Marine Le Pen a le vent en poupe. Tout parait lui réussir. Deux mois après avoir pris la tête du Front national, elle perce dans l'opinion. Quoi que fassent ou disent ses adversaires, elle engrange des voix. Elle a du talent et elle veut le pouvoir à la différence de son père. Celui-ci, coutumier des petites phrases sur la Seconde Guerre mondiale, était boudé par les médias. La fille est efficace, attire la sympathie et évolue dans le courant ascendant qui porte partout en Europe les représentants de partis plus eurosceptiques et protectionnistes que nationalistes.
Des partis qui ratissent dans la classe ouvrière mais aussi dans les couches moyennes des retraités et des cols blancs, que la crise et les excès de l'immigration inquiètent, sans parler de la perte de repères causée par le règne sans partage de la culture post soixante-huitarde.
En Italie, en Autriche, aux Pays-Bas, en Belgique et dans une certaine mesure en Amérique avec le mouvement du Tea party, ils progressent, même si certains chapitres de leurs programmes sont incohérents ou totalement irréalistes.
Cela dit, les chances de succès à la présidentielle de 2012 de l'héritière du Front national sont très minces. Certes, nous ne connaissons pas encore les candidats, il reste treize mois et une campagne électorale. Mais sur la base de l'état de l'opinion mesurée par les derniers sondages et les élections cantonales, elle peut être présente au second tour, et même en tête dans l'hypothèse haute.
Les résultats du second tour des cantonales dimanche soir indiqueront si le front républicain fonctionne, c'est-à-dire si les électeurs de droite votent ou non pour le FN. Nous ferons, quand ils seront connus, une analyse plus fine de la situation, sur la base d'un examen des reports de voix canton par canton. Mais quelques soient les reports de ce second tour, trois scénarios sont possibles dans treize mois : aucun ne la donne gagnante de l'élection présidentielle, même si elle vire en tête au premier tour.
Trois scénarios
Premier scénario, la candidate du Front national est opposée au second tour à un candidat du PS, peu importe lequel. La gauche de la gauche, les écolos et les socialistes votent en bloc pour le candidat du parti. La droite, elle, se scinde en trois courants.
Premièrement, celui du front républicain. Pour ses partisans, c'est un 2002 à l'envers et ils renvoient l'ascenseur au PS. Ensuite, celui des ni-ni , dont le programme est d'aller à la pêche pour regarder, le soir à la télévision, consterné ou résigné, la victoire du candidat PS. Enfin il y a les électeurs qui sautent le pas. Pour des raisons idéologiques, ils refusent de voter pour un candidat ou une candidate soutenu par une extrême gauche beaucoup plus violente et plus dangereuse, socialement et politiquement, que le Front national nouvelle formule.
Dans cette hypothèse, Marine Le Pen, même en tête au premier tour, n'a pas assez de réserves de voix pour l'emporter au second.
Deuxième scénario, Marine Le Pen est opposée à Nicolas Sarkozy s'il est candidat (il devrait l'annoncer en septembre). La gauche appelle au front républicain. Cela marche en partie. Certains électeurs d'extrême gauche et mêmes socialistes votent en faveur de Marine Le Pen pour diverses raisons et notamment son anti-mondialisme, son anti-capitalisme et sa position sur l'Europe. D'autres s'abstiennent. Malgré ces défections, les reports de gauche comme de droite suffisent à élire Nicolas Sarkozy, celui-ci gagnant largement à gauche ce qu'il perd un peu sur sa droite.
Troisième scénario : une confrontation classique gauche-droite. Sur le papier, la gauche perd car la France est majoritairement à droite dans un rapport 55/45. Mais cela se joue quand même à la roulette russe.
Nicolas Sarkozy peut rater sa campagne. Le charme depuis longtemps est rompu. À nouveau candidat, il ne parvient toujours pas à ressembler à un Président. Il paye pour ses amitiés avec les riches, son impulsivité et ses difficultés récurrentes avec toutes les vertus cardinales.
Est-il battu ? Ce n'est pas certain. La capacité d'autodestruction de la gauche est impressionnante. Certes, rue de Solferino, on sait conduire une campagne. Mais les éléphants socialistes mobilisés par la perspective de retrouver les ors des palais de la République ne sont pas tendres entre eux. Comme en 2007, il peut y avoir de la casse à gauche.
Face à un Nicolas Sarkozy en pleine campagne de France, il n'est pas méchant de dire que Martine Aubry paraît moins rapide. Et si c'est Strauss-Kahn ? DSK devra expliquer aux amis de M. Mélenchon et consorts qu'il faut voter pour un représentant du FMI qui gagne par mois, à New York avec sa femme Anne Sinclair, autant qu'eux et leurs épouses en dix ans dans leurs banlieues. Le choix ne sera pas facile dans la tête de certains socialistes ou affiliés, qui rêvent encore du grand soir et pensent que les soixante millions de morts au bas mot du communisme est un détail de l'histoire. Enfin, comme le disait récemment en off un homme politique de la majorité : Si Dominique Strauss Kahn traverse l'Atlantique, les placards du ministère de l'Intérieur vont se vider.
Reste François Hollande. Les Français aiment le terroir et ce genre de profil bien de chez nous. Il a le succès modeste et évite de trop montrer ses Nike devant les caméras. Ce qui nous changerait. Faut-il encore qu'il soit titularisé.
Illusions et désillusions
Alors qui est dangereux ? Personne et tout le monde. La politique française est entrée dans une zone à risque. L'alchimie complexe qui fait qu'un peuple se reconnaît dans la classe politique (majorité et opposition confondues) qui le représente et le gouverne, est en train de se briser (comme à la fin du xviiie siècle).
Les Français ne croient plus que la solution à leurs difficultés puisse sortir d'une alternance classique. Les déçus du socialisme sont au moins aussi nombreux que les déçus de la droite. Dans de larges secteurs de l'opinion, l'impression domine que voter ne sert plus à rien. Lorsque en 2005, après un vrai débat et de multiples pressions, une grande majorité d'entre eux, de droite comme de gauche, ont voté non au référendum sur le traité constitutionnel européen, ils n'ont pas été entendus. En haut lieu des décisions ont été prises pour les entourlouper et le traité a été ratifié malgré eux, sans eux.
Que ce soit ou non une bonne chose, là n'est pas la question. Un grand nombre de Français ont compris ce jour-là, même s'ils n'ont pas pu le dire, qu'ils avaient perdu cette souveraineté dont leur vote est, en démocratie, le signe et l'expression. Que ce soit ou non discutable n'est pas non plus la question. Dans l'inconscient collectif, ce genre d'événement laisse des traces.
Les Français votent encore pour se rassurer ou par habitude, par réflexe comme d'autres continuent d'aller à la messe, ou donnent à l'œuvre que soutenaient leurs parents, mais ils ne croient plus qu'un vote serve à grand chose. Ils ont le sentiment d'être entrés dans un système à la Matrix.
La droite et la gauche le savent, mais leur propre logiciel ne leur permet pas d'apporter une réponse satisfaisante. Les partis sont devenus des organisations limbiques : ils fonctionnent sur des schémas cérébraux rigides et pré-programmés.
L'élu, président de la République ou député, a trop souvent trahi le candidat. Les Français n'y croient plus. L'extrême gauche et l'extrême droite surfent sur cette désillusion et dénoncent cette situation. N'ayant jusqu'ici jamais été au pouvoir, ils disent aux Français, Marine Le Pen en tête : Osez la confiance ! Beaucoup d'entre eux hésitent. La France, disait Péguy, est la championne de l'espérance. Le vote protestataire de droite comme de gauche, et l'abstention ne sont pas que des phénomènes de rejet. Ils portent en eux un ultime espoir. Mais cet espoir est-il raisonnable ?
Que gagnerait la France à se couper de l'Europe ? Que gagnerait la France à se couper du monde ? Que gagnerait la France à s'endetter encore ? Que gagnerait la France à ruiner ses riches, petits, moyens et grands ? Que gagnerait la France à mettre en place des systèmes politiques et sociaux inspirés d'idéologies dont l'histoire a montré qu'elles étaient meurtrières ou à tout le moins contraires aux droits élémentaires de la personne ?
Alors qu'est-ce qui est dangereux ? Les désillusions dont les mensonges des politiques sont la cause. Ces mensonges dont le maître est qui vous savez. Trop de promesses non tenues ont été faites aux Français. Il n'y a pas que les peuples opprimés qui se révoltent. Ceux que l'on endort par des mensonges aussi. Un état d'esprit qui explique les votes d'aujourd'hui et peut-être ceux de demain. Que chacun prennent ses responsabilités.
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