite (et si possible en 2002 tant que l'on est proche des élections et donc d'une conjoncture politique favorable au gouvernement) des réformes de structure. En clair, il faut déplacer la frontière entre ce qui est public et ce qui est privé, en privatisant un certain nombres de services jusque là étatiques et en les ouvrant à la concurrence pour faire diminuer les coûts.
Cela va se heurter à un certain nombre d'habitudes et d'avantages acquis. Cela concerne les dépenses de l'État aussi bien que la protection sociale, y compris l'assurance maladie et surtout les retraites pour lesquelles l'explosion est inscrite dans notre démographie. Il y aura donc des résistances sociales. Il faudra dépasser les intérêts particuliers et catégoriels, car c'est l'intérêt du pays qui est véritablement en cause. Mais la situation n'est plus, surtout dans une économie ouverte et dans une Europe à la monnaie unique, à des micromesures ou à des intérêts de groupe : c'est le bien commun du pays qui, cette fois-ci, est en cause. Le secteur public en France est trop étendu, dépense trop et vit au dessus de ses moyens. Il est grand temps de s'attaquer à la réforme de l'État.
Jean-Yves Naudet est président de l'Association française des économistes catholiques.
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