Dans une décision datée du 1er avril 2010, la première section de la Cour européenne des droits de l'homme a condamné l'Autriche pour sa législation prohibant l'utilisation en fécondation in vitro de spermatozoïdes ou d'ovocytes issus de donneurs. L'European Center for Law and Justice (ECLJ), une ONG d'origine américaine ayant pour objet la protection des droits de l'homme, révèle l'affaire cette semaine.

La loi autrichienne sur la procréation interdit le don d'ovules et ne tolère celui de sperme qu'en vue d'une insémination artificielle in utero. En matière de fécondation in vitro, seule la procréation artificielle homologue réalisée avec les cellules reproductrices des deux membres du couple est autorisée.
Dans la requête qu'ils ont déposé devant la Cour européenne en mai 2000, deux couples contestaient la légitimité de cette législation qui leur interdit d'accéder sur le sol autrichien à des techniques de fécondation in vitro hétérologues, c'est-à-dire nécessitant l'apport d'un gamète extérieur. L'un parce qu'il avait besoin de bénéficier d'une FIV avec sperme issu d'un don, l'autre parce que leur double stérilité requérait une FIV faisant appel à un spermatozoïde et un ovocyte provenant de deux donneurs étrangers. La première section de la Cour européenne leur a donné raison [1].
Le droit à procréer
Quel est le raisonnement suivi par cette instance pour justifier son jugement ? Selon Grégor Puppinck, directeur de l'ECLJ, qui a traduit et commenté la décision, la première section a estimé qu'il existait un droit des couples à procréer en faisant appel à la procréation médicalement assistée , lui-même fondé sur le respect de la vie privée protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (§ 60) [2].
La portée de ce droit à procréer est telle qu'aucune considération d'ordre moral ou tenant à l'acceptabilité sociale des techniques ne sauraient justifier à elles seules l'interdiction totale de telle ou telle méthode de procréation assistée, en l'occurrence le don d'ovules (§ 74). Ce nouveau droit à la conception artificielle d'un enfant autorise même de restreindre la marge d'appréciation généralement accordée aux États par les institutions européennes en matière de questions éthiques et sociétales.
Dernier argument avancé, l'interdiction de la FIV hétérologue opère une discrimination et une différence de traitement inacceptable entre les couples qui en auraient besoin et ceux qui en sont dispensés, ces derniers pouvant se rabattre soit sur une insémination avec sperme de donneur, soit sur une FIV intraconjugale sans don de gamètes.
Le gouvernement autrichien a obtenu le 4 octobre dernier le renvoi de cette affaire devant la Grande Chambre, qui a également autorisé l'Allemagne à intervenir comme tierce partie. Le gouvernement allemand, dont la législation sur la procréation est similaire à celle de l'Autriche, fait valoir qu' accepter la dissociation de la filiation maternelle en une composante génétique et une composante biologique (la grossesse) reviendrait à reconnaître que deux femmes peuvent prendre part à la conception d'un enfant, situation inconnue dans la nature et inédite dans l'histoire de l'humanité [traduction ECLJ].
La souveraineté des États bafouée
L'Allemagne, n'en déplaise aux promoteurs de la vitrification des ovocytes dans notre pays, a bien compris que le don d'ovules était une formidable machine à dissocier la procréation de la filiation. En accaparant les ovules, la médecine de la reproduction génère un fossé infranchissable entre maternité biologique et sociale, avec les problèmes insolubles de levée ou non de l'anonymat des donneurs dont nous sommes les témoins aujourd'hui. Une femme ne peut ignorer qu'en se séparant de son patrimoine génétique, elle contribuera de manière décisive à la venue au monde d'un être humain qui lui sera profondément lié comme le montre la quête éperdue des enfants nés de gamètes inconnus .
Cette décision européenne, qui porte violemment atteinte aux prérogatives des États de légiférer comme ils l'entendent en matière de bioéthique, menace directement l'Italie qui interdit tout type de don de gamètes ainsi que l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse et la Norvège qui prohibent le don d'ovules sur leur territoire au nom de l'intérêt de l'enfant à naître.
Le jugement remet aussi en cause le cadre législatif adopté par la France qui interdit le double don de gamètes. La Fondation progressiste Terra nova (Paris) a d'ailleurs récemment dénoncé l'injustice de cette interdiction qui discrimine les couples doublement stériles. Les auteurs du rapport Accès à la parenté réclament ainsi l'inscription dans la prochaine loi de bioéthique d'un droit à recourir à cette technique par les couples qui en font la demande [2] .
Une révolution éthique
La décision de la première section de la Cour révèle la montée en puissance d'un nouveau droit à la parentalité qui veut qu'un adulte accède à l'état de parent uniquement par la force du désir et de la volonté. La parentalité désigne ici la construction psychologique qui mène à ce statut de parent . L'engagement prime sur le lien biologique qui n'a plus aucune signification. Le droit à avoir une descendance devient ainsi un droit opposable dont l'obligation de moyens serait à la charge de l'État.
Conséquence logique de cette nouvelle revendication sociétale, ce droit à l'enfant implique de mettre à disposition des parents d'intention toutes les techniques d'assistance médicale à la procréation disponibles. Ne pas s'y soumettre serait attenté au sacro-saint principe de non discrimination.
Les implications de cette révolution anthropologique sont redoutables. Toutes les pratiques de procréation artificielle hétérologues seraient légalisées, le double don de gamètes et le don d'ovules au premier chef. Selon ce raisonnement, plus rien ne s'opposerait à l'existence d'un droit à recourir à une mère porteuse, la gestation étant appréhendée elle-même comme un don susceptible de satisfaire le désir d'enfant.
Enfin, le droit de fonder une famille selon l'expression du socialiste Olivier Ferrand, président de Terra nova, impliquerait que ces techniques soient mises au profit de couples hétérosexuels infertiles bien sûr mais encore d'adultes célibataires et de couples homosexuels. Le principe de non-discrimination exigera en effet que la médecine de la reproduction répare la stérilité sociale qui les frappe.
On le voit, la toute-puissance du projet parental justifie toutes les demandes. Il préexiste à l'intérêt de l'enfant dont le droit à être conçu, porté et mis au monde dans le mariage (Donum vitae, 1987) est bafoué.

Le danger que revêt cette décision européenne ne saurait être sous-estimé et appelle encore une fois une mobilisation déterminée de tous ceux qui sont attachés au respect de la dignité humaine, particulièrement celle des enfants.

*Pierre-Olivier Arduin est directeur de la commission biothique du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

[1] CEDH, 1e Chambre, 1er avril 2010, S.H. and Others v. Austria (n. 57813/00).
[2] "Cour européenne des droits de l'homme : le droit à l'enfant par procréation artificielle est renvoyé devant la Grande Chambre", ECLJ, 8 novembre 2010.
[3] Geneviève Delaisi de Parseval et Valérie Depadt-Sebag, Accès à la parenté, assistance médicale à la procréation et adoption, Terra nova, 2010, p. 90.
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