Parmi les documents exprimant la pensée du Saint-Siège, on connaissait l'encyclique, le motu proprio, l'exhortation, la lettre apostolique, la constitution apostolique, la déclaration, l'homélie, le bref. Depuis quelques années, nous en découvrons un autre: les libres propos tenus par le pape à la presse dans l'avion de retour d'un voyage.
Il n'est pas sûr que ce dernier genre soit celui qui ait le plus d’autorité. Il emporte en tous les cas le plus de risques de propos mal interprétés.
Dans son voyage de retour du Mexique, le Saint Père, si l'on en croit La Croix, a condamné avec la plus grande véhémence l'idée d'un mur séparant les États-Unis du Mexique destiné à barrer les immigrants mexicains. Il est même allé jusqu'à dire que "ceux qui construisent des murs et non des ponts ne sont pas chrétiens". N'était-il pas allé jusqu'à célébrer deux jours avant la messe au pied du dit mur ?
Sans doute, dans un monde idéal, il n'y aurait pas de murs, pas plus que d'inégalités sociales. Mais dès lors que l’humanité ne s'est pas encore remise du péché originel, les tensions sociales sont inévitables et il est difficile de dire a priori quelle mauvaise solution sera préférable à quelle autre, encore plus mauvaise. Cela relève de choix politiques pour lesquels les hommes d'Église, à quelque niveau que ce soit, n'ont pas été dotés de la grâce d'état.
L'enjeu le plus important : la guerre et la paix
Certains ont vu dans ces propos une condamnation de Donald Trump, le candidat républicain à la présidence des États-Unis qui fait aujourd'hui la course en tête. Le pape a certes a cru bon de préciser qu'il ne le visait pas spécialement. Trump semble pourtant le plus radical dans le refus de l’immigration clandestine aux États-Unis. Mais cela ne devrait pas suffire à le disqualifier ; nous pensons en effet que, dans l'exercice d’éventuelles responsabilités à la Maison-Blanche, il y a plus important que la question des murs, il y a celle de la guerre et de la paix. Les esprits superficiels diront que ces questions sont liées. C'est faux.
L'expérience de ces dernières années nous montre au contraire que ceux qui ont mis le plus de désordre dans le monde - et ils viennent des États-Unis - sont précisément ceux qui étaient portés par une vision universaliste fondée sur la condamnation de toute limite à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes (de la main d’œuvre) et hostiles par principe à toute structure étatique qui voudrait contrôler son propre territoire (et donc ses frontières). C'est au nom de cet universalisme libéral qu'ont été entreprises les destructrices expéditions d'Irak, de Yougoslavie, d’Afghanistan, de Libye, qu'ont été encouragés les mouvements subversifs et par là de longues et douloureuses guerres civiles en Syrie, au Yémen, en Égypte, en Tunisie, et dans une certaine mesure en Ukraine. Dans ce dernier pays, la Fondation for an Open society de George Soros a été particulièrement active pour exciter les sentiments antirusses et promouvoir les femens[1]. Le bilan final de ces entreprises fondées sur la volonté d'établir un espace de libre circulation et par là de démolir les murs serait de 4 millions de morts, à en croire Michel Onfray[2] qui ne se trompe pas de beaucoup. Une des conséquences de ces guerres aura été le massacre et l'exode de centaines de milliers de chrétiens du Proche-Orient.
Dans cette affaire, il faut sans doute faire la part d'une certaine hypocrisie anglo-saxonne qui condamne les murs hors de chez soi et qui les bâtit à domicile.
Il reste que les plus grands crimes de guerre de ces dernières années l'ont été par ceux qui, comme le pape François, voulaient abattre les murs, mais avec des B 52.
En définitive, pour les Européens soucieux de paix que nous sommes, il est plus important que tout qu'un président des États-Unis préserve la paix dans le monde.
Peu nous importe à cet égard que Donald Trump soit plus radical que d'autres pour limiter l’immigration, dès lors qu'il a tenu, sur les grandes questions internationales, des propos qui nous semblent plus raisonnables que d'autres : quand il a condamné rétrospectivement la guerre d'Irak ou quand il préconise une politique d'entente avec la Russie.
Des propos de ce genre tranchent avec ceux que l'on tient dans l'establishment washingtonien sur la politique étrangère, démocrates et républicains confondus, peut-être parce que Trump est éloigné de ce monde fermé des think tanks, en osmose étroite avec l'administration américaine et le complexe militaro-industriel où se concoctent dans l'entre-soi les idéologies les plus folles qu'on qualifie généralement de néoconservatrices.
Hillary Clinton est sans doute plus ouverte à l'immigration que Trump, mais elle nous fait froid dans le dos quand elle suggère de démocratiser l’Égypte tenue d'une main trop ferme à son gré par le maréchal Sissi, c'est à dire d'aggraver encore la déstabilisation du Proche-Orient.
Pas de candidat idéal
Il est douteux que nous trouvions le candidat idéal à la présidence des États-Unis. Pour le Saint Père, on suppose que ce serait quelqu'un qui serait généreux avec les immigrés et pacifique sur la scène internationale. Les pires seraient ceux qui construiraient des murs tout en étant agressifs à l'égard du reste du monde : nous ne sommes pas sûrs que les deux principaux rivaux de Trump, Rubio et Cruz, n'entrent pas dans cette catégorie. Mais nous risquons d'avoir le choix entre des gens comme Donald Trump qui veulent construire des murs, mais ont une approche pragmatique et pacifique des affaires du monde et ceux qui comme Hillary Clinton ont peu ou prou la position inverse - et qui, qui plus est, se trouvent aux antipodes des exigences chrétiennes sur les questions sociétales. Compte tenu des enjeux, le choix devrait être vite fait.
L'expérience du XXe et du début du XXIe siècle montre que ceux qui tiennent à leur pré carré et veulent le gérer à leur manière tout en comprenant que les autres fassent de même, sont en définitive moins dangereux que ceux qui promeuvent une ouverture générale des frontières et tentent de l'imposer par la force au reste du monde. Décidément Chesterton avait raison de dire que "Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles" .Or rien en politique, spécialement à l'ère atomique, n'est plus dangereux que la folie.
Roland HUREAUX
[1] Elle l'est aussi pour financer les mouvements en faveur de l'avortement.
[2] Interview à LCI
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