Comment se profile le débat inédit du jeudi 19 novembre autour de la proposition de loi socialiste relative au droit de finir sa vie dans la dignité ? Les Français ne veulent pas de l'acharnement thérapeutique, mais beaucoup spéculent sur la confusion. Pour éviter l'irréparable, des milliers de Français se mobilisent autour de la campagne Euthanasie : faut pas pousser...

C'est une double première : derrière Jean-Marc Ayrault, Manuel Vals et Laurent Fabius, 120 députés socialistes ont cosigné la proposition. Et leur groupe politique a choisi de mettre ce texte emblématique à l'ordre du jour, dans le créneau désormais réservé aux propositions de loi de l'opposition.
Le texte socialiste prévoit d'instaurer un droit à une aide active à mourir , sous certaines conditions, pour une personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu'elle juge insupportable . Le principe même du projet, avec l'utilisation de l'argument contestable de la dignité dans son libellé, suscite la critique. La notion de souffrance psychique a particulièrement choqué les soignants et bénévoles engagés dans l'accompagnement des personnes en fin de vie. Ils savent combien il peut être risqué de prendre au mot quelqu'un dans un moment ou une période de désespoir. Dans une lettre ouverte aux députés, rendue publique sur son site, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a manifesté sa ferme opposition à un texte qu'elle estime contraire à [son] éthique de soins .
Toujours du côté socialiste, une seconde proposition de loi a été déposée par le député Gaëtan Gorce, le 5 novembre 2009. Destinée à faciliter la notion d'exception d'euthanasie (pour exonérer en justice des médecins qui seraient passés à l'acte), la brève disposition vise à prendre en compte les situations que son auteur estime exceptionnelles de personnes en phase avancée et non terminale d'une affection grave et incurable . Il faut y voir une étape de plus dans l'idée d'un suicide assisté pour des personnes très dépendantes, mais pas en fin de vie. Cette idée fera-t-elle l'objet d'un amendement lors du débat de l'autre proposition socialiste ?
À l'UMP, la posture officielle est le rejet du texte Ayrault-Vals-Fabius. Mais la liberté de vote, sur une telle question de société, reste entière. Déjà Henriette Martinez, membre de l'ADMD, a indiqué qu'elle voterait le texte socialiste, de même qu'André Wojciechowski. Le député UMP a lui-même déposé en décembre 2008 une proposition de loi pour légaliser l'euthanasie, cosignée par neuf autres de ses collègues de la majorité présidentielle (Olivier Dassault, Patrice Debray, Alain Ferry, Philippe-Armand Martin, Christophe Priou, Didier Quentin, Francis Saint-Léger et Bruno Sandras). On ignore encore quelle sera l'attitude de ces derniers.
Logiquement, la Commission des affaires sociales a rejeté le texte porté par les socialistes, sans même envisager de l'amender. Mais tout n'est pas joué pour autant. C'est donc en séance, le jeudi 19 novembre au matin, que tout se décidera.
Du coup, les partisans et adversaires de l'euthanasie intensifient leur mobilisation, et interpellent, par courrier ou mails les députés. Même s'il a confié n'être que partiellement satisfait du texte socialiste, Jean-Luc Romero, de l'ADMD, soutient la proposition de loi, comme une étape vers ce qu'il nomme l'ultime liberté , autrement dit un droit au suicide médicalement assisté.
L'interdit du meurtre
Peut-on imaginer, dans l'Hémicycle, jeudi 19, les opposants à l'euthanasie mis en minorité à cause d'une importante présence socialiste et d'un fort absentéisme dans la majorité ? Normalement, le groupe UMP évitera pareil camouflet, même si des députés socialistes peuvent retenter le coup du rideau qui leur a valu un succès imprévu le 9 avril dernier. Surgis au dernier moment de derrière les tentures, ils avaient pu mettre en minorité l'UMP et rejeter le texte Hadopi (sur le téléchargement).
Chat échaudé craignant l'eau froide, on voit mal l'UMP, contre l'avis du gouvernement, laisser faire les socialistes une nouvelle fois. D'autant qu'environ la moitié de leurs députés n'ont pas signé la proposition de loi.
Beaucoup des parlementaires des deux bords se rendent-ils compte de l'effondrement que provoquerait, dans un système de santé où la confiance entre soignants et soignés est primordiale, l'effacement, même exceptionnel, de l'interdit du meurtre ? Il est plus facile de promouvoir ce type de rupture quand on est dans l'opposition.
Les longs débats préalables à la loi fin de vie de 2004 ont révélé un grand malentendu dans l'opinion publique : les sondages ont beau dire que les Français sont favorables à l'euthanasie, c'est l'acharnement thérapeutique que ces derniers entendent récuser, sans savoir qu'ils ne sont pas obligés, pour cela, de consentir à la piqûre létale. Et en quoi une telle injection assurerait à une personne de finir sa vie dans la dignité ? C'est ce que souligne l'Alliance pour les Droits de la Vie qui diffuse actuellement 500 000 dépliants pour revenir à la réalité sur ce sujet. La publication des résultats de la pétition lancée sur Internet pour appeler les partis politiques à ne pas légaliser l'euthanasie (www.fautpaspousser.com) est prévue le 17 novembre.
Les 10 points argumentaires du dépliant Euthanasie ? Faut pas pousser... concluent : ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie . C'est bien sur ce fondement que la loi fin de vie, dite Leonetti, avait été votée à l'unanimité en 2004. Alors que cette loi reste méconnue et incomplètement mise en œuvre, le débat de jeudi consacre d'ores et déjà la rupture d'un consensus politique, à moins que ce ne soit la fin d'un compromis transitoire.
*Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie.

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