[Communication à l'Espace-Bernanos, Paris, 16 mars 2011, au cours de la table ronde de la Fondation de Service politique  Islam et laïcité : le dialogue de sourds ] — Je ne voudrais pas que l'intitulé de cette conférence soit considéré comme la conclusion à retenir de ce que nous allons tenter de dire, la messe étant déjà dite. Il nous faut, me semble t-il, se garder de deux attitudes. L'une qui pêcherait par excès d'enthousiasme, de bons sentiments, attitude irénique, attitude qui a trop souvent prévalue dans nos rapports avec l'islam. L'autre qui conclurait, en raison de différences radicales et certes définitives jusqu'à ce jour, qu'il ne reste qu'à tirer le rideau et à se retirer sur l'Aventin.

Non ! notre temps nous a mis dans une situation historique certes inédite, certes inconfortable, sans doute à terme douloureuse mais nous avons le devoir d'être le sel de la terre ou le levain dans la pâte et donc de rester immergés voire submergés dans ces réalités humaines en très rapide évolution.

Nous abordons là le débat qui ne fait que commencer, et le choix de faire dialoguer, de faire résonner ces deux mots islam et laïcité est très intéressant car l'on découvrira que l'islam est bien plus, bien davantage qu'une religion puisqu'il concentre dans une même réalité insécable une foi, une loi, une culture, que tout absolument tout les aspects de la vie des hommes, des femmes, des sociétés islamiques est codifiée dans les moindres détails ; c'est donc un système englobant, totalisant.

En face, nous aurions pu établir une comparaison avec le christianisme qui par ailleurs a fécondé, irrigué, façonné notre civilisation occidentale et notre droit positif mais nous aurions été sur un registre plus étroit et donc dans une comparaison plus déséquilibrée.

Tandis que s'attacher à établir une dialectique entre islam et laïcité est bien plus complet. Si nous ne quittons pas totalement le domaine de la foi, en revanche toutes, absolument toutes les réalités humaines sont contenues dans la notion de laïcité, dès lors que nous aurons redonné à ce mot, à ce terme, à ce concept, à cette réalité sa pleine vérité. C'est d'abord une invention, une trouvaille, une originalité, une réalité exclusivement catholique. C'est la grande invention du christianisme, c'est le grand apport du christianisme au monde. Je dis cela pour que nous n'ayons pas l'impression de prononcer un gros mot et de commettre un péché en prononçant le mot laïcité que nous nous sommes fait confisquer et qu'il convient de reconquérir. En effet, trop souvent laïcité désigne laïcisme qui n'est autre chose qu'une forme d'athéisme militant déguisé.

Donc ce mot laïcité doit redevenir un vocabulaire chrétien et ainsi restauré dans son sens profond peut constituer, à cette condition, un argument solide dans notre discussion, notre confrontation avec l'islam.

Notre débat reprendra peut être tout à l'heure un tour plus théorique mais je pense nécessaire de resituer dans quel cadre, dans quelle situation historique ce débat s'initie et quels sont les rapports de force en présence et leurs évolutions. Cela n'apporte rien à la question du fond sauf à nous inciter à la traiter avec toute la rigueur voulue et à lui faire donner toutes ses richesses et potentialités car du débat théorique découleront les solutions pratiques qui régiront à l'avenir notre quotidien.

Les réalités de l'islam en France

Les réalités de l'islam ne sont plus pour notre pays la France ou pour l'Europe des réalités virtuelles ou évanescentes mais bien des réalités massives, structurées et dynamiques.

En effet, il nous faut prendre en compte tout à la fois les conséquences des évolutions démographiques, les conséquences du découplage entre identité, culture et nationalité, les conséquences de ce que sont les ressorts fondamentaux de l'islam et les conséquences des fausses notions de laïcité prônées en France.

Nous sommes en train de vivre en France et en Europe des bascules démographiques sans précédent.

Trois facteurs sont à prendre en compte :

  • L'importance des flux migratoires en vigueur en France depuis quarante ans. Je rappelle que c'est environ 250 000 personnes par an qui rentrent et restent en France. J'affirme qu'il y a grave carence de l'État en la matière.
  • L'importance de la natalité issue de ces populations accueillies depuis des décennies. Le taux moyen de natalité de ces dernières étant plus de 2 fois supérieures au taux moyen des autochtones. Je n'ai rien à redire sur ces taux de natalité dés lors qu'il s'agit pour ces populations d'exercer de manière responsable leur parentalité et qu'au minimum ces enfants soient éduqués dans le respect du pays qui les accueille. Pour cet aspect là des choses, je vous renvoie sur l'ouvrage en tout point remarquable de Malika SOREL  Le puzzle de l'intégration, les pièces qui vous manquent
  • La faiblesse chronique de la démographie du pays d'accueil qui transforme donc les flux migratoires évoqués plus haut en immigration de peuplement et non en immigration d'appoint. Je vous renvoie sur ce point sur les travaux remarquables et incontestés d'une démographe comme Michèle Tribalat dans son dernier livre Les Yeux grands fermés (Denoël).

Exemple de la Seine-Saint-Denis

Habitants : 1 500 000, dont :
- Etrangers (carte de séjour) : 500 000
- Français sans aucune ascendance : 500 000
- Français (droit du sol+ naturalisation) : 500 000

À cela se rajoute les différentiels démographiques entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, différentiels que les événements actuels risquent de mettre en branle.

Pour ce qui est du découplage entre identité, culture et nationalité, je vous renvoie aux auditions de Malika Sorel et moi-même faites tout récemment devant la Mission parlementaire en charge d'étudier une éventuelle réforme du droit de la nationalité en France.

Alors, qu'en est-il de notre dialogue de sourds ?

Pour vivre sereinement en France en respectant la laïcité et l'ordre public, les musulmans (Français ou non) doivent accepter un système de valeurs qui n'est pas toujours conforme à la doctrine et à la loi islamique.

Voyons quelles sont a minima les questions sur lesquelles l'islam devra évoluer si nous voulons sortir de l'impasse actuelle.

Trois conditions sont nécessaires :

1/ Changer le rapport au Coran et à la Sunna

Plusieurs remarques :

  • Le Coran est considéré par les musulmans comme un Livre incréé, faisant partie de l'Etre même de Dieu, dicté en toutes lettres à Mahomet qui a reçu la mission de le transmettre aux hommes et d'appeler ceux-ci à l'islam. L'islam ignore le concept d'inspiration qui est le propre de l'Ancien et du Nouveau Testament et qui permet sans cesse de tirer du neuf de l'ancien.
  • La Sunna qui regroupe tous les faits et paroles attribués à Mahomet.
  • Ces deux Écritures sacrées, Coran et Sunna, sont considérées comme émanant de la volonté éternelle de Dieu, donc intangibles et immuables. Sans être équivalentes sur le plan dogmatique, elles ont un statut égal en tant que sources du droit (la Sunna complète ce qui manque au Coran dans le domaine législatif) et sont toutes deux aux fondements de la charia (loi islamique).

Or l'enseignement de ces Écritures, au-dessus de toute autre loi, diverge considérablement de la doctrine et de l'anthropologie chrétiennes, lesquelles constituent les fondements du droit positif qui caractérise encore largement le système de droit français.

La représentation coranique de Dieu et l'enseignement relatif au rapport entre Dieu et l'homme conditionnent l'anthropologie des musulmans et la vie en société. Par exemple : le Dieu du Coran ne fait pas alliance avec l'humanité, l'homme n'entretient pas de relation personnelle et aimante avec son Créateur, il lui est seulement demandé d'adorer Dieu. L'islam ignore la notion de personne et la dignité inaliénable qui s'y rattache en tant qu'être créé  à l'image et à la ressemblance de Dieu  (cf. le récit de la Genèse), ce que le Coran n'admet pas.

L'homme musulman n'a que les droits que Dieu veut bien lui consentir. Sa dignité lui vient non pas de sa nature mais de sa soumission à la volonté de Dieu et de son appartenance à l'Oumma (la communauté des musulmans) qui contrôle le moindre de ses gestes. Cette situation ôte à l'homme toute liberté et toute responsabilité, les deux allant de pair. C'est pourquoi la plupart des États musulmans ont rédigé leurs propres chartes des droits de l'homme dont les dispositions se veulent conformes à la charia et contredisent les principes universels d'inspiration chrétienne, notamment la liberté religieuse. L'islam peut consentir une certaine liberté de culte aux non-musulmans mais en aucun cas la liberté de conscience. Ce principe repose sur une phrase attribuée à Mahomet :  Celui qui quitte la religion (l'islam), tuez-le . Il faudrait exiger des instances représentatives de l'islam en France l'engagement formel à accepter cette liberté, qui est la plus importante de toutes.

En outre, l'islam ne reconnaît pas le principe de l'égalité entre ressortissants : un musulman est toujours supérieur aux autres comme l'enseigne le Coran :  Vous êtes la meilleure des communautés suscitées pour les hommes  (3, 110). Seuls les musulmans sont donc égaux entre eux. L'islam ne reconnaît pas non plus l'égalité de l'homme et de la femme (il s'agit de l'égalité en dignité et non d'une quelconque similitude), celle-ci étant toujours placée sous tutelle masculine (cf. Coran 4, 38). Il est par ailleurs interdit à une femme musulmane d'épouser un non-musulman (cf. Coran 2, 221), ce qui constitue également une entrave au principe de la liberté religieuse.

Pour vivre sereinement, les musulmans doivent donc renoncer au statut dogmatique du Coran et à l'exemplarité de la Sunna.

2/ Se dégager de la tutelle et de l'influence des pays d'origine.

  • Cette autonomie doit être matérielle, politique et culturelle. Or les États d'où proviennent les musulmans établis en France financent des lieux de culte, importent des imams qui ignorent le plus souvent l'histoire et les traditions françaises, et même parfois notre langue. Cette dépendance financière entraîne une dépendance culturelle et religieuse. Elle influence la manière dont l'islam est vécu par les musulmans en France. Elle est aussi le vecteur de la réislamisation qui touche toutes les sociétés musulmanes dans le monde, y compris celle qui se développe en France. Les musulmans, dans leur majorité, restent tournés vers leurs pays d'origine, notamment à travers les antennes paraboliques, Internet, les voyages.
    Tout cela présente un frein sérieux à l'intégration des musulmans en empêchant leur assimilation.
  • L'État français voudrait créer une ou plusieurs institutions qui formeraient des imams en France. Mais cela pose le problème de la nature de l'enseignement dispensé dans ces établissements, sachant que de multiples interprétations des Écritures musulmanes sont possibles et que l'islam sunnite, très majoritaire, n'a pas de Magistère unique. Dès lors, que fera-t-on des passages du Coran et de la Sunna qui recommandent le mépris voire le combat contre les non musulmans ? Qui contrôlera l'enseignement dispensé dans ces institutions ? Est-ce l'État laïque ?
  • L'État français a cru faciliter l'intégration des musulmans en créant des instances représentatives, notamment le Conseil français du culte musulman (CFCM), mais en l'absence de magistère unique, ce Conseil ne peut prétendre représenter tous les musulmans, contrairement à ce qui se passe dans l'Église catholique où les évêques sont vraiment représentatifs. Le CFCM ne parvient d'ailleurs pas à surmonter ses divisions internes. La même remarque vaut pour les aumôneries (armée, hôpitaux, prisons) créées par l'État français sous prétexte que toutes les religions doivent être traitées à égalité, mais l'islam ignorant le concept de médiation n'a ni sacerdoce ni aumôniers. La création de ces aumôneries est une faute. Elle constitue une entrave sérieuse à l'intégration car le souci prioritaire des titulaires est d'encadrer la vie des musulmans dans tous les domaines, et pas seulement celui du culte. Cela favorise un communautarisme nuisible à l'unité nationale.

3/ Accepter le principe de la laïcité.

Le concept de laïcité est étranger à l'islam qui ignore la distinction des pouvoirs et mêle les domaines politique et religieux. Cette conception prend sa source dans l'exemple de Mahomet à Médine, ville où il bâtit le premier État islamique de l'histoire en cumulant sur sa tête le pouvoir politique et le pouvoir religieux (622-632). Or l'exemple de Mahomet est normatif et tout musulman est en principe tenu de lui obéir.

La conception classique de l'islam en matière de pouvoir politique est confessionnelle. Le gouvernement ne peut donc revenir qu'à un musulman, sauf exceptions mais alors celles-ci sont considérées par les tenants d'un islam traditionnel comme anormales et provisoires (cf. le cas du Liban). L'islam n'accepte de se soumettre à un régime non musulman qu'en cas de rapport de force qui lui est défavorable, c'est-à-dire lorsqu'il est en situation de minoritaire. Cela repose sur un propos attribué à Mahomet, que l'on trouve dans la Sunna :  L'islam domine et ne saurait être dominé. 

Il faut ajouter que la laïcité telle qu'elle est conçue et vécue en France, dans les lois et les mœurs, c'est-à-dire comme idéologie antichrétienne, ne peut que rebuter les musulmans qui y voient le rejet de Dieu et non pas un système attrayant. Le Laïcisme fait le lit du fondamentalisme. Le Laïcisme n'étant qu'un autre fondamentalisme. Les extrêmes se prêtent main forte.

Compte-tenu de tout ce qui précède et en l'état actuel, je ne vois pas les musulmans de France évoluer vers un islam de France mais plutôt vers un islam en France, avec les risques de revendications croissantes en faveur de l'application de la charia pour les communautés qui se réclament de cette religion, laquelle n'est pas seulement une religion mais un système global : religion, société, État.

Alors qu'en est-il de la laïcité ?

Cela fait des années que j'essaie maladroitement d'approfondir cette question sans être capable encore par moi-même d'en exposer intelligiblement les principaux tenants et aboutissants et ce n'est pas faute face à bon nombre de mes collègues d'avoir du soutenir des discussions passionnées et passionnantes sur ce sujet. Néanmoins, tout récemment, deux textes sont venus éclairer tout particulièrement mon intelligence. Je m'en servirai donc pour mon propos.

Le premier est tiré du second rapport sur la Doctrine sociale de l'Église dans le monde et plus particulièrement de la synthèse introductive prononcée par Mgr Giampaolo Crepaldi, archevêque de Trieste. Comment fait-on pour trouver des textes d'une telle qualité ?

Tout simplement en ayant de saines lectures, c'est-à-dire en lisant régulièrement les productions de la Fondation de Service politique... Mgr Crepaldi s'exprime dans le n. 51 de la revue Liberté politique (décembre 2010) :

 Il n'y a pas eu d'exemples de vraie laïcité. Celle-ci, en effet, se doit d'utiliser la raison et des arguments fondés sur la réalité, et non l'idéologie, pour discuter ce que dit l'Église. Les choses sont plus simples qu'il n'y parait. Si le politique ne doit pas assumer les catégories confessionnelles, il ne doit pas non plus être indifférent, ou pire, opposé à la religion. Sinon il revêt les oripeaux d'une nouvelle religion. La laïcité ne doit pas être la nouvelle religion de l'exclusion de la religion hors de la sphère publique. La laïcité propre au politique n'est pas neutralité, mais impartialité et garantie du droit à la liberté religieuse de tous et de chacun. Dire qu'elle n'est pas indifférente à la religion, cela signifie affirmer qu'à l'aide de la raison elle examine ce que dit l'Église à propos des grandes questions éthiques.

Le politique, en effet, est autonome vis-à-vis de la religion mais pas vis-à-vis de la morale, du fait qu'elle a pour tâche de s'occuper du bien des citoyens. Il examine et il évalue. Du reste, le christianisme accepte d'être jugé par la raison. Ce sont plutôt les autres religions qui ne le veulent pas. Le christianisme a la prétention d'enseigner, par révélation, des choses sur l'homme qui ne s'achèvent pas à sa seule humanité et qui ne créent cependant pas de frontière radicale entre être homme et être chrétien. Il est donc toujours possible, et voire exigé de ce même christianisme, que la raison vérifie cette correspondance et traduise la religion au tribunal de la raison.

Le christianisme ne fait pas qu'accepter la laïcité, mais il la réclame et la stimule. Il convoque les "lumières de la raison" afin qu'elles "rendent raison", également, des propositions qui proviennent de la foi. Les autres religions ne le font pas et, à cet égard, le politique serait bien inspiré de procéder à un discernement : non, toutes les religions ne se valent pas, elles ne sont pas toutes égales, soit parce que beaucoup émettent des propositions contraires à la raison, soit parce qu'elles n'acceptent même pas – par intégrisme – d'être jugées par la raison.

La raison, elle aussi, peut être intégriste et cela se produit quand elle refuse l'invitation que lui fait la foi à se dilater et à avoir confiance en elle. Seule une raison qui accepte d'être jugée au tribunal de la foi religieuse peut à son tour s'ériger en tribunal. Il y a des religions qui mortifient la raison, il y en a d'autres qui la poussent à s'ouvrir. Benoît XVI présente le christianisme comme la foi qui aide la raison à ne jamais s'arrêter et à ne pas se limiter au domaine du quantifiable. C'est pourquoi la religion chrétienne met au défi la raison d'être pleinement elle-même. La laïcité du politique consiste à accueillir cette provocation et ainsi à fuir le danger de s'enfermer dans l'intégrisme. 

Le second texte, vous avez pu le découvrir récemment grâce à l'éditorial de Maire-Joëlle Guillaume dans l'hebdomadaire Famille chrétienne (et autre bonne lecture). À propos du texte de Mgr Luc Ravel, évêque aux armées, sur  Les rapports entre les religions au sein d'un État de droit . Ce texte est à lire, à relire, à méditer.

Là encore, j'emprunterai brièvement aux deux auteurs susmentionnés avec le désir de vous donner l'envie de vous plonger dans ce texte.

Définition de la laïcité : autonomie des réalités terrestres ; mise à distance sans séparation.

Le caractère laïque d'une réalité ne s'oppose pas à Dieu et à son pouvoir d'alliance puisque Dieu lui-même a voulu et a fait les choses  laïques , c'est-à-dire à distance de lui pour qu'elles aient leur consistance propre. La foi catholique affirme que l'acte de création n'est pas une émanation ou une diffraction de l'Être divin mais un acte précis qui pose une chose dans l'être, non pas séparé de Dieu (qui en reste la source) mais différente de Lui (Qui est tout autre).

La laïcité a valeur théologique avant d'avoir valeur légale ou politique.

La distinction entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu n'est qu'un cas particulier de la laïcité générale des choses et des êtres, c'est-à-dire l'autonomie des réalités terrestres voulues par le Créateur pour permettre la liberté humaine. Mais cette laïcité qui procède de sa Sagesse ne saurait lui être opposée.

D'où la nécessité pour l'État de tenir son rôle avec exactitude : il lui revient de mettre en place le  socle social commun  à tous, croyants ou incroyants, qui assure à la nation une unité fondée sur la raison.

Il ne lui revient pas de s'immiscer dans les doctrines, ni d'offenser l'équité en prétendant traiter de façon égalitariste des religions de nature différente.

Socle commun

Parcourons rapidement quelques passages du texte de Mgr Luc Ravel. Nous verrons en quoi dès lors que nous aurons collectivement retrouvé une saine et juste conception de la laïcité, cette dernière permettra de pleinement justifier les diverses dispositions, sauvegarde de l'ordre public, qui seront à prendre face à toutes les agressions dont pourrait être victime le caractère laïque de notre pays.

De l'importance d'une juste laïcité :

 Surtout là où il existe une société de type pluraliste, il est d'une haute importance que l'on ait une vue juste des rapports entre la communauté politique et l'Église... sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l'Église sont indépendantes l'une de l'autre et autonomes.  Mais nous n'avons là que la première dimension de la laïcité, celle de la mise à juste distance. Suit l'affirmation d'une collaboration de principe qui suppose un lien :  Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. 

 La laïcité ne surveille pas la religion : l'État s'il en est besoin peut s'arroger temporairement un droit de surveillance voire de contrainte s'il est clairement établi qu'un manquement fondamental à la dignité de la personne humaine se produit ou risque de se produire du fait de la religion. Mais, sauf ces cas d'exception, l'État veille à mettre en œuvre une laïcité solide et éclairée qui forme un socle social clair sur lequel les religions peuvent établir leur existence et leur exercice. Si elles refusent ce socle, si elles répugnent à s'enraciner sur ce sol, alors l'État doit s'interroger sur la pertinence de leur existence en son sein. Puis i peut entrer dans une démarche d'exclusion de son sol et de sa vie sociale non pas à cause de dogmes propres qui l'incommoderaient mais en raison du non respect de ce socle commun.

Qu'entendons-nous par "socle commun" ?

Ce "quelque chose" auquel tout le monde peut et doit adhérer sans quoi aucune vie en société pluraliste n'est possible. Sans quoi les liens entre les parties et les corps sociaux resteraient dans un domaine artificiel et extérieur. Sans ce socle commun, il ne pourrait s'établir dans une société pluraliste qu'une unité de façade prompte à se désagréger à la moindre difficulté ou au plus petit désaccord.

Quel est ce quelque chose essentiel à la société et qui fait d'elle une société véritablement laïque ? Une vision de l'homme inspirée par la raison. Une anthropologie théorique et pratique établie non selon des critères idéologiques ou religieux mais à partir d'une réflexion conduite par l'intelligence et une intelligence épanouie dans sa capacité à reconnaître sous les variétés infinies des individus humains les principes sacrés et intangibles sans lesquels les mots droits de l'homme et respect de la personne humaine deviennent factices, incantatoires et fallacieux.

Bref, la laïcité n'est crédible comme marque d'une société politique qu'accompagnée d'une sagesse réelle, fine fleur de la philosophie, et qui s'interroge constamment sur ce qu'est l'homme, le monde et l'histoire.

Voici le socle, la laïcité, sur lequel la construction, la religion, s'élève en paix : sans le transgresser mais en s'édifiant suivant ses lois et ses pensées propres que nul pouvoir politique n'a à lui dicter. L'erreur de la laïcité sera de se situer en face ou à côté de la religion alors qu'elle en forme le socle. En face de la religion, elle ne s'articule plus avec elle, mais elle prend peur ou ombrage, et cherche à l'exclure ou à la brider. À côté de la religion, elle cherche un partenariat douteux. Religion et laïcité ne sont pas de même nature et les mélanges hybrides sont instables. L'État se rappelle à lui-même constamment qu'il n'est laïque que dans l'exacte mesure où il demeure la terre ferme et féconde, terre labourée d'un humanisme solide et approfondi en laquelle les semences de la religion s'élaborent en arbres sacrés et profondément humains.

Si le socle n'ouvre pas à plus que lui, c'est qu'une déraison est venue le subvertir en son sein même. On n'est plus alors en droit de parler de laïcité mais d'exclusion du religieux.

Si la construction cherche à s'édifier sans respecter le sol qui l'accueille, alors elle n'est plus à même de se poser en religion respectable mais elle doit rentrer dans la catégorie des mouvements sectaires à caractère religieux, dont l'État doit se déprendre, non pas pour se protéger mais pour défendre les citoyens.

Ainsi au sein d'une société concrète donnée, l'État dans un état de droit est appelé à s'intégrer de plein droit dans le dialogue et la convivialité interreligieuse non pas au même plan que les religions mais dans un échange constant avec chacune d'elles pour vérifier leur conformité avec l'intelligence humaine et les droits de l'homme. À charge pour lui de vérifier sa propre conformité avec la raison et le droit naturel. Et de se faire aider dans cette autorégulation par les forces spirituelles et religieuses de la nation à même de purifier sa propre réflexion : celle-ci en effet peut être entravée par la diversité des sources auprès desquelles elle puise.

Ainsi la laïcité cherche la juste combinaison entre la raison et la religion. Elle ne les mélange pas au point de les confondre. Elle ne les sépare pas au point de les disjoindre. Elle ne s'évertue pas à les tordre par un jeu subtil de compromis. Combinaison n'est pas compromission. Elle les maintient sous influence réciproque sans que l'une n'absorbe l'autre. Influence de purifications et d'enfantements alternatifs. 

 

*Xavier Lemoine est maire de Montfermeil, vice-président du Conseil national des villes.

© Fondation de Service politique, Paris-Espace Bernanos, 16 mars 2011,